La remise en cause de la destruction des barrages hydroélectriques de Vézins et de la Roche-qui-Boit sur la Sélune (Manche) par Ségolène Royal en décembre 2014 n'est pas étayée scientifiquement, estime un comité d'experts du ministère de l'Ecologie. Ils réclament la publication de l'ensemble des arguments qui fonderaient sa décision, si la ministre maintient sa volonté de préserver les deux barrages.
Décisions ministérielles
Dans un avis de trois pages, publié le 10 février, le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB) "recommande que toute décision politique sur [la destruction des barrages hydroélectriques sur la Sélune] soit scientifiquement étayée". Le conseil, chargé de rendre des avis scientifiques destinés à éclairer les choix politiques du ministre de l'Écologie, réclame que la ministre "prenne notamment en compte les multiples arguments qui ont conduit à prendre la décision d'araser les barrages et de recréer une vallée attractive créatrice d'emplois liés au développement du tourisme, tout en protégeant des espèces en déclin comme le saumon et l'anguille".
De plus, "le CSPNB souligne l'intérêt scientifique considérable de ce projet car c'est la première fois en Europe qu'une rivière retrouverait un cours naturel, de la source à l'estuaire, après restauration". Si la ministre revient sur la décision d'araser les ouvrages, décision prise en février 2012, "le comité recommande que l'ensemble des arguments qui fonderaient une décision de non arasement des barrages soient rendus publiques". Cela d'autant plus que "cette opération sans précédent s'inscrit en effet dans un futur marqué par l'obligation vitale de restaurer certaines de nos rivières par trop sollicitées".
En creux, le CSPNB n'hésite pas à égratigner la ministre en comparant sa décision à celle des ministres précédents. En novembre 2009, Chantal Jouanno, avait décidé d'engager les travaux d'arasement des barrages, rappelle le comité, soulignant qu'il s'agissait alors d'une décision "motivée par l'enjeu absolument crucial pour la région d'améliorer la qualité de l'eau". Par la suite, en février 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet avait elle aussi pris une décision "irrévocable", et ce "malgré une forte opposition des « Amis des barrages »".
Quant à Ségolène Royal, elle a défendu le projet de destruction des barrages à l'Assemblée nationale en juillet 2014, suite à une question du député maire d'Avranches. "Dans sa réponse, Madame la ministre a d'une part insisté sur la nécessité de préserver les poissons migrateurs, dont le saumon, et d'autre part, sur le fait que la vallée rénovée sera beaucoup plus attractive pour le tourisme", explique le CSPNB.
Les arguments de Ségolène Royal battus en brèche
Par ailleurs, l'avis pointe les multiples avantages à l'origine de la décision du gouvernement Fillon. S'agissant des poissons migrateurs, le comité rappelle "la non-conformité de ces 2 barrages [au regard] du code de l'environnement et de l'arrêté (…) qui impose à EDF de les équiper d'un dispositif assurant la libre circulation des poissons migrateurs". Le document rappelle aussi que "cette obligation qui a donné lieu à des tentatives de transfert de saumons et à des suivis de juvéniles s'est avérée impossible à satisfaire compte-tenu de la structure de ces barrages et de la configuration des lieux". Mais cet argument ne semble pas porter, Ségolène Royal ayant déclaré, à l'issue d'une réunion avec les élus des communes concernées, qu'"on ne met pas 53 millions d'euros pour faire passer les poissons".
De même, la ministre a jugé que la destruction des deux barrages entraînerait un risque que les sédiments libérés aillent polluer la baie du Mont-Saint-Michel. Effectivement, les rejets d'une usine "se traduisent par l'accumulation dans les sédiments, en amont de la retenue, de substances dangereuses dont certaines teneurs dépassent les seuils réglementaires", explique le CSPNB, précisant que "c'est le cas pour le cadmium, le chrome, le cuivre, le nickel et le zinc". Mais, "l'isolement des sédiments pollués et la suppression des barrages permettraient de retrouver une dilution des rejets qui les mettraient aux normes requises". Le maintien des ouvrages ne serait pas efficace du fait "[des] risques encourus lors des vidanges périodiques de ces barrages qui doivent avoir lieu tous les 10 ans". Pire, la dernière vidange, réalisée en 1993, "s'est traduite par des transferts de polluants, en particulier de cyanure et de cadmium jusqu'en baie du Mont-Saint-Michel".
Plus généralement, les deux ouvrages sont vétustes et "leur faible production en électricité" (14 mégawatts de puissance) ne justifie pas la réalisation de travaux. Ensuite, les ouvrages offrent "un stockage d'eau de mauvaise qualité, qui se traduit par des blooms périodiques de cyanobactéries conduisant à limiter les activités sur le lac de Vezins (interdiction totale de tous les types d'usage nautique en 2009, y compris la pêche)".