Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) s'est penché, dans une note d'analyse présentée le 1er octobre, sur le secteur des semences, alors que la réglementation européenne qui l'encadre pourrait être révisée prochainement. La Commission européenne a en effet présenté ses propositions de révision en mai dernier.
"Les enjeux sont considérables : définition de la brevetabilité des innovations végétales et risques de détention des voies d'amélioration par de grands groupes internationaux, marchés à conquérir au niveau mondial, maintien d'un tissu de PME innovantes, en Europe notamment", explique le CGSP en préambule. Mais aussi, "derrière la question des semences, c'est le devenir des modèles agricoles européens et la capacité de l'Europe à rester une grande puissance agricole et à assurer sa sécurité alimentaire qui sont en jeu".
A l'heure où l'agriculture est confrontée aux questions de diversité cultivée, d'adaptation au changement climatique mais aussi de pressions environnementales, la problématique des semences et des adaptations variétales est également essentielle.
"Le défi posé au secteur de l'innovation végétale est considérable : il s'agit d'appuyer le développement de la diversité des cultures - à fort mais également à faible marché - nécessaire à une multiplicité de systèmes de production. Cela implique notamment l'existence d'une diversité d'acteurs dans le secteur des semences". Ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui…
La France est le premier exportateur mondial de semences, avec 2,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont 44% à l'export (chiffres 2012). Si en France et en Europe, le secteur est porté par de nombreuses PME et coopératives, au niveau mondial, dix entreprises se partagent 60% du marché. Parmi elles, Limagrain, Syngenta Seeds, Bayer CropScience, BASF Plant Science, Monsanto... Or, cette concentration d'acteurs, ajoutée aux questions de propriété intellectuelle, pourrait nuire au maintien d'une agriculture diversifiée.
Limiter la propriété intellectuelle sur le vivant
Les questions de propriété intellectuelle sont apparues avec le développement des biotechnologies, afin de rémunérer les investissements en R&D.
En Europe, les semences innovantes sont généralement protégées par un certificat d'obtention végétale (COV). "Celui-ci s'est révélé très efficace pour permettre un progrès continu dans l'amélioration des plantes, notamment parce qu'il laisse aux sélectionneurs l'accès à l'ensemble des ressources génétiques disponibles pour innover", estime le CGSP.
Une variété protégée par un COV peut être utilisée pour créer de nouvelles variétés, qui peuvent être à leur tour commercialisées, sans que le détenteur du COV perçoive quoique ce soit. De même, le certificat d'obtention végétale n'interdit pas aux agriculteurs de prélever une partie de leur récolte pour la ressemer (pratique dite de "semences paysannes"). Cependant, les agriculteurs doivent verser en contrepartie une redevance. Le brevet, en interdisant ces pratiques, peut induire "une dépendance accrue des agriculteurs aux semenciers". Une situation déjà décriée dans de nombreuses régions du monde.
Or, prévient le CGSP, "le COV se trouve menacé par la montée en puissance ces vingt dernières années du brevet dans le domaine végétal, promu notamment par les firmes agrochimiques". En effet, "un nombre croissant de brevets sur des plantes ont été déposés et délivrés par l'Office européen des brevets, avec des revendications parfois très larges, qui questionnent la mise en application de la directive 98/44/CE, encadrant le brevet sur le vivant en Europe".
Si pour l'heure, la jurisprudence penche du côté de l'interdiction de breveter les procédés essentiellement biologiques ou les gênes naturellement présents dans les végétaux, le flou juridique doit être levé, estime le CGSP. En effet, certaines situations frôlent l'absurde. Par exemple, "l'entreprise hollandaise Rijk Zwaan, qui a obtenu un brevet sur des salades résistant à un puceron, issues d'un processus essentiellement biologique [90% des variétés de laitue commercialisées sont concernées par ce gène de résistance, issu d'une variété naturelle de laitue], a demandé, au nom de son brevet, des redevances aux sélectionneurs de semences potagères. L'entreprise Gautier Semences, ne pouvant financer un procès pour faire invalider le brevet, a donc dû payer des redevances à Rijk Zwaan pour continuer à exploiter sa variété". Le CGSP estime donc que la France doit plaider, au niveau communautaire, pour "soutenir la liberté d'accès à l'ensemble des ressources génétiques et défendre la non-brevetabilité des plantes et gènes naturels". Un groupe d'experts a déjà été lancé par la Commission européenne sur la possibilité d'une restriction de la protection juridique par brevet dans le domaine du vivant.
Semences paysannes et recherche pour les marchés de niche
La Commissariat rappelle également que le COV ne fait pas l'unanimité en France : "Des agriculteurs s'opposent à la rémunération de l'obtenteur dans le cadre de la pratique des semences de ferme, considérant jouir d'un “droit inaliénable” à réensemencer gratuitement leurs propres champs avec leur récolte, que la semence soit libre de droits ou non, considérant que l'obtenteur s'est aussi approprié le fruit de la sélection collective de l'activité millénaire des agriculteurs".
Alors que des accords entre producteurs et utilisateurs de semences doivent être conclu en France pour les 21 espèces pouvant faire l'objet de semences de ferme, celui-ci préconise de prendre en compte, dans la fixation des redevances, les intérêts des semenciers mais aussi ceux des agriculteurs.
Les pratiques de semences de fermes permettent notamment de répondre à des besoins "de niche", des semences plus adaptées aux caractéristiques locales de cultures ou à des besoins spécifiques. Alors que "les multinationales de l'agrochimie, bien que se diversifiant, se concentrent sur un nombre limité d'espèces (notamment maïs, soja, coton, riz, colza, blé et quelques espèces de légumes), (…) il apparaît essentiel d'éviter les phénomènes de “verrouillage”, restreignant l'innovation aux acteurs dominants de la filière".
Le CGSP préconise donc de mettre en place des programmes de recherche variétale sur des espèces complémentaires, peu cultivées, mais potentiellement importantes pour les systèmes agricoles durables (légumineuses par exemple). Ces programmes pourraient être financés par un Fonds de soutien à l'obtention végétale (FSOV). "Une autre possibilité serait de créer un fonds de recherche variétale financé par les filières. En effet, le développement des espèces peu cultivées mais potentiellement importantes pour l'agro-écologie nécessite un effort global d'organisation tout au long de la chaîne, depuis la sélection de la variété jusqu'à la mise en marché et la transformation".
Enfin, il faudrait reconnaître dans les règles communautaires, les variétés "population", qui ont une forte variété génétique, et qui ne peuvent aujourd'hui être ni échangées, ni commercialisées, car elles ne sont pas inscrites dans le catalogue officiel des semences et des variétés. Une piste qu'envisage la Commission européenne, qui a proposé, en juin dernier, des dérogations d'inscription au catalogue pour les semences produites en petite quantité, par des opérateurs représentant moins de deux millions de chiffres d'affaires.