Six mois. C'est le délai que le Conseil d'État donne au gouvernement pour interdire ou encadrer l'utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000, ce réseau d'aires protégées mis en place par la législation européenne.
La décision du Conseil d'État, rendue mardi 15 novembre, est le résultat d'une action lancée par France Nature Environnement (FNE), qui avait demandé au gouvernement, en septembre 2019, de prendre les mesures nécessaires pour réglementer l'utilisation des pesticides dans les zones de protection de la ressource en eau ainsi que dans les zones Natura 2000. N'ayant pas réagi à cette demande, la fédération d'associations de protection de la nature avait ensuite attaqué la décision implicite de rejet. La haute juridiction administrative lui donne aujourd'hui raison pour ce qui concerne cette seconde catégorie de zones protégées.
Méconnaissance de la directive européenne
« S'agissant des sites terrestres, les dispositions réglementaires en vigueur ne permettent pas de garantir que l'utilisation de pesticides sera systématiquement encadrée, voire interdite, dans ces zones sur le fondement du document d'objectifs, de la charte Natura 2000, voire des contrats Natura 2000 », juge le Conseil d'État. Autrement dit, les dispositions réglementaires en vigueur ne respectent pas la directive européenne relative à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ni les dispositions du Code rural prises pour sa transposition. Le juge administratif enjoint par conséquent aux quatre ministres concernés (Écologie, Santé, Agriculture, Économie) de prendre les mesures réglementaires nécessaires pour y remédier dans un délai de six mois.
Le Conseil d'État estime, en revanche, que le dispositif réglementaire existant est satisfaisant en ce qui concerne les sites Natura 2000 marins ainsi que les zones de captage de l'eau destinée à la consommation humaine. Il rejette donc les conclusions de FNE sur ces points.
« Cette décision vise à mettre un terme à plus de dix ans d'inaction coupable des gouvernements successifs trop à l'écoute des lobbies de l'agriculture chimique ou des syndicats majoritaires », se félicite Antoine Gatet, vice-président de France Nature Environnement. Le classement d'un site au titre du réseau Natura 2000 n'implique, en effet, pas de stopper les activités humaines ni d'ailleurs la construction d'infrastructures. Et le gouvernement s'était gardé de réglementer ou d'interdire l'utilisation des pesticides dans ces zones même s'il avait formellement transposé l'obligation européenne dans la loi.
« La démarche du réseau Natura 2000 privilégie la recherche collective d'une gestion équilibrée et durable des espaces qui tienne compte des préoccupations économiques et sociales », rappelle, à cet égard, le ministère de la Transition écologique sur son site. Pour chaque site Natura 2000, un comité de pilotage définit « des objectifs de conservation et des mesures de gestion qui sont ensuite mises en œuvre sous forme de chartes et de contrats cofinancés par l'Union européenne ».
Modifier certaines pratiques agricoles
Cette décision judiciaire, suivie par la nouvelle réglementation attendue, va devoir être prise en compte par les gestionnaires de ces sites et conduire à modifier certaines pratiques agricoles. Et cette injonction à agir n'est pas anodine lorsque l'on sait que les quelque 1 800 sites Natura 2000 français représentent 13 % de la surface terrestre métropolitaine. Et ce, même si les zones agricoles ne représentent que 15 % de cette surface. « En Camargue, entièrement Natura 2000, cette décision peut avoir un effet explosif sur la riziculture, grosse consommatrice de phytos… Il faudra bien veiller à ce que la réglementation prise soit à la hauteur des enjeux », réagit sur Twitter l'avocat Sébastien Mabile.
Contactés par Actu-Environnement, ni le ministère de la Transition écologique, ni la FNSEA n'ont souhaité réagir à cette décision de justice.
L'urgence de mieux protéger ces zones est pourtant là. Comme le rappelle Antoine Gatet, « seulement 20 % des écosystèmes et 28 % des espèces justifiant la désignation des sites Natura 2000 sont considérés en bon état de conservation ». Un chiffre qui révèle aussi les limites de l'approche contractuelle dans la protection des espaces naturels remarquables.