Par un arrêt en date du 23 novembre dernier, le Conseil d'Etat s'est de nouveau prononcé sur la question de la responsabilité du propriétaire d'un terrain pollué, alors que la pollution historique du site ne lui est pas imputable. La décision ne va pas ravir les propriétaires.
Le préfet compétent au titre de la police des déchets
Par sa jurisprudence "Wattelez" de 1997, le Conseil d'Etat avait considéré que le propriétaire d'un terrain ne pouvait se voir imposer par le préfet, en cette seule qualité, des mesures d'évacuation des déchets qui y étaient entreposés, au titre de la police des installations classées.
En revanche, dans une décision du 26 juillet dernier portant sur la même affaire, la Haute juridiction administrative a jugé que le maire, au titre de la police des déchets, peut imposer au propriétaire du terrain l'évacuation des déchets, en l'absence de détenteur connu, en particulier s'il a fait preuve de négligence.
Dans sa décision du 23 novembre 2011, le Conseil d'Etat va plus loin car il considère, sous certaines conditions, que le préfet est compétent pour exiger du propriétaire du terrain la dépollution du site au titre de la police des déchets.
Se fondant sur les articles L. 541-2 et L. 514-3 du Code de l'environnement, le Conseil d'Etat juge que "le détenteur des déchets de nature à porter atteinte à l'environnement a l'obligation d'en assurer l'élimination dans des conditions propres à éviter une telle atteinte". Le maire doit "prendre les mesures nécessaires pour assurer l'élimination des déchets dont l'abandon, le dépôt ou le traitement présentent des dangers pour l'environnement". En cas de carence municipale, le préfet doit prendre, sur le fondement des pouvoirs de police conférés au maire au titre de la police des déchets, "à l'égard du producteur ou du détenteur des déchets, les mesures propres à prévenir toute atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement".
De nouvelles possibilités juridiques données à l'Administration
On peut se poser la question de savoir si le Conseil d'Etat n'instaure pas par cette décision une obligation de remise en état des sites pollués par l'exploitation d'une installation classée non plus fondée sur la police des installations classées mais sur celle des déchets.
En tout état de cause, cette décision renforce les moyens juridiques à la disposition de l'Administration pour exiger la remise en état d'un site pollué par une installation classée. De façon prioritaire, elle s'adresse à l'exploitant en titre. A défaut d'exploitant, elle va actionner le propriétaire. Si elle ne peut le faire au titre de la police des installations classées, elle peut en revanche rechercher sa responsabilité en tant que détenteur des déchets au titre de la police des déchets, une fois la carence de l'autorité municipale constatée.
De plus, selon Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, l'obligation du détenteur ne se limite par à la question des déchets mais est étendue par cette décision à toutes les mesures requises pour la remise en état du site. "La précision est lourde de conséquences pratiques et financières puisque la remise en état d'un site ne se limite pas à l'évacuation des déchets mais, par exemple, doit comprendre le traitement des terres souillées", précise-t-il.
Une rupture d'égalité entre propriétaires de sites pollués ?
Pour Carl Enckell, avocat spécialisé en droit de l'environnement, cette décision fait application de la jurisprudence Van De Walle de la CJUE, datant de 2004, selon laquelle les sols pollués peuvent être qualifiés de déchets. Or, indique-t-il, le législateur européen a mis fin à cette jurisprudence via la directive cadre sur les déchets transposée en droit français par l'ordonnance du 17 décembre 2010. D'après cette dernière, modifiant l'article L. 541-4-1 du Code de l'environnement, "les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés au sol de manière permanente" ne sont pas soumis à la législation sur les déchets.
Il en résulterait, selon l'analyse de l'avocat, "une rupture d'égalité entre les propriétaires de sols pollués" ayant fait l'objet de prescriptions de remise en état avant la publication de l'ordonnance et les autres : "les premiers doivent payer la dépollution des sols alors même qu'ils n'y sont pour rien ; les seconds sont désormais légalement protégés par la disposition selon laquelle le propriétaire d'un sol pollué, en sa seule qualité de détenteur, n'a pas à devoir payer la dépollution sur le fondement de la législation déchets".
En tout état de cause, cette décision aura d'importantes conséquences, selon Arnaud Gossement. "Les acquéreurs de sites potentiellement ou réellement souillés par des déchets devront faire preuve d'une très grande prudence", avertit-il. "Très concrètement, la négociation des clauses de garantie de passif environnemental dans les actes de cession des terrains doit évoluer en fonction des termes de cette jurisprudence", ajoute-t-il.