Baisser leurs consommations d'énergie de 10 % d'ici deux ans, voire dès aujourd'hui pour aider le pays à « passer l'hiver » : tel est objectif assigné par le gouvernement aux entreprises en général, le 1er juillet dernier, et à celles du secteur de l'industrie en particulier, le 7 septembre. « Dans le contexte que nous traversons, la réussite du plan de sobriété permettra d'éviter les mesures contraignantes », ont prévenu sans détours les services d'Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Pour la plupart des spécialistes de la question, issus d'ONG, de laboratoires d'idées ou du monde professionnel, de telles économies de court terme n'ont rien d'impossible. Pour le seul secteur tertiaire, l'association Négawatt a ainsi transmis 40 propositions au gouvernement. Elles devraient permettre d'économiser entre 20 et 35 TWh, soit 9 à 15 % de l'énergie consommée dans ce secteur. « C'est la moitié du potentiel identifié, indique son porte-parole, Marc Jedliczka. Mais il faudra faire de vrais efforts et ne pas se contenter d'effets d'annonce. »
Des premiers petits gestes…
Avant même l'élaboration d'un diagnostic et d'un plan d'action, quelques initiatives simples, rapides et sans grands investissements peuvent déjà être lancées, avec un effet immédiat sur la consommation : recours plus important à la lumière naturelle, quitte à réorganiser les locaux, réduction de l'éclairage, notamment en extérieur, extinction des lampes quand plus personne n'en profite, via un détecteur de présence, le cas échéant... Sont également à éteindre plus systématiquement les imprimantes, serveurs informatiques, photocopieurs, distributeurs de boissons et systèmes de ventilation, allumés par millions, la nuit, en pure perte. La fonction veille des ordinateurs pourrait par ailleurs être mieux paramétrée, le contenu des équipements nettoyé plus souvent et la taille des équipements mieux dimensionnés. Mais attention, avertit Marc Jedliczka, il ne suffit pas de décider de toutes ces mesures. « Il faut aussi s'assurer qu'elles vont s'appliquer, les inscrire dans les process et les placer sous la responsabilité d'un collaborateur identifié, garant de la méthode. »
… aux mesures plus impactantes
Mais l'un des tout premiers leviers à actionner, largement promu par l'exécutif bien que déjà obligatoire, reste malgré tout l'abaissement du chauffage à 19 °C. « Un degré de moins permet de réduire la consommation de 7 % », répète inlassablement l'Ademe. La démarche risque cependant de s'avérer bien moins efficace si la chaudière est mal entretenue. « Il est donc important de négocier un vrai contrat de maintenance et ne pas se contenter d'un contrôle périodique », souligne Pierre de Montlivault, président de la Fédération des services énergie et environnement (Fedene). Pour un maximum d'efficacité, la tuyauterie doit aussi bénéficier d'un désembouage et d'un rééquilibrage. « Un tuyau qui comporte trop de dépôts transporte moins bien la chaleur et entraîne une surconsommation d'énergie, explique Pierre de Montlivault. Quant au rééquilibrage du réseau, il permet de diffuser la chaleur uniformément dans tous les espaces et d'éviter de chauffer plus fort le rez-de-chaussée afin que le deuxième étage ne grelotte pas. »
De la même manière, selon l'Ademe, monter la climatisation de 22 °C à 26 °C divise par deux l'énergie consommée. Pour donner plus de poids à ces « petits gestes », la Fedene préconise le pilotage des thermostats à distance et en temps réel, voire pièce par pièce, via les outils numériques. Une solution qui a conduit une école de Limoges à couper systématiquement le chauffage le week-end, totalisant 30 % d'économies.
Des économies contractualisées
Plus longs à mettre en place, jusqu'à un an et demi, mais deux fois plus efficaces, des contrats de performance peuvent, en outre, engager les entreprises de la Fedene en termes de résultats, auprès de ses clients, après un bilan complet des installations. Aujourd'hui, facilitée par le recensement des historiques de consommation dans le cadre du décret Tertiaire, mais également transposable à l'industrie, cette démarche offre un retour sur investissement rapide. Afin d'étendre son déploiement aux process industriels, la Fedene plaide pour leur inclusion dans les « coups de pouce » des CEE. « Totaliser 10 % d'économies d'énergie dans l'industrie, cela représente beaucoup », insiste Pierre de Montlivault.
Autre mesure à prendre, lorsque c'est possible, et opérationnelle en quelques semaines seulement : le raccordement de l'entreprise à un réseau de chaleur local. Ces infrastructures performantes en termes d'efficacité énergétique bénéficient aujourd'hui déjà d'un « coup de pouce » dans le cadre des CEE. « Elles sont aussi alimentées à près de 65 % en énergies renouvelables, précise Pierre de Montlivault. Nous avons calculé que si tous les bâtiments, y compris les logements, se connectaient à ces réseaux, quand ils existent, nous gagnerions 2 TWh de gaz. » Le même raisonnement s'applique aux réseaux de froid, moins nombreux pour le moment, et qui devraient, selon la Fedene, bénéficier d'une TVA réduite.
Modernisation des process et changement de paradigmes
Diagnostics flux et effacement : deux accompagnements de l'Ademe
Mis en place par l'Ademe et Bpifrance, le dispositif Diag Eco-Flux offre l'occasion aux entreprises, sur douze mois, d'identifier leurs axes prioritaires en matière de réduction de leurs dépenses en énergie, eau et matières, puis de bâtir un plan d'action. L'Ademe propose aussi aux industriels de prendre en charge leur audit d'effacement de leur consommation électrique, dans le cadre de son initiative Expedite (Expérimentations d'accompagnement pour favoriser la décarbonation industrielle et la transition énergétique). Date de clôture des candidatures : le 5 octobre prochain.
Ces suggestions seront-elles mises en œuvre par les intéressés ? Un début de réponse sera apporté lors de la présentation par le gouvernement du plan national de sobriété, ensuite décliné secteur par secteur, fin septembre. Dans un second temps débutera, peut-être, une autre phase de la réflexion, consacrée cette fois à la sobriété en termes de ressources matières, donc à l'augmentation de la durée de vie des équipements et à l'écoconception, puisque des pièces usinées parties en chute ou en rebuts représentent autant d'énergie dépensée en vain.