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AccueilPhilippe BihouixPour une société durable, sobre et résiliente… Osons le low-tech !

Pour une société durable, sobre et résiliente… Osons le low-tech !

Dans sa nouvelle note, la Fabrique écologique, s'intéresse au "low-tech". Que recouvre ce concept ? Quels sont les atouts de ces technologies ? Comment accélérer leur déploiement ? Philippe Bihouix, président du groupe de travail, répond à ces questions.

Publié le 22/10/2018
Actu-Environnement le Mensuel N°385
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°385
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Une innovation low-tech ? Quel est cet étrange oxymore ? Chacun sait que l'innovation c'est justement le high-tech, les applications numériques, les drones autonomes, l'intelligence artificielle, les biotechnologies, les nanomatériaux ! Drôle d'idée de réfléchir à ce concept qui semble nous proposer le retour à la bougie ou à l'âge des cavernes !

Certes, le terme low-tech ne fait pas rêver comme le high-tech et ses applications futuristes. Et pourtant, si c'était là que se situait la vraie modernité et le courage d'innover ? Le constat ne fait plus de doute, notre système technique et économique se heurte aux limites de la planète, qui n'a plus la capacité à lui fournir des ressources – essentiellement fossiles et non renouvelables – et à en absorber les rejets, comme le démontrent le changement climatique et la pollution généralisée irréversibles. Si ce constat ne fait plus débat, les divergences persistent tant dans l'appréciation de la gravité de la situation que dans les réponses à mettre en place.

Les low-tech, accélérateur de la transition écologique

Parmi les solutions envisagées, le rôle des technologies "vertes" et intelligentes est central. Elles sont souvent présentées comme la clé pour résoudre le défi planétaire : énergies renouvelables terrestres et marines, smart cities optimisées, outils numériques, nano-bio-technologies, etc. Mais à y regarder de plus près, il serait dangereux de faire reposer la transition écologique uniquement sur l'innovation technologique. Les high-tech nécessitent aussi des ressources naturelles et ont bien souvent tendance à accélérer notre modèle "extractiviste" : souvent composées de matériaux rares et difficiles à recycler, elles rendent les espoirs d'une économie circulaire peu probables. De plus, le système high-tech provoque son lot de problématiques sociales, humaines et politiques (populations expulsées ou exploitées, dépendance aux multinationales, évasion fiscale, etc.).

Si le tout high-tech n'est pas l'eldorado promis par certains, il est indispensable de penser différemment et de développer, en parallèle, le concept et les initiatives dites "low-tech". Ce terme formé par antonymie des high-tech, au contour encore flou, désigne des innovations durables (produits ou services) prenant mieux en compte les contraintes sur les ressources, se focalisant sur le développement de technologies sobres, agiles et résilientes. Ces solutions alternatives émergent et suscitent un intérêt croissant dans de nombreux secteurs : industrie et services (mouvement des fab labs ou "do it yourself"), réemploi et réparation ("recycleries – ressourceries", ateliers de réparation locaux), agriculture et alimentation (permaculture, mouvement slow food), etc.

Les exemples sont nombreux, l'engouement est réel, mais cette innovation low-tech peine à se généraliser et à être reconnue. Pourtant, elle pourrait être un véritable accélérateur de la nécessaire transition écologique et énergétique, basée sur une technique au service de l'homme, créatrice d'emplois locaux, participant à la résilience des territoires et porteuse d'un nouveau récit positif.

Comment développer les technologies sobres et résilientes ? Comment lever les freins à leur déploiement ? Trois propositions concrètes et volontaristes sont avancées dans la note de La Fabrique Ecologique "Vers des technologies sobres et résilientes – Pourquoi et comment développer l'innovation low-tech ?"1.

Trois propositions pour les développer

Basculer les cotisations sociales vers une fiscalité environnementale ambitieuse en faisant porter progressivement le coût de la protection sociale par une fiscalité environnementale. Dans les entreprises et les administrations, les arbitrages sur les choix d'organisation, les modes de production, la rentabilité des projets, l'utilité des investissements, s'en trouveraient profondément modifiés, en faveur de l'emploi humain et des effets environnementaux bénéfiques. Cette évolution permettrait l'émergence d'une économie "post-croissance" plus riche en travail et plus économe en ressources. L'augmentation prévue pour la contribution climat-énergie d'ici 2022 est un bon signal, mais il faut aller beaucoup plus loin, la taxe carbone représentant pour l'instant moins d'1% du montant des cotisations sociales.

Faire de la France la première "low-tech nation", championne de la réparation, du réemploi et du zéro déchet en impulsant une véritable dynamique à toutes les échelles territoriales pour soutenir les démarches low-tech. L'ambition pourrait être d'ouvrir, dans chaque agglomération, dans chaque commune ou dans chaque quartier, un lieu de réparation citoyenne et une "recyclerie – ressourcerie" favorisant le réemploi. Des initiatives zéro déchet / zéro gâchis pourraient être lancées dans toutes les administrations, les écoles et les entreprises publiques. Citoyennes, citoyens, face à l'urgence climatique, tous à vos composts de combat ! Des actions de sensibilisation, d'éducation et de formation appuieraient cette dynamique.

Créer une "Cour de défense du bien commun" qui aurait notamment pour rôle d'autoriser ou d'interdire la production ou la commercialisation des produits et services, sur la base de leur impact environnemental. Composée par exemple de jurés tirés au sort pour garantir leur indépendance, elle pourrait statuer selon une grille d'évaluation à définir, qui devrait au moins mettre en balance "l'utilité" sociale et les impacts environnementaux portés par la collectivité.

Prendre le parti de la lucidité et de la responsabilité

Certains jugeront que ces propositions et la volonté de bâtir une nouvelle société plus durable et résiliente relèvent de l'utopie. Nous leur rappellerons que de nombreux progrès de l'humanité ont commencé par être des utopies ; ainsi du droit de vote pour les femmes, ou de la fin de la traite et de l'esclavage par exemple. Et n'est-il pas plutôt utopique de croire que nos sociétés peuvent continuer sur leur trajectoire "accélérationniste" – avec des courbes de consommation exponentielles – jusqu'à la nuit des temps, grâce au progrès technologique ? Et si non, quel autre scénario "d'atterrissage" envisager ?

Il est plus que temps de prendre le parti de la lucidité et de la responsabilité : envisager et construire des alternatives, ouvrir des pistes, expérimenter d'autres modèles plus sobres, développer la diversité, l'autonomie et les approches locales, facteurs de résilience, d'inclusion, de réalisation personnelle et collective… en un mot, d'oser le low-tech !

Avis d'expert proposé par Philippe Bihouix, président du groupe de travail sur les low-tech à la Fabrique Ecologique

1 Consulter la note
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-32241-PDF.pdf

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6 Commentaires

Jaco

Le 23/10/2018 à 10h10

Ca fait du bien de lire des propos constructifs vers une solution durable.
Merci!

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Ano

Le 23/10/2018 à 13h26

"La taxe carbone"... Parce que le carbone serait une pollution ? notre corps en est fait. Depuis l'embryon, notre sang en est plein. Les plantes s'en délectent et il y en avait 3 à 10 fois plus (300 à 1000%) dans des époques géologiques les plus foisonnantes de vie en mer et sur terre.
Les prolos payent la taxe carbone que le Vice-Président honoraire du GIEC et CEA, Jean Jouzel veut multiplier par trois, comme l’encourage et félicite ici P. Bihouix. En même temps la même élite supprime les petits trains pour des bus (les vélos on les met où ?) et qu'on interdit le vélo dans ces TGV qui consomment énormément d'électricité puisqu'ils vont (trop) vite et s'arrêtent une fois tous les 200 km.
Avions = 12 % du pétrole des transport du globe (chiffre 2004 Banque mondiale, ça a forcément augmenté depuis). Outre les neurones de l'élite, du GIEC notamment, ils transportent surtout le jet-fuel pour aller au bout du voyage et quasi rien d'autre. Taxe carbone pour cette élite écolotech tout le temps dans les airs ? ZERO.
Tant que toute personne se présentant comme écolo mettra un mouchoir sur cette honteuse injustice je-m'en-fout-iste du bas peuple, on saura qu'il/elle a un faux nez. Quand P. Bihouix explique : "en parallèle" au high tech, on a tout compris : un nonos à ronger pour les nombreu/x/ses crédules... le nucléaire a besoin de milliards, faut les trouver.

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Manfredo

Le 23/10/2018 à 16h42

Je suis tout à fait d’accord avec les propositions énoncées, mais......
Un bon outil serait à mon avis d'avoir une loi contre l'obsolescence programmée dans les produits industriels, afin de pouvoir condamner lourdement les contrevenants. Pour l'instant ce n'est même pas un délit, puisque c'est un outil de "croissance".

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Euplectes

Le 24/10/2018 à 0h29

Monsieur l'Expert, j'admire votre élan sincère, votre passion, votre volonté de convaincre et votre sens du verbe. Vous mesurez l'ampleur de la tâche, et je ne m'interdis pas de penser que vous pourriez avoir raison lorsque vous prônez certains retours en arrière.

On pourra vous répondre ex abrupto, que vous "préférez punir Prométhée et Icare, et rêver de l'âge d'or qui précéda l'âge du fer" comme l'écrit Anne Pieiller dans Le Monde diplomatique de ce mois. Je ne pense pas ceci, en ce qui vous concerne, tant me séduit votre discours.

Mais le "Progrès", s'il conduit à certaines situations scabreuses ou inquiétantes, a aussi des mérites. Parmi ceux-ci, je voudrais attirer votre attention sur ce que vous appelez "recyclages et ressourceries" (une goutte d'eau dans votre océan): il est de bon ton, dans des sphères fort respectables, d'encourager le réemploi des produits alimentaires dont la date de péremption est dépassée et de les reconditionner pour la consommation des plus nécessiteux, alors qu'il n'est pas suffisamment établi qu'ils ne présenteraient aucun risque de danger accru pour la santé.

A travers ce minuscule exemple, gardons nous donc de démolir ce que le progrès nous apporte déjà de mieux, la santé, la longévité, l'égalité, la dignité, le respect de la personne humaine, les arts de vivre (ils sont divers), les droits et les devoirs; restaurons l'égalité des chances; et d'accord, tentons de modifier les pentes des courbes "accélérationnistes". (...)




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Euplectes

Le 24/10/2018 à 1h02

(...) N'oublions pas que le Progrès, né dans les démocraties occidentales, dispense toujours ses bienfaits dans les pays "émergents", et conforte les valeurs fondamentales énumérées plus haut, gages de paix plus durable et de meilleure prospérité.

Le high-tec et le low-tec ne devraient pas être radicalement opposés, mais raisonnablement conciliés. Ces choix de société ne doivent pas être ennemis. La décroissance que vous préconisez pour nos pays occidentaux pourrait ainsi servir d'exemple vertueux, si (et seulement si) il ne s'agissait pas d'une décroissance de la courbe, mais d'une décroissance de pente de la courbe.

Si j'osais comparer le Progrès à un cône géométrique, je dirais que la verticale passant par la pointe du cône qui s'élève ne doit pas franchir la limite de la surface de sa base, sinon le cône basculera. Vous l'estimez déjà bien instable et peut-être n'avez-vous pas tort.
C'est pourquoi toute action projetée sur cet édifice instable devrait être longuement réfléchie, sérieusement étudiée et soigneusement expérimentée, afin de ne pas provoquer sa chute et avec lui, la chute des valeurs fondamentales énumérées plus haut.

Veuillez agréer, Monsieur l'Expert, l'expression de mon profond respect.

Euplectes

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Gaia94

Le 20/11/2018 à 16h23

Bien sûr que c'est ce vers quoi il faut tendre! Mais le citoyen moyen n'est pas encore tout à fait prêt et surtout les décideurs de tout poil vont s'y opposer avec la dernière énergie. Car ce modèle plus vertueux élimine les profits faciles et rapides, générés par la consommation effrénée et les taxes et impôts qui vont avec ; or les politiques et associés n'ont pas beaucoup d'imagination pour réinventer le système et ils n'ont pas vraiment envie de se fatiguer les méninges en ce sens. Il ne faudra que compter sur des citoyens intelligents, courageux et très inventifs, qui ne seront suivis que si ce qu'ils proposent induit des richesses, richesses qui ne seront pas visibles immédiatement et surtout qui seront davantage partagées par tous : ce qui ne fait pas l’affaire des plus riches.

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