"Un projet créateur d'emploi, mais aussi une « mine au service de l'environnement »". C'est en ces termes que le projet de stockage souterrain de déchets Stocamine a été présenté dans les années 1990 aux habitants et aux élus locaux de Wittelsheim (Haut-Rhin). Ce projet visait à stocker des déchets dangereux dans une ancienne mine de potasse.
"Le fait qu'initialement, le projet a été autorisé pour une durée de trente ans avec un engagement de réversibilité de tous les experts présents à cette époque est l'argument principal qui a permis aux élus locaux et à la population d'accepter le projet de stockage. Ce projet Stocamine repose donc, au mieux, sur un énorme quiproquo, au pire, sur un mensonge d'État", révèle le député Modem Bruno Fuchs, co-auteur d'un rapport d'information rendu public ce mardi 18 septembre.
En effet, indiquent les rapporteurs, "cet engagement de réversibilité n'a pas été respecté : détérioration des contenants, effondrement des galeries de stockage, méconnaissance de la nature précise des déchets stockés, etc., constituent autant d'éléments qui démontrent que la possibilité de retirer les déchets a été rendue particulièrement difficile". Pourtant, malgré les risques existants, les députés préconisent le retrait afin d'éviter un risque plus grand encore : la contamination de la plus grande nappe phréatique d'Europe avec un cocktail de déchets dangereux allant des déchets arséniés aux produits phytosanitaires, en passant par l'amiante ou encore des déchets de laboratoires.
Carences successives alimentant la défiance de la population
Au final, le site n'a fonctionné que trois ans de 1997 à 2002. Mais le problème de la gestion des quelque 44.000 tonnes de déchets dangereux stockés au fond de la mine reste quasiment entier depuis l'arrêt d'exploitation. Seules des opérations de retrait de déchets mercuriels ont été réalisées entre 2014 et 2017. Et en mars 2017, le préfet du Haut-Rhin signait un arrêté autorisant l'exploitant, les Mines de potasse d'Alsace (MDPA), à prolonger pour une durée illimitée le stockage souterrain des déchets.
L'arrêt d'exploitation de 2002 avait résulté d'un incendie d'une des galeries de stockage. "Cet incendie, pour lequel la justice a montré qu'il était lié à un non-respect des prescriptions de l'arrêté préfectoral ayant autorisé le projet, est révélateur des carences successives qui ont caractérisé ce projet et qui ont alimenté la défiance de la population", indiquent les co-rapporteurs.
Outre l'incendie, expliquent-ils, de nombreuses hypothèses de départ se sont révélées fausses. En particulier, le phénomène de convergence des galeries de stockage qui, plus rapide que prévu, "risque d'enfermer les déchets sans possibilité de les ressortir". Les rapporteurs pointent par ailleurs des évaluations "fluctuantes, au détriment de la préservation de l'environnement" concernant plusieurs paramètres techniques : solubilité des polluants dans l'eau, risque d'ennoiement de la mine, contamination potentielle de la nappe phréatique.
Agglomérat de big-bags et de déchets
Les députés recommandent de déstocker l'ensemble des déchets, à l'exception de ceux contenus dans le bloc incendié en 2002. Sous réserve toutefois que l'étude du BRGM, commandée en avril dernier par Nicolas Hulot et qui doit être remise fin octobre, n'exclut pas la faisabilité technique de ce déstockage. Et sous réserve également qu'il existe une solution de restockage des déchets offrant de meilleures garanties que les conditions actuelles. Le stockage en Allemagne dans des sites éloignés des nappes phréatiques est l'une des solutions envisagées.
Par précaution, les députés souhaitent toutefois que soit conservée la possibilité de mettre en œuvre le confinement des déchets s'il apparaît, en cours d'opération, que le déstockage ne pourra être mené à son terme. "Cette recommandation, qui implique de surveiller l'évolution géologique du stockage au cours des opérations, vise à éviter que des déchets demeurent au fond de la mine, sans pour autant [qu'aient été mises] en place les barrières de confinement nécessaires à l'imperméabilité du site de stockage", expliquent les rapporteurs.
Ceux-ci préconisent par ailleurs une analyse précise du bloc incendié en 2002 afin de connaître la nature et la quantité des déchets entreposés. Selon Philippe Merle, chef du service des risques technologiques au ministère de la Transition écologique, le contenu de la galerie consiste en "un agglomérat de big-bags et de déchets qui ont subi des réactions chimiques. L'eau qui s'y est retrouvée, mélangée au sel, a formé un mélange mou entouré d'une couche de croûte de sel, elle-même contaminée par les déchets". Si l'étude révèle l'absence d'impact significatif des déchets stockés sur la nappe phréatique, ce qui paraîtrait étonnant compte tenu de cette description, les députés préconisent le confinement du bloc.
Décision irréversible
Selon les Mines de potasse d'Alsace, le coût du déstockage s'élèverait entre 393 et 480 millions d'euros et demanderait entre 12 et 24 ans. Mais les rapporteurs émettent "des doutes sérieux" sur la durée des scénarios avancés, doutes qu'ils souhaiteraient voir levés par l'étude du BRGM.
En tout état de cause, "si l'inaction persiste sur ce dossier, c'est la nature, par la convergence des galeries, qui nous imposera une décision irréversible dont l'Homme sera éternellement responsable", prévient gravement le député LR Raphaël Schellenberger, co-rapporteur de la mission d'information.