Quels déchets ont été déstockés entre septembre 2014 et juillet 2015 (1) ? Quel est le scénario précis du programme de déstockage à venir, notamment s'agissant des types de déchets et de leur emplacement ? Quel est le devenir des déchets ? A quel rythme, et dans quel ordre, le programme sera-t-il exécuté ?
Telles sont les principales questions pointées par l'avis rendu sur le projet de prolongation (2) pour une durée illimitée du stockage souterrain de produits dangereux sur le site de la société Stocamine à Wittelsheim (Haut-Rhin), par l'autorité environnementale (Ae) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie mercredi 9 septembre.
Histoire d'un site unique
En 1997, la société Stocamine a été autorisée à stocker des déchets dans une ancienne mine de sel. L'autorisation visait la création d'"un centre de stockage souterrain réversible", rappelle l'Ae, précisant qu'"il s'agissait de la seule installation, en France, de stockage de déchets dangereux ultimes dits « de classe 0 »", c'est-à-dire des déchets particulièrement dangereux contenant, entre autres des substances du mercure, de l'arsenic, du chrome, de l'antimoine ou du cyanure.
Le 10 septembre 2002 est survenu un incendie dans un des casiers de stockage, obligeant l'exploitant à interrompre le stockage. "Les suites données à l'incendie ont été très lentes", déplore l'Autorité. Après l'arrêt de l'acceptation de nouveaux déchets, une décision de fermeture du stockage et de prolongation de son autorisation pour une durée illimitée nécessitait au préalable l'adoption d'une loi en 2004 et des textes d'application en 2006.
Finalement, après une concertation publique fin 2013, Ségolène Royal a demandé le déstockage partiel du site.
Un projet imprécis et défini de façon variable
Le dossier "reste encore imprécis sur la consistance du projet", estime l'Ae, déplorant que "le concept de « déstockage partiel » [soit] défini de façon variable, selon les différentes pièces du dossier". Elle recommande en particulier d'évaluer les impacts des déchets déstockés, en fonction des filières retenues. Ce point est d'autant plus crucial, compte tenu du "caractère illimité, et donc irréversible, du projet [qui] justifiait un niveau d'analyse bien supérieur à celui qui est couramment pratiqué pour des installations à caractère réversible".
Le constat de l'Ae relatif aux informations manquantes dans le dossier est particulièrement éloquent. Elle estime que le porteur du projet "[ne rappelle pas] les déstockages déjà réalisés" de septembre 2014 à juillet 2015, "[ne décrit pas] de façon précise le scénario de déstockage partiel retenu dans le dossier pour les différents groupes de déchets et les différents blocs", "[n'indique pas] la destination des déchets déstockés ou déplacés", "[ne décrit pas] de façon plus générale les modalités de gestion de ce type de déchets à l'avenir, en particulier si les autorisations de stockage dans les mines de sel allemandes n'étaient pas renouvelées" et "[n'indique pas] le rythme et l'ordre selon lequel il prévoit de [mener à bien le déstockage]".
Vers une réévaluation du mercure présent sur le site ?
Pour l'Autorité, les enjeux environnementaux sont nombreux. Il s'agit en premier lieu du passage d'un stockage réversible à un stockage définitif qui entraîne "la modification significative de l'horizon temporel des impacts du projet". Ainsi, l'enjeu en terme de protection de la nappe phréatique d'Alsace à très long terme devrait être évalué "en tenant compte d'un renforcement possible du niveau d'exigence des générations futures et d'éventuels progrès dans la connaissance des effets des substances toxiques". L'enjeu est similaire pour les milieux qui pourraient être impactés par les sites de stockage allemands retenus pour y transférer les déchets de Stocamine. S'agissant de la protection des travailleurs chargés des interventions dans le site de stockage, il convient d'être plus attentif à l'enjeu lié à la rapidité de l'intervention envisagée. Enfin, il existe un "enjeu majeur [de] restauration de la confiance dans l'expertise et la parole publiques". Celui-ci impose un devoir de prudence quant aux prévisions du dossier et une écoute attentive des parties prenantes.
En conséquence, l'Ae émet une série de recommandations. Elle suggère en particulier "de clarifier le caractère ultime des déchets présents dans le centre de stockage et notamment de justifier l'absence d'alternative à leur stockage définitif". Elle aimerait aussi que toutes les hypothèses du scénario retenu soient exposées. Il s'agit notamment "d'expliciter les situations qui pourraient conduire à ne pas respecter l'objectif de retrait de 9 % du mercure stocké", explique l'Ae, appelant à l'élaboration d'"un processus qui permette de traiter, de façon transparente, les différentes situations rencontrées".
Concernant les aspects plus techniques, l'Autorité voudrait voir précisés l'étude hydrogéologique de l'ennoyage de la mine, les informations concernant l'efficacité du confinement, la modélisation du transfert des substances toxiques vers la nappe ("sans considérer a priori que les conclusions sur le mercure sont transposables aux autres substances sans discussion"), ou encore l'évaluation quantitative des risques.
Enfin, l'Ae recommande de réaliser des analyses des teneurs en mercure par type de déchet pour s'assurer que certains lots de déchets ne contiennent pas de mercure. La remarque n'est pas anodine, car cette évaluation précise des déchets pourrait conduire à "redéfinir les objectifs de déstockage partiel". A ce sujet, l'Ae rappelle que l'enquête réalisée suite à l'incendie de septembre 2002 avait démontré que le lot de déchets en cause n'avait pas été correctement contrôlé, pour cause de présence d'amiante. Par la suite, la procédure pénale avait révélé "qu'une faute avait été commise par l'ancienne direction de Stocamine, car de nombreux signaux de pré-alerte avaient été perçus", puisque le personnel avait rapporté à la direction des doutes quant au contenu des déchets enfouis.