En 2015, la France s'est lancée dans un nouvel exercice : élaborer une stratégie bas-carbone pour arriver à la neutralité en 2050. Une batterie d'indicateurs l'accompagne pour suivre les évolutions et vérifier qu'elle est respectée. Le premier bilan pour 2016 faisait état d'un échec. Les émissions de CO2 françaises avaient dépassé de plus de 3% la cible. A l'occasion du dernier comité de suivi de juillet, le ministère de la Transition écologique a présenté de nouvelles données tout aussi décevantes. Le premier budget carbone (2015-2018) sera dépassé d'environ 18 Mt/an. Le dépassement du deuxième budget (2019-2023) pourrait être de 24 Mt/an. Pourquoi un tel écart avec les budgets carbone évalués en 2015 ? Parce que tout ne va pas aussi vite que prévu.
Des scénarios à renforcer
Les budgets carbone sont en effet calculés selon un scénario complexe dont les données d'entrées sont nombreuses : évolution du PIB, démographie, puits de carbone, consommation d'énergie, vente de voitures électriques, nombre de bâtiments rénovés, développement des énergies renouvelables, etc. La révision de la SNBC est d'ailleurs concomitante avec la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Or, après trois ans, certains critères ont évolué et permettent d'envisager des émissions à la hausse ou à la baisse selon les secteurs.
Ainsi, en matière de consommation de charbon, de pétrole et de gaz, l'objectif de réduction de 30% en 2030 sera dépassé. De même, le développement de la chaleur et de l'électricité renouvelables sera quasiment au rendez-vous. Au final, d'ici 2050, la France aura réduit de 85% ses émissions de CO2 par rapport à 1990 et aura quasiment atteint la neutralité carbone (à 1 million de tonnes près). Par contre, elle ne sera pas dans les clous en matière de consommation d'énergie finale et de carburants. Deux secteurs sont particulièrement à la traîne : les transports et le bâtiment. Et, en la matière, l'Etat a revu à la baisse ses ambitions.
Une mise à jour risquée
"Au lieu de 700.000 rénovations de logements par an, l'Etat table désormais sur 500.000. En transport, il ne prend pas assez en compte le report modal et n'envisage pas de réduction des besoins de mobilité, regrette Anne Bringault, coordinatrice sur la transition énergétique pour le Cler et le Réseau Action Climat. Quelle exemplarité alors que les collectivités sont elles-mêmes en train de finaliser leurs plans et schémas sur la base des objectifs de la loi de transition énergétique !", ajoute-t-elle. Le gouvernement joue la carte de la "vérité" et du "réalisme" pour justifier ses choix. Des choix discutables selon Olivier Sidler, membre de l'équipe Négawatt et spécialiste des exercices prospectifs. "La France atteindra les objectifs de sa loi LTE mais d'une façon risquée qui pourrait échouer. Le scénario n'est pas assez ambitieux en matière de sobriété et d'efficacité énergétique. Il table par exemple sur une production d'électricité de 600 à 650 TWh d'ici 2050, c'est deux fois plus que le scénario Négawatt et n'intègre même pas les directives européennes en matière d'efficacité", explique le spécialiste, qui s'inquiète aussi du rôle prépondérant que jouera la biomasse dans l'équation française. Pour Lorelei Limousin, responsable des politiques transport au RAC, "plutôt que de miser massivement sur le report modal vers d'autres modes de transport que le routier et l'efficacité énergétique des véhicules, le gouvernement se tourne vers de fausses solutions comme les biocarburants. C'est irresponsable d'un point de vue climatique mais également sanitaire."
"Désormais, la courbe de réduction des gaz à effet de serre jusqu'à 2050 n'est plus linéaire. Or, plus on décale, plus c'est risqué de passer à côté de l'objectif à long terme", alerte Anne Bringault. Comment, en effet, garantir l'atteinte de la neutralité carbone si chaque budget carbone est réajusté à chaque révision ? Une stratégie de la sorte permet-elle vraiment d'orienter les politiques publiques ?
Un exercice ambitieux mais exigeant
La France n'est pas la seule à s'être lancée dans l'élaboration d'une telle stratégie. Ils sont une dizaine de pays en Europe à avoir préparé un budget carbone. La France a le mérite de l'avoir divisé par secteur d'activité, une manière de responsabiliser tous les acteurs et éviter que l'effort ne se concentre que sur le plus facile. Pour Nicolas Berghmans, chercheur en politique Energie-Climat à l'Iddri, l'exercice de la SNBC mérite d'être poursuivi. "L'objectif de neutralité en 2050 est ambitieux. Il amène tous les acteurs à se poser la question sur leur rôle. L'effet mobilisateur est important".
Mais pour que l'exercice soit utile, il doit servir de thermomètre et provoquer le passage à l'action, la prise de décision. Or, les dernières mesures présentées dans le plan rénovation et le plan transport ne seront pas suffisantes. "Le plan rénovation n'encourage pas les rénovations ambitieuses au niveau BBC alors que c'est bien l'objectif prévu en 2050. Tout le parc devra être rénové à ce niveau", regrette Anne Bringault. "Il y a clairement besoin d'un changement de braquet à court terme, renchérit Nicolas Bergman. Les plans sont incomplets. On manque d'éléments sur le vélo ou le transport de fret".
Les projets de SNBC et de PPE seront soumis pour consultation à l'automne. Il reste donc six mois aux associations pour convaincre le ministère de renforcer leur scénario et leurs mesures.