"L'information du public (…) permet le développement d'une véritable culture de la sécurité. Cette information ne doit cependant pas nuire à la sûreté des sites en facilitant la commission d'actes de malveillance", explique le ministère de la Transition écologique pour justifier l'instruction qu'il s'apprête, avec le ministère de l'Intérieur, à communiquer aux préfets. Le document a été examiné par le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) le 5 septembre et devrait être soumis dans les plus brefs délais à la signature de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, selon l'association Robin des bois qui l'a révélé.
Ni communicables, ni consultables
Le document s'adresse de façon prioritaire aux établissements Seveso mais également aux ICPE soumises à simple autorisation "dont l'activité présenterait une sensibilité particulière", ainsi qu'aux ICPE relevant du ministère de la Défense. Il établit une hiérarchisation des données en fonction de leur sensibilité. De façon générale, les documents destinés à l'information du public, tels que les résumés non techniques des études d'impact et de dangers, les compte-rendus des commissions de suivi de sites ou encore les avis de l'autorité environnementale, restent communicables dès lors qu'ils ne contiennent aucune information sensible.
En revanche, ceux susceptibles de contenir de telles informations comme les études d'impact et les études de dangers proprement dites, les rapports de l'inspection des installations classées, les arrêtés préfectoraux, les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), ou encore les plans particuliers d'intervention (PPI), font l'objet de réserves de communication. Ainsi, parmi les données ni communicables ni consultables figurent les quantités de substances dangereuses effectivement présentes sur le site à un moment donné ainsi que la description des dispositifs de surveillance. Les documents devront occulter ou disjoindre ces informations sensibles. D'autres documents non communicables pourront toutefois être consultés en préfecture "dans des conditions contrôlées, pour des personnes en justifiant un intérêt". Mais ils ne pourront être ni photographiés ni photocopiés.
Les restrictions portent également sur les instances de concertation. Elles imposent la discrétion aux membres du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) et de la commission départementale de la nature des paysages et des sites (CDNPS). Le texte impose également de ne pas communiquer d'informations sensibles dans les supports remis aux participants des comités de suivi des sites ou lors des réunions publiques.
"L'Etat démantèle la culture collective de sécurité"
La décision de restreindre l'accès aux données sensibles avait été plébiscitée par les industriels dès son annonce par les autorités. "L'accessibilité des informations est un vrai défi, on ne peut pas tout mettre sur Internet", avait réagi Jean Pelin, directeur général de l'Union des industries chimiques (UIC), en juin 2016 lors d'une table ronde à l'Assemblée nationale. Cette décision avait également été plutôt bien acceptée par les syndicats et les ONG, même si ceux-ci pointaient déjà la difficulté d'obtenir des informations auprès de l'Administration.
La hiérarchisation des données en fonction de leur sensibilité a été réalisée en concertation avec l'UIC, l'Union française des industries pétrolières (Ufip) et France Nature Environnement (FNE), indique aujourd'hui le ministère de la Transition écologique. "On s'est battu pour garder le plus d'information destinée au grand public", explique toutefois Solène Demonet. "Si l'information est trop verrouillée, les riverains et les ONG ne pourront plus jouer leur rôle d'alerte", prévient la coordinatrice du réseau Risques et impacts industriels de FNE.
Mais c'est du côté de Robin des bois que la réaction est la plus vive. Cette instruction "restreint considérablement l'accès du public, des journalistes, des avocats et des associations aux informations sur les risques des usines stockant ou mettant en œuvre des substances dangereuses", dénonce l'ONG. "Sous le couvert de la lutte contre le terrorisme, l'Etat démantèle la culture collective de sécurité et le droit de chacun à savoir où il met les pieds et les poumons", cingle l'association.