"Malgré les précautions prises, un accident ne peut jamais être exclu. C'est ce que nous avons toujours dit, quitte à ne pas être entendus". Lors de la présentation du rapport sur l'état de sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2011, André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a tenu à rappeler qu'en matière de nucléaire, le risque zéro n'existait pas. Et si depuis plus d'un an, la France et l'Europe ont multiplié les travaux, évaluations et réflexions pour tirer les leçons de la catastrophe japonaise, "cela peut prendre encore dix ans pour comprendre ce qui s'est passé à Fukushima. Pour la catastrophe de Three Mile Island [survenue en 1979 aux Etats-Unis], il aura fallu six ans". Pour l'heure, l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima est considéré comme étant lié au tsunami, et pas au séisme intervenu auparavant. "A partir de là, il peut y avoir deux lectures : les Japonais auraient dû (ou pu) prévoir ce tsunami ou alors l'ampleur de ce phénomène était au-delà de ce qui était prévisible". Mais si c'est cette deuxième thèse qui l'emporte un jour, comment travailler à un renforcement de la sûreté nucléaire face à l'imprévisible ou à l'improbable ?
En revanche, deux sites sont en retrait : Chinon en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection et Saint-Alban en matière de sûreté nucléaire et de protection de l'environnement. Ce dernier site est épinglé depuis trois ans par l'ASN, qui a indiqué avoir convoqué son directeur.
Si l'ASN a constaté des progrès dans la lutte contre les incendies (mais avec une grande hétérogénéité selon les sites), elle souligne une dégradation des équipements sous pression et une application insuffisante de la réglementation. Cela a conduit l'ASN à ne pas renouveler la reconnaissance du service d'inspection de Saint-Alban.
Premières prescriptions techniques issues de l'ECS
Cette question en suspens n'empêche pas l'ASN d'avancer dans sa volonté d'accroitre "les marges de sûreté pour répondre aux situations extrêmes". L'autorité a rendue publiques les 900 prescriptions adressées aux exploitants à l'issue des évaluations complémentaires de sûreté (ECS), menées après la catastrophe de Fukushima. Les grandes lignes de ces prescriptions avaient déjà été présentées par l'ASN le 3 janvier dernier. Elles devraient renforcer la robustesse des installations face à des événements pas forcément pris en compte lors de leur conception (séismes et inondations d'ampleur exceptionnelle, combinaison d'événements, perte des sources électriques et de refroidissement…).
Ces prescriptions concernent 32 sites (19 centrales EDF, 8 installations d'Areva et 5 du CEA) et devront être mises en œuvre selon un calendrier s'échelonnant jusqu'en 2018. "Les mesures prises vont conduire à un renforcement significatif des marges de sûreté au delà [du] dimensionnement [des installations]", indique l'ASN. "Ces nouvelles exigences correspondent à des travaux considérables et à des investissements massifs".
Les prescriptions concernent notamment la mise en œuvre d'un "noyau dur", au sein de toutes les installations, permettant de maintenir, même en cas d'événement de grande ampleur, les fonctions essentielles à la sûreté (locaux de crise robustes, moyens mobiles d'intervention, moyens de communication, d'évaluation de l'état du site et de l'environnement, d'alimentation de l'eau de secours, dosimètres…). Ce noyau dur prévoit aussi des moyens électriques "bunkerisés", pouvant résister aux événements extrêmes. Ceux-ci devront être mis en place d'ici 2018 et en attendant, les exploitants disposent d'un délai d'un an et demi pour mettre en place des moteurs diesel de secours provisoires.
Les prescriptions concernent également la résistance au séisme, aux inondations (notamment à Cruas, Tricastin et Fessenheim), le renforcement des alimentations en eau et en électricité et enfin la gestion des accidents graves et la gestion de crise (prise en compte des risques industriels dans des situations extrêmes et coordination avec les exploitants industriels voisins).
Réflexions à plus long terme
Mais Fukushima a révélé également que les failles pouvaient être organisationnelles et humaines. Au Japon, il a fallu faire appel à certains sous-traitants qui connaissaient mieux certaines caractéristiques de l'installation que les salariés de la centrale. En France, EDF compte 20.000 salariés et travaille avec 20.000 sous-traitants. Cette situation interroge l'ASN : "Ce sujet sera au cœur du comité d'orientation sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains que nous avons installé début juin. Mais c'est une réflexion de long terme, qui sera menée avec toutes les parties prenantes".
Sur la gestion de crise, à court terme, EDF est chargé de déployer une force d'action rapide nucléaire (Farn) qui sera en mesure d'intervenir fin 2012 sur un réacteur accidenté et fin 2015 sur l'ensemble des réacteurs d'un site accidenté. Enfin, Fukushima a également posé la question de la gestion de crise au niveau des autorités de sûreté et de leur coordination. "Comment cela se passerait si un tel accident survenait en France ou en Europe ? Quelle organisation entre les différentes autorités européennes ? Nous devons bâtir un système où nous nous faisons mutuellement confiance pour pouvoir déléguer des tâches. Fukushima a révélé une certaine défiance : le Japon a classé au départ l'accident niveau 3 ou 4 alors que nous le classions niveau 6".