Quatorze ans : c'est le temps qu'il a fallu depuis l'obligation d'établir le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) de la nappe des grès du trias inférieur (GTI), pour qu'un pas symbolique soit franchi dans la gestion de l'eau dans le secteur de Vittel-Contrexéville, dans les Vosges. L'enquête publique sur le Sage s'est achevée en effet, ce mardi 21 février.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Sage de la nappe des GTI sera le résultat d'un long cheminement, puisque son élaboration a débuté en 2009. Ce document est important : il fixe les conditions d'un retour à l'équilibre de la masse d'eau d'ici à 2027. La partie sud-ouest de l'aquifère se trouve en effet en déficit quantitatif chronique, avec une très faible capacité de recharge. Or elle constitue la ressource principale de plusieurs gros consommateurs : les collectivités pour l'alimentation en eau potable, la fromagerie Ermitage, à Bulgnéville, la société d'embouteillage des eaux Nestlé Waters, à Vittel et à Contrexéville, ainsi que l'abattoir Elivia, à Mirecourt.
Parmi les options pour préserver la nappe, le transfert d'eau par canalisations à partir des ressources voisines (Removille et Valfroicourt) avait été envisagé en 2018. Cette option allait toutefois à l'encontre de la hiérarchie des usages de l'eau, ne prenait pas en compte les répercussions sur les autres aquifères et était également en contradiction avec les objectifs de retour à l'équilibre de la nappe inscrits dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage).
Signature d'un protocole d'accord en 2020
Un scénario alternatif pour la « régénération de la nappe sud-ouest des GTI » a été finalement privilégié et un protocole d'accord a été signé par six des parties prenantes en 2020. Celui-ci prévoit notamment de substituer certains prélèvements dans un secteur particulier de la nappe en déséquilibre, le gîte C, par des prélèvements sur d'autres zones, comme le gîte B qui ne semble pas en tension, ainsi qu'à élaborer des contrats de territoire. Autre mesure envisagée : la création d'un observatoire des masses d'eau souterraines. Le Sage devrait concrétiser les objectifs de ce protocole. Il se compose d'un plan d'aménagement et de gestion durable (PAGD) qui fixe des objectifs et dispositions à mettre en œuvre pour y parvenir ainsi qu'un règlement qui fixe des contraintes à respecter.
• Juillet 2004 : un arrêté préfectoral classe le secteur en zone de répartition des eaux (ZRE).
• 2009 : les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Rhin-Meuse et Rhône-Méditerranée-Corse imposent la mise en place du Sage des GTI.
• 13 décembre 2018 – 20 février 2019 : concertation préalable.
• 10 janvier 2023 – 21 février 2023 : enquête publique.
Parmi les objectifs retenus, le Sage vise l'atteinte du bon équilibre quantitatif de la nappe en 2027, la réduction des consommations de l'ensemble des usagers, la sécurisation de l'accès à l'eau potable, grâce notamment à une plus grande mobilisation du gîte B, et le développement des connaissances (grâce à un observatoire) ainsi que d'outils d'information. Autre point à noter : il affirme la priorité donnée à l'eau potable, mais souhaite également que ne soit pas obérer le développement du territoire.
Si le Sage était très attendu, son contenu actuel ne satisfait toutefois pas forcément l'ensemble des parties prenantes. « Ce projet de Sage est une caricature dangereuse pour le futur immédiat. Il découle de la même volonté de ne pas perturber l'activité industrielle en faisant peser le risque sur le vivant : écosystèmes donc biodiversité, aggravation de la sécheresse en cours et donc aggravation du changement climatique », a notamment réagit le Collectif 88 qui regroupe des associations de consommateurs et de protection de l'environnement.
Une réduction plus importante des prélèvements demandée
Le Collectif 88 appelle à la réalisation d'un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) « redéfinisant les orientations économiques à donner au territoire ». Le collectif regrette également la réduction pas assez ambitieuse à leurs yeux des prélèvements d'ici à 2027. « Cela représenterait à peine plus de 500 000 m3 par an de reconstitution à mettre en regard des plus de 30 000 000 m3 de déficits cumulés depuis 1992 et cela nécessiterait à ce rythme, encore insuffisant, plus de soixante ans pour retrouver cet équilibre historique de 1992. » Il déplore également la mise en œuvre, dans un second temps, de l'observatoire hydrogéologique multi-nappe. « Les solutions sont décidées, et les observatoires et études viendront ensuite, dénonce-t-il. Les premiers résultats exploitables ne seront pas disponibles avant 2026, dans le meilleur des cas, ce qui repoussent les décisions de modifications éventuelles à 2027 ou 2028. »
Une évolution vers un Sage territorial ?
Une des particularités de ce Sage est qu'il se concentre sur le secteur sud-ouest de la faille de Vittel de la nappe des GTI, sans prendre en compte le fonctionnement hydraulique général du territoire. Un point notamment regretté dans son avis par l'Autorité environnementale, en octobre 2021. « Le présent projet de Sage peut effectivement être considéré comme la première partie d'un Sage plus ambitieux, conduit en plusieurs étapes, si la CLE [commission locale de l'eau] le juge opportun, et sous réserve d'en adapter le périmètre géographique », a indiqué le Conseil départemental des Vosges. Une disposition a été ajoutée en ce sens dans le Sage. Les prochaines étapes sont désormais la publication d'ici un mois du rapport du commissaire enquêteur, qui sera suivi de la réponse du porteur de projet, puis de la délibération de la commission locale de l'eau avant que le préfet puisse prendre l'arrêté l'approuvant.