Pour Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie, il faut agir vite. La fiscalité est un outil très puissant pour nous permettre de passer d'une économie dépendante du pétrole à une économie décarbonée. Les outils réglementaires et incitatifs ne suffiront pas. Nous sommes dans une société « pétrole addict ». Il est légitime de poser la question du prix du carbone.
Ce qui fait consensus
La mise en place d'une nouvelle taxe n'est jamais chose aisée pour les gouvernements. C'est pourquoi l'ensemble des défenseurs de la fiscalité carbone s'entend sur le fait que celle-ci doit être acceptée par l'ensemble de la société, ce qui nécessite plusieurs contraintes.
Tout d'abord, ce doit bien être une taxe et non un impôt. Il s'agit de mettre en place une fiscalité sur la pollution plutôt que taxer le travail ou l'investissement, note Fabienne Keller, sénateur et présidente d'un groupe de travail sur la fiscalité environnementale, chargée de rendre un rapport mi-juillet. Celle-ci doit s'inscrire dans le cadre plus large de la fiscalité écologique, c'est-à-dire l'ensemble des mesures fiscales (taxes, redevances, crédits d'impôt) ayant un impact sur l'environnement. Elle doit également être un complément au marché européen des quotas, qui concerne 11.000 industries, soit 38 % des émissions de gaz à effet de serre.
Cette fiscalité doit être neutre pour les ménages et les entreprises. Elle doit être appliquée en fonction du contenu en équivalent carbone du produit ou service, et non simplement sur les différentes énergies. Mais déterminer la valeur carbone de chaque produit est complexe et explique les difficultés de mise en œuvre d'un tel système.
Cette taxe doit être mise en place progressivement, en augmentation douce d'année en année, afin que la société s'y prépare. Le signal donné aux acteurs économiques doit être stable et prévisible dans le temps, précise Fabienne Keller. L'ensemble des secteurs économiques doit pouvoir s'adapter à un tel système et avoir une certaine visibilité sur le long terme. Cependant, pour Dominique Bureau, délégué général au Conseil économique pour le développement durable, cet instrument devrait rémunérer le progrès technologique. Les industries les plus exposées sont d'ores et déjà dans le système européen des quotas, donc elles ne sont pas concernées par une telle taxe. Pour Jean-Marc Jancovici, l'instauration d'une fiscalité carbone ne devrait pas être préjudiciable à l'économie : la majeure partie des activités concernées est peu ou pas délocalisable (habitat, transport…).
Enfin, l'acceptabilité de la taxe carbone repose sur une redistribution des ressources perçues. Mais ce dernier point fait débat…
Ce qui fait débat
En effet, une telle taxe ne doit pas venir renflouer les caisses de l'Etat ! Beaucoup de partisans de la fiscalité carbone rejettent l'idée émise par Nicolas Sarkozy qu'une telle taxe vienne remplacer en partie la taxe professionnelle perçue jusqu'alors par les collectivités locales. Pour eux, les ressources doivent être redistribuées aux plus démunis et permettre la mise en place de politiques en faveur de l'environnement. Nous devons mettre en place des systèmes de redistribution pour les ménages les plus dépendants face à l'évolution du prix de l'énergie. Il faudra prendre en compte les revenus mais aussi le territoire, car vivre en milieu urbain ou rural ne crée pas les mêmes besoins en énergie, précise Chantal Jouanno. Pour avancer sur ce sujet, il faudra aider. Pour le groupe socialiste du Sénat, la redistribution doit concerner les ménages modestes et les entreprises qui n'auraient pas les moyens de s'adapter.
Enfin, comment appliquer une telle mesure au niveau national sans freiner la compétitivité des entreprises françaises et sans risquer les délocalisations ? Voici les principales craintes avancées par les acteurs économiques. Pour Jean-Yves Gilet, président d'Entreprises pour l'environnement (EpE), si une contrainte carbone n'est pas antinomique avec une croissance économique, quatre conditions sont nécessaires : l'équité pour tous les secteurs, l'universalité (cette taxe doit s'appliquer à l'ensemble des zones économiques), la progressivité et le long terme. Si trois de ces principes font consensus, l'universalité d'une telle fiscalité semble difficile à obtenir… Demain, un gouvernement mondial ? plaisante Jean Artuis, président de la Commissions des finances du Sénat.
Si le gouvernement entend défendre l'idée de la taxe carbone au niveau international, un ajustement fiscal aux frontières est envisagé par la France en cas d'échec à Copenhague, précise la secrétaire d'Etat à l'Ecologie.
Pour d'autres, les exemples danois, suédois et allemands où une telle taxe a déjà été mise en place, suffisent à démontrer que la fiscalité carbone est possible.