Consultés dans une certaine improvisation, le dernier jour de l'année 2021, par la Commission européenne, les experts de la plateforme sur la finance durable, institution officielle qui regroupe investisseurs et ONG, ont rendu un avis sans ambiguïté : ni le gaz fossile ni le nucléaire ne sont compatibles avec les critères de la taxonomie européenne.
Dans un document émis le 21 janvier, date limite que lui avait fixée la Commission, la plateforme regrette de n'avoir pas eu « plus de temps pour délibérer » sur le projet d'acte délégué qui lui avait été soumis. Malgré ce délai très court en regard de la complexité des questions à traiter, les experts ont été en mesure de produire une note de 44 pages dans laquelle ils détaillent les raisons pour lesquelles nucléaire et gaz fossiles ne sont pas, selon eux, éligibles à la nomenclature de critères fixés pour une taxonomie verte de la finance.
Le nucléaire n'est pas une énergie de transition
À propos de la proposition de la Commission d'inclure les gaz fossiles dans les investissements labellisés par la taxonomie, la réponse des experts est sans ambiguïté : « Toute nouvelle installation produisant de l'énergie à partir de combustibles fossiles gazeux commencerait à fonctionner avec des émissions supérieures au niveau "Ne pas causer de dommages significatifs" (soit plus de 270 g CO2e/kWh, ndlr) et ne serait pas tenue d'atteindre le niveau de contribution substantielle à aucun stade sur vingt ans. »
En clair, les centrales à gaz, construites avant 2030, et émettant 270 g CO2e/kWh (CO2 équivalent par kilowattheure) sont éligibles au seuil « Do Not Significant Harm » (ne nuit pas significativement), mais elles ne sont pas considérées comme cohérentes avec la catégorie verte des investissements. Pour être éligibles à des financements labellisés verts, elles ne doivent pas dépasser 100 g de CO2e/kWh, soit le premier seuil fixé par le règlement sur la taxonomie, adopté en décembre dernier.
Risque de brouillage des signaux
La plateforme souligne aussi le risque de confusion des signaux envoyés aux marchés financiers par cette nouvelle règlementation, si celle-ci est adoptée. Les dispositions liées à la transparence des investissements (disclosure) seraient brouillées en cas d'adoption de ce règlement délégué, car les investisseurs ne feraient plus la différence entre les labels verts de la taxonomie et ces nouveaux seuils. « Les exigences de mesure et de vérification sont insuffisantes pour surveiller les performances des critères dans le projet d'acte délégué complémentaire, et donc également pour évaluer l'alignement de la taxonomie », tranche la plateforme.
En clair, « le projet d'acte délégué complémentaire adopte une approche sensiblement différente de la mise en œuvre du règlement taxonomique, en se concentrant sur des technologies énergétiques qui font partie d'un système énergétique en transition, mais n'atteignent pas en elles-mêmes les niveaux de contribution substantiels requis par l'Accord de Paris ou ne remplissent pas les exigences de performances du DNSH », résument les experts.
La Commission se retrouve en porte-à-faux entre les experts qu'elle a elle-même convoqués et la pression d'États membres pronucléaires (la France) et progaz fossiles (les pays d'Europe centrale). Si les experts statuent sur des critères purement techniques, la pression politique de certains États membres en faveur de l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie pourrait diluer ces exigences objectives. Des rebondissements sont à prévoir dans les prochaines semaines, l'acte délégué final devant être proposé par la Commission, début février, puis soumis aux États membres et au Parlement européen.