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Les textes sur le « ZAN » : ambition ou rémission ?

L'absence d'artificialisation nette des sols en 2050, objectif posé par la loi "Climat et Résilience", ainsi que la diminution par deux de la consommation d'espace dans les dix ans à venir marquent un tournant dans les politiques d'urbanisme en France.

DROIT  |  Étude  |  Aménagement  |  
Droit de l'Environnement N°319
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°319
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Les textes sur le « ZAN » : ambition ou rémission ?
Raphaël Romi et Marianne Baudot
Respectivement professeur émérite, avocat Counsel, DS avocats et étudiante en master 2 droit de l'environnement à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne
   

L'article 191 de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » a fixé l'objectif d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 (dit « ZAN ») ainsi que celui, intermédiaire, de la diminution par deux de la consommation d'espace dans les dix années à venir. Cet objectif marque un véritable tournant dans la gestion de l'urbanisme et de l'aménagement en France, et, en cela, il y a bien aboutissement d'une certaine ambition.

La loi « Solidarité et renouvellement urbain » (dite SRU) du 13 décembre 2000, et la loi de « lutte contre l'étalement urbain » (dite Grenelle) du 12 juillet 2010 avaient déjà utilisé les notions d'« utilisation économe des sols », « de modération de la consommation de l'espace », puis de « lutte contre l'étalement urbain ».

I. L'ambition : définir des notions

L'artificialisation est définie comme (1) « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». La surface artificialisée est définie (2) comme « la surface dont les sols sont, soit imperméabilisés en raison du bâti ou d'un revêtement, soit stabilisés ou compactés, soit constitués de matériaux composites ». La surface non artificialisée est définie comme (3) « la surface soit naturelle, nue ou couverte d'eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures »

On a au moins ici un travail de précision qu'un décret du 29 avril 2022 achève en fixant une nomenclature de l'artificialisation des sols. Elle classe les surfaces terrestres comme artificialisées ou non artificialisées. Les qualités de ces surfaces sont appréciées au regard de leur couverture mais également de leur usage.

Sont classées comme artificialisées les surfaces dont les sols sont, soit :

- imperméabilisés en raison du bâti ou d'un revêtement ;

- partiellement ou totalement perméables et stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux ;

- partiellement ou totalement perméables et constitués de matériaux composites ;

- végétalisés herbacés (c'est-à-dire non ligneux) et qui sont à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d'infrastructures (notamment de logistique ou de transport), y compris s'ils sont en chantier ou à l'état d'abandon.

Sont classées comme non artificialisées les surfaces qui sont, soit :

- naturelles, nues ou couvertes en permanence d'eau, de neige ou de glace ;

- à usage de cultures, végétalisées ou en eau ;

- naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel qui n'entre pas dans les trois catégories précédentes.

L'article 218 de la loi modifie les dispositions de l'article L. 511-1du code de l'environnement pour soumettre au régime ICPE (4) les installations pouvant présenter des dangers ou des inconvénients pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers. L'État participe donc (5) , à sa manière, à la lutte contre l'artificialisation des sols, et entend promouvoir la sobriété foncière, par l'ouverture des friches à l'urbanisation et la reconversion des secteurs industriels .

Si l'on excepte cette extension de compétences au bénéfice de l'État, l'usage des notions n'est fait que dans un cadre finalement modeste : celui d'un ralentissement. C'est pragmatiquement compréhensible, sans doute.

Mais la manière dont les objectifs sont mis en œuvre soulève quelques questions juridiques et éthiques.

II. L'objectif « ZAN » : un simple ralentissement

Face au diagnostic, et compte tenu de sa gravité, la démission guettait. En réalité, le pouvoir réglementaire a opté pour un choix très spécifiquement français – à nouveau fait d'ailleurs par la commission mixte paritaire pour l'élaboration de la loi d'accélération des énergies renouvelables- en misant sur la planification.

L'objectif « ZAN » doit être mis en œuvre à travers la planification urbanistique, et un second décret du 29 avril 2022 encadre la déclinaison des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols dans les documents de planification régionaux.

Plusieurs documents de planification doivent fixer les objectifs de moyen et long terme sur le territoire de la région en matière de lutte contre l'artificialisation des sols : les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), à mi-chemin entre urbanisme et aménagement. Dans les territoires non couverts par les Sraddet, ce sont les plans régionaux locaux qui intègrent l'objectif ZAN : schéma directeur d'Ile-de-France (SDRIF), schéma régional d'aménagement pour l'outre-mer (SAR) et plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc).

Grandes surfaces et ZAN : quelques dérogations possibles

Décret du 13 octobre 2022(1) relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols : interdiction et dérogation….

Les articles 215 et 216 de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » s'attaquent de front à l'expansion des grandes surfaces commerciales. Leur création va de pair avec des artificialisations de surfaces conséquentes et situées dans des zones non artificialisées. Le décret énonce que l'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols, mais prévoit des dérogations. Elles ne pourront être accordées que s'il y a insertion du projet en continuité d'espaces urbanisés dans un secteur au type d'urbanisation adéquat, qu'il répond aux besoins des territoires et rempli l'un des critères suivants, selon les termes du décret :

- insertion de ce projet […] dans le secteur d'intervention d'une opération de revitalisation de territoire (ORT) ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ;
- insertion du projet dans une opération d'aménagement au sein d'un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ;
- compensation par la transformation d'un sol artificialisé en sol non artificialisé ;
- insertion au sein d'un secteur d'implantation périphérique ou d'une centralité urbaine identifiés dans le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale entré en vigueur avant la publication de la loi [Climat et résilience] ou au sein d'une zone d'activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme intercommunal entré en vigueur avant la publication de la même loi".

Le contrôle en sera d'autant plus effectif qu'un avis conforme du préfet est exigé pour les surfaces des ventes supérieures à 3 000 m2 et inférieures à 10 000 m2. Et pour les demandes de permis de construire (PC) portant sur des projets d'équipements commerciaux dont la surface est comprise entre 300 et 1 000 m2 et qui engendrent une artificialisation des sols, l'article 216 de la loi Climat et Résilience permet la saisine de la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) et de sécuriser les projets.

(1) D. n° 2022-1312, 13 oct. 2022 : JO 14 oct.

 

La répartition des « parties du territoire » n'est cependant pas précisée. Cet objectif doit également figurer dans les schémas de cohérence territoriale (Scot), par tranches de dix années de réduction du rythme de l'artificialisation, étant précisé que le document d'orientation et d'objectifs (DOO) peut décliner cet objectif par secteur géographique.

Une « conférence régionale des Scot » prévoit la mise en œuvre des objectifs dans les plans régionaux qui doivent proposer la répartition des hectares artificialisables. Les plans régionaux peuvent prendre en compte les projets d'aménagements, d'infrastructures et d'équipements publics ou d'activités économiques qui sont d'intérêt général ou d'envergure nationale ou régionale. Cette définition décentralisée risque à l'évidence d'accroitre les différences d'artificialisation entre les régions, et c'est sans doute le premier signe de la modestie de l'édifice.

S'agissant de l'objectif intermédiaire pour la première tranche de dix années, le rythme de l'artificialisation des sols consiste à suivre la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols étant déterminés afin de ne pas dépasser la moitié de la consommation de ces espaces par rapport à celle observée lors des dix années précédant la promulgation de la loi. Et en conséquence, les lieux où l'artificialisation a été maximale connaîtront une continuation de l'artificialisation à un rythme parfois débridé. C'est le deuxième travers de l'édifice : autrement dit, les territoires les plus économes verront leurs possibilités réduites par rapport aux territoires consommateurs…

Il est vrai que les projets d'aménagement et de développement durable (PADD) du plan local d'urbanisme (PLU) doivent fixer les objectifs de modération de la consommation d'espace et de lutte contre l'étalement urbain, de façon à permettre d'atteindre les objectifs de réduction d'artificialisation des sols mentionnés dans les Scot ou, en l'absence de Scot, de prendre en compte les objectifs de réduction de cette artificialisation mentionnée dans le Sraddet, être compatibles avec les objectifs mentionnés sur ce point par le Padduc, par le SAR ou par le SDRIF, le cas échéant. Les répartitions seront donc, si ces documents de cadrages sont bien faits, régionales ou intercommunales, ce qui devrait à l'idéal réduire les inégalités de traitement.

La loi « Climat et Résilience » rend par ailleurs obligatoire l'établissement par les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) d'un échéancier prévisionnel d'ouverture à l'urbanisation des zones à urbaniser et de réalisation des équipements correspondant à chacune d'elles, ainsi que la définition des actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur les continuités écologiques. Les OAP définissent notamment les actions et opérations nécessaires pour protéger les franges urbaines et rurales.

Mais si elle prévoyait un délai particulièrement court pour que les documents de planification intègrent l'objectif « ZAN », la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale est venue allonger le délai de prise en compte de ces objectifs. Les procédures d'évolution des Sraddet, Padduc, SDRIF sont repoussées au 22 février 2024. Le calendrier d'intégration des objectifs de diminution de la consommation des Enaf par les documents de planification régionale est donc rallongé desix mois. La modification des Scot doit être réalisée dans les cinq ans après la loi Climat et Résilience, soit au 22 août 2026. Pour les PLU, délai inchangé de six ans après la promulgation de la loi, soit au 22 août 2027.

Les Scot et PLU peuvent être modifiés par la voie de la procédure de modification simplifiée.

Il fallait bien que la modestie des objectifs aboutisse au moins à un ralentissement effectif et, sur ce point, la radicalité est – pour l'instant – de mise, puisqu'en l'absence d'évolution du PLU dans les délais prévus, aucune autorisation d'urbanisme ne pourra être délivrée dans les zones à urbaniser (AU) et qu'en l'absence d'évolution du Scot, toute ouverture à l'urbanisation est exclue.

Par ailleurs les friches, définies comme (6) « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé ou dont l'état, la configuration ou l'occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables », vontconstituer l'outil privilégié de lutte contre l'artificialisation des sols, par l'effet de l'article L. 151-5 du code de l'urbanisme : il  prévoit pour les PLU que « le PADD ne peut prévoit l'ouverture à l'urbanisation d'espaces naturels, agricoles ou forestiers, sans qu'on ait justifié de la mobilisation des capacités de construction ou d'aménagement dans les espaces déjà urbanisés ».

Au total, on est en droit d'être assez partagé. Mais au moins la question a-t-elle reçu un premier traitement….

 

***

Mesures de compensation : nouvelle hiérarchie des choix et marges d'appréciation

Décret du 27 décembre 2022 portant diverses dispositions relatives à l'évaluation environnementale des actions ou opérations d'aménagement et aux mesures de compensation des incidences des projets sur l'environnement

Voilà encore un texte symptomatique de la tendance bien française d'enserrer toute musique juridique dans une partition contrainte…ce qui va faire des Scot et des PLU des instruments fleuves et multiusages. Ce sont en effet ces instruments du code de l'urbanisme qui vont servir encore une fois à faire du droit de l'environnement, puisqu'on leur confie désormais le soin d'identifier les « zones préférentielles pour la renaturation par la transformation de sols artificialisés en sols non artificialisés ».

Il faut retenir du texte cependant que ces zones ne sont ni obligatoires (l'article R. 151-7 du code de l'urbanisme ouvre seulement une possibilité) ni, surtout, « exclusives », le risque étant que les services d'instruction préfectoraux ou intercommunaux l'entendent ainsi, alors que l'article R. 163-1-A du code de l'environnement énonce bien que pour les projets impactant l'environnement, « les mesures de compensation (…) sont mises en œuvre en priorité sur le site endommagé ». Mais, « en cas d'impossibilité, dans le respect du principe de proximité (…), elles sont réalisées prioritairement dans les zones de renaturation préférentielle (…) dès lors qu'elles sont compatibles avec les orientations de renaturation de ces zones et que leurs conditions de mise en œuvre sont techniquement et économiquement acceptables ».

Ce n'est que dans le cas où la compensation ne peut pas être faite sur place ni dans les zones préférentielles qu'« à défaut » les mesures de compensation pourront être situées ailleurs. Tout sera dans l'appréciation des situations représentant des « impossibilités », puis du caractère « techniquement et économiquement acceptable ».

Cette nouvelle hiérarchie des choix et ces nouvelles marges d'interprétation sont à mettre en rapport avec les exigences du juge dans ses dernières appréciations des compensations proposées par des porteurs de projet : le juge décidera librement et cas par cas s'il y a ou pas « impossibilité » et sera peut-être amené à généraliser une analyse en forme de « bilan coûts/avantages » de l'acceptabilité technique et économique de compensations.

1. C. urb., art. L. 101-2-1 al. 22. C. urb., art. L. 101-2-1, al. 5, a)3. C. urb., art. L. 101-2-1, al. 5, b)4. Installations classées pour la protection de l'environnement5. L. n° 2021-1104, 22 août 2021, op. cit., art. 220 : facilitation des opérations de revitalisation et de requalification de zones d'activité économique (industrielle, commerciale, tertiaire etc).6. C. urb., art. L. 111-26

Réactions1 réaction à cet article

Merci pour cet article
j'ajouterai juste que pour réussir pleinement les objectifs ZAN il faudra nécessairement transformer les financements des collectivités et ne plus les baser sur le simple critère population. Comment atteindre les objectifs du ZAN en baissant les budgets faute de croissance démographique? un peu contradictoire non?
Enfin il faut considérer également le territoire comme un écosystème en menant des analyses sur les limites "à recevoir d'autres pressions" en préalable à toute planification : nouvelle façon de concevoir les PLU(i) en particulier!

Jacques | 03 mars 2023 à 11h55 Signaler un contenu inapproprié

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