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Un comité consultatif d'experts indépendants convoqués par la FAO a publié en décembre dernier un avis justifiant, selon les critères de la CITES, l'inclusion dans l'annexe I ou II de la CITES le thon rouge de l'Atlantique. La différence est de taille : alors que l'annexe II concerne un commerce contrôlé, l'annexe I vise à des interdictions pures et simples.
Vers un commerce contrôlé ou totalement interdit ?
Si l'Organisation des nations unies a déjà adopté en 2006 une résolution appelant les Etats et organismes de gestion des pêches à agir immédiatement pour gérer durablement les ressources piscicoles, protéger les écosystèmes marins vulnérables de haute mer et garantir à long terme la préservation des stocks de poissons de grands fonds, celle-ci n'a pas changé grand chose aux pratiques de pêche intensive, notamment de thon rouge. ''L'urgence est pourtant soulignée par de nombreux scientifiques, regrette François Chartier, chargé de campagne Océan à Greenpeace France. Aujourd'hui, ne subsisterait que 15 % de la population d'origine de thon rouge. Entre 2000 et 2006, la moyenne de poissons pêchés pour cette espèce est passée de 186 kg à 60 à 80 kg, ce qui est très significatif !'' Ces chiffres sont issus du dernier rapport scientifique de l'ICCAT (Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique).
Ces faits justifient donc, selon de nombreux acteurs, l'inscription du thon rouge à l'annexe I de la CITES. C'est en outre la proposition de Monaco le 13 novembre 2009, en vue de la prochaine Conférence des parties de la CITES, prévue à Doha (Qatar), du 13 au 25 mars 2010. Celle-ci devrait réviser la liste des espèces concernées par la Convention.
Pour Monaco, le thon rouge remplit deux critères justifiant son inscription à l'annexe I : la population sauvage est petite, une majorité d'individus est concentrée géographiquement pour se nourrir et frayer. L'espèce est très vulnérable à des facteurs intrinsèques et un déclin marqué de la taille de la population dans la nature a été observé.
Le comité consultatif d'experts indépendants convoqués par la FAO n'est pas parvenu à un consensus à ce sujet, précisant que le thon rouge pourrait être inscrit à l'annexe I ou II.
Pour Greenpeace France et WWF-France, ''un classement Annexe II (quotas zéro d'exportation) est très aventureux juridiquement : en application de l'article 14,4 de la CITES et d'un règlement européen, les pays de l'UE pourraient être tenus par le classement, tandis que les pays non UE pourraient y échapper. On ne voit pas la France prendre un tel risque économique et politique !''. D'autant que la pêche du thon rouge ne concerne pas seulement l'Union européenne mais d'autres grands pays pêcheurs comme le Japon, par exemple.
Le poids de l'UE au sein de la CITES
La position de la France sur l'inscription du thon rouge dans l'annexe I est très attendue : elle devrait entraîner une prise de position européenne, en vue de la prochaine Conférence des parties de la CITES. Si Nicolas Sarkozy s'est prononcé en faveur d'une interdiction totale en juillet dernier, suivi par le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche, les pays du pourtour méditerranéen, principaux concernés par la question, sont opposés à une telle décision. ''Si la France maintient sa position, on peut imaginer que le rapport de force s'inverse et que l'interdiction l'emporte au sein de l'UE. Or, si les 27 Etats membres votent séparément à la CITES, ils ont toujours souhaité s'exprimer d'une seule voix''.
Reste encore à convaincre les autres parties de la conférence (175 au total), la décision étant prise à la majorité qualifiée des deux tiers. ''L'UE pèse lourd dans la décision. Mais le Japon a également une influence réelle. Jusque-là, les Japonais ont toujours réussi à bloquer les décisions sur la pêche, notamment la baleine, au sein de la CITES''.
L'arbitrage du Premier ministre ou du président de la République pourrait déboucher sur un compromis selon les observateurs, qui consisterait à prendre dès maintenant une décision de principe d'inscrire le thon à l'annexe I de la Convention, tout en renvoyant la mise en oeuvre de cette décision à douze ou dix-huit mois, le temps de refaire l'expertise scientifique demandée par les pêcheurs. Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), ''très inquiet du sort qui risque d'être réservé aux pêcheurs français de thon rouge dont l'activité pourrait disparaître sans même prendre en compte les avis scientifiques'', a en effet demandé via un communiqué que la France attende la prochaine évaluation du stock de thon rouge cette année avant de prendre une décision. A Bruxelles, les discussions, qui devaient avoir lieu le 6 janvier, ont été reportées, dans l'attente de la décision française.
Le rôle de la société civile ?
Face à l'immobilisme des décideurs, les ONG ont décidé d'agir de leur côté. L'association Greenpeace, par exemple, a lancé une campagne européenne afin de sensibiliser l'opinion publique et mettre la pression sur la grande distribution. L'objectif ? Encourager les grandes enseignes à ne plus commercialiser les poissons des grands fonds et/ou menacés. Ainsi, selon l'association, ''Auchan, Casino, Carrefour, Relais et Châteaux et plus de 450 grands chefs de réputation internationale'' se sont engagés à cesser de commercialiser le thon rouge. Le sort du poisson serait donc passé entre les mains de la société civile ?!