Le Traité sur la charte de l'énergie (TCE), adopté en 1994, est un traité international controversé. Plusieurs ONG l'accusent de bloquer les politiques publiques de transition énergétique du fait du risque encouru par les États de se voir poursuivis par des entreprises qui cherchent à protéger leurs investissements dans les énergies fossiles.
Et ce risque n'est pas que virtuel, rappelle le collectif national Stop Ceta-Mercosur. Les exemples les plus emblématiques ? Les multinationales allemandes RWE et Uniper, qui réclament des milliards d'euros de compensation à la suite de la décision du gouvernement néerlandais de sortir du charbon d'ici à 2030 ; l'entreprise britannique Rockopper, qui demande 350 millions d'euros à l'Italie à la suite de son refus de lui accorder une concession de forage en mer Adriatique ; ou encore les entreprises pétrolières, qui auraient obtenu l'affaiblissement de la loi Hulot sur les hydrocarbures en menaçant de recourir aux prérogatives que leur donne le TCE.
Procédure de règlement des différends inapplicable
La décision rendue le 2 septembre par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est d'autant plus intéressante. Elle porte sur l'interprétation de l'article 26 du Traité relatif au règlement des différends entre un investisseur et un État partie. Cette décision est prononcée dans le cadre d'une question préjudicielle posée par la cour d'appel de Paris dans un litige opposant la Moldavie à la société Komstroy au sujet de la compétence du tribunal arbitral ayant rendu une sentence à Paris en 2013.
Cet arrêt fait suite à une première décision de la CJUE de 2018 qui avait jugé que le mécanisme ISDS dans les traités d'investissement bilatéraux entre États membres de l'UE était incompatible avec le droit communautaire. « L'arrêt d'aujourd'hui, qui confirme que la décision de 2018 s'applique également au TCE, envoie un signal irréfutable aux entreprises que leurs actions néfastes pour le climat ne résisteront pas », réagissent les ONG Climate Action Network (CAN) et ClientEarth.
« La crise climatique ne peut pas se permettre des demandes d'indemnisation d'un milliard d'euros par les entreprises chaque fois que nos gouvernements prennent une décision d'action climatique, réagit Paul de Clerck, coordinateur de la justice économique aux Amis de la Terre Europe. C'est une bonne nouvelle qu'aujourd'hui la Cour de justice européenne reconnaisse qu'une telle protection des investissements au sein de l'UE sur la base du Traité sur la charte de l'énergie n'est pas conforme au droit de l'UE. »
Demande de retrait du TCE
« Les tribunaux devraient appliquer la décision d'aujourd'hui à leur prise de décision actuelle et confirmer qu'ils n'accepteront pas l'utilisation du Traité de cette manière dans les différends futurs », estime l'avocate de ClientEarth, Amandine Van Den Berghe.
Cependant, le collectif Stop Ceta-Mercosur craint que cette décision préjudicielle ne soit pas appliquée immédiatement. Or, les négociations sur la modernisation du traité international sont bloquées. « Les modifications nécessitent l'unanimité des parties », rappelait la professeure de droit Marie Lamoureux dans une interview à Actu-Environnement. Or, des États, comme le Japon, refusent toute modification.
Les ONG réclament par conséquent aux États membres de l'UE de se retirer du TCE. Quatre-cents organisations de la société civile ont également demandé ce retrait avant la tenue de la COP 26. « Un tel retrait coordonné […] mettrait un terme immédiat à la protection des combustibles fossiles parmi les États qui sortent du Traité. Étant donné que 60 % des affaires basées sur le TCE sont intra-UE, cela réduirait le risque de futures poursuites judiciaires contre le progrès climatique », expliquent Climate Action Network et ClientEarth.
Pour cela, il faudrait toutefois neutraliser la clause « d'extinction » du Traité. Selon celle-ci, les dispositions ayant trait aux investissements survivent vingt ans, laissant planer une épée de Damoclès sur les États pendant de nombreuses années, expliquait Marie Lamoureux.