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« Sortir les énergies fossiles du champ du Traité sur la charte de l'énergie serait la solution »

Le Traité sur la charte de l'énergie est accusé d'entraver les politiques climatiques. Il suscite de nombreuses questions juridiques. Décryptage avec Marie Lamoureux, spécialiste du droit de l'énergie.

Interview  |  Energie  |    |  L. Radisson
   
« Sortir les énergies fossiles du champ du Traité sur la charte de l'énergie serait la solution »
Marie Lamoureux
Professeur de droit - Directrice du Master 2 Droit de l’énergie Aix-Marseille Université
   

Actu-Environnement : Quel est l'objectif initial du Traité sur la charte de l'énergie (TCE) ?

Marie Lamoureux : Le TCE fait suite à la Charte européenne de l'énergie de 1991 qui visait à promouvoir la coopération est-ouest dans le domaine de l'énergie dans le contexte de la chute du bloc soviétique. L'objectif était d'exploiter les richesses énergétiques d'Europe centrale et orientale dans un espace commercial rénové. C'est-à-dire faire régner les règles de l'économie de marché et lever les obstacles aux échanges et aux investissements internationaux. C'est la communauté européenne elle-même qui a été l'instigatrice de la charte, puis du TCE adopté en 1994. Le Traité réunit une cinquantaine d'États, qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux ayant signé la charte. L'UE et tous ses États membres l'ont ratifié.

AE : Le TCE est accusé de donner des droits exorbitants aux entreprises. Le confirmez-vous ?

ML : Ce que l'on trouve dans ce traité est en fait assez classique dans les traités en matière d'investissements internationaux. Ce traité concerne les questions de commerce international, de transit des produits énergétiques, et de promotion/protection des investissements internationaux. C'est cette dernière partie qui est aujourd'hui stigmatisée. Le TCE consacre l'application dans le secteur de l'énergie de standards bien établis dans ce domaine du droit. Sa particularité est d'être un traité multilatéral alors que les traités bilatéraux sont beaucoup plus répandus en la matière. Ces standards sont l'interdiction des discriminations, le principe du traitement national, le traitement juste et équitable, et l'encadrement des expropriations. Sur les questions de transition énergétique, ces deux derniers points sont ceux le plus souvent soulevés dans les arbitrages.

AE : Les modes de traitement des différends sont très critiqués, certains dénonçant même une justice parallèle. Qu'en est-il ?

ML : Le Traité promeut le règlement amiable et l'arbitrage. Le TCE permet à un investisseur d'un État partie d'agir contre l'État d'accueil de son investissement devant un tribunal arbitral. Il prévoit que les États donnent leur consentement inconditionnel à ces procédures d'arbitrage. Dans le domaine des investissements internationaux, il est habituel de recourir à ce mode de règlement des conflits car l'investisseur qui agit contre un État peut craindre la partialité des juridictions de cet État. Mais les arbitres risquent aussi, à leur tour, de privilégier les entreprises. Or, on est à un moment où les États devraient prendre des mesures assez fortes pour les besoins de la transition énergétique. S'ils le font, le risque est qu'ils soient poursuivis devant un tribunal arbitral avec une possibilité de condamnation importante, qui se compte souvent en dizaines de millions d'euros.

AE : A-t-on une bonne visibilité sur les contentieux existants ?

ML : On a un peu plus de 130 différends connus qui ont été soumis à arbitrage. Mais tous les différends ne sont pas rendus publics. Le domaine sur lequel on en a le plus actuellement n'est pas celui des énergies fossiles mais celui des énergies renouvelables (EnR), du fait de la révision à la baisse des soutiens étatiques, en particulier dans la filière photovoltaïque. On a par exemple plusieurs dizaines de procédures en cours contre l'Espagne. En effet, le TCE ne distingue pas les sources d'énergie et protège donc aussi bien les investissements dans les énergies fossiles que dans les EnR ou le nucléaire.

AE : Quelle est l'issue de ces contentieux ?

ML : Les décisions sont assez contrastées. Chaque tribunal arbitral est constitué pour les besoins d'un dossier et n'est pas lié par une jurisprudence comme il peut y en avoir devant une juridiction étatique. Il y a eu une époque où les arbitrages étaient presque systématiquement favorables aux investisseurs, en particulier quand des entreprises investissaient dans des pays politiquement instables. Ça n'est plus vrai aujourd'hui car le contexte n'est plus le même, avec par exemple des litiges opposant une entreprise européenne à un État du même continent. Mais le risque de condamnation existe bien.

AE : La menace d'arbitrages dissuade-t-elle les États d'engager des politiques de transition énergétique?

ML : Il est difficile de dire si cela conduit les États à reculer de manière préventive. Certains ont dit que la rédaction de la loi Hulot visant à mettre fin à la recherche et à l'exploitation d'hydrocarbures, moins ambitieuse que celle qui avait été envisagée au départ, serait le fruit de pressions faites au regard du TCE. Je ne m'avancerai pas là-dessus. Si cet aspect a sans doute été pris en considération, il est difficile de savoir s'il a été déterminant car la loi aurait aussi posé des problèmes en droit interne si elle avait mis fin de manière brutale et immédiate à des concessions d'exploitation par exemple.

AE : On accuse le TCE de primer sur l'Accord de Paris. Le confirmez-vous ?

ML : Juridiquement, c'est faux. Tous deux sont des traités internationaux qui sont par principe équivalents et ont force obligatoire à l'égard de leurs parties contractantes. Mais les arbitres rédigent effectivement leurs sentences en fonction des règles du TCE, duquel ils tirent leur compétence, et non de celles de l'Accord de Paris. Les deux traités ont des objets différents, mais il est clair que leurs objectifs peuvent se télescoper. On peut se demander si les arbitres, lorsqu'ils statuent en application du TCE, ne devraient pas s'efforcer d'en faire une application compatible avec l'Accord de Paris.

AE : Les négociations en cours sur une modernisation du TCE ont-elles des chances d'aboutir  ?

ML : Ce sera compliqué. Les modifications nécessitent l'unanimité des parties. La proposition de sortir les énergies fossiles du champ du Traité serait la solution, car il paraît anachronique de protéger ces investissements au moment où les exigences de la transition énergétique sont de plus en plus pressantes. Mais la variété des intérêts des États parties rend difficile l'unanimité sur ce point. En outre, certains d'entre eux, comme le Japon, ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient aucune modification, quelle qu'elle soit. Ce qui semble compromettre aussi des modifications moins radicales comme celles proposées par l'UE de réécrire les dispositions sur le traitement juste et équitable ou sur les expropriations.

AE : Dans quelles mesure les parties peuvent-elles sortir du TCE  ?

ML : Une partie peut toujours sortir d'un traité. En l'occurrence, le TCE prévoit qu'il doit avoir été cinq ans en vigueur pour la partie concernée. Le retrait prend effet un an après la notification. Mais une clause du TCE prévoit que ses dispositions ayant trait aux investissements survivent 20 ans. Une modification de cette disposition nécessiterait, là aussi, l'unanimité. L'Italie est sortie du Traité mais elle reste soumise à cette clause qui laisse planer une épée de Damoclès sur les États pendant de nombreuses années.

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