Ce quinquennat devrait être marqué par un grand nombre de lois visant à engager la France dans une transition écologique, mais aussi énergétique, agricole et urbanistique. Loi de programmation sur la transition énergétique, loi d'avenir pour l'agriculture, loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, loi cadre sur la biodiversité… sont ou vont bientôt être à l'étude au sein des deux assemblées. L'ensemble de ces textes va refaçonner nos territoires, comme l'ont déjà fait les choix politiques passés dans ces domaines. C'est pourquoi les auteurs pluridisciplinaires de l'ouvrage Paysages de l'après pétrole proposent d'organiser les futures transitions à travers le prisme du paysage. Plusieurs d'entres eux étaient invités à partager leurs réflexions avec les députés de la commission Développement durable, le 22 janvier dernier.
Les projets sociaux modèlent les paysages
"L'aménagement du territoire a évolué de manière radicale en quelques décennies avec le pétrole", rappelle Odile Marcel, philosophe et écrivain. Autoroutes maillant le territoire, zones commerciales à l'entrée des villes, lotissements en périphérie… constituent ainsi le "paysage du pétrole".
Le choix d'une agriculture industrielle, au sortir de la deuxième guerre mondiale, a lui aussi profondément bouleversé la physionomie des territoires français. "Il a fallu agrandir les parcelles pour permettre la mécanisation, ce qui a conduit au remembrement", souligne Baptiste Sanson, agronome. Ce réaménagement du foncier agricole a conduit à une plus forte spécialisation des cultures, et à une uniformisation de certains paysages.
"Depuis quelques décennies, le fonctionnel a pris le pas sur la forme, le beau, la qualité… On a misé sur des installations performantes sans identifier les dommages collatéraux. Le périphérique parisien en est le parfait exemple. Or, il faut trouver un équilibre entre l'économie, l'environnement, le social… Les implantations techniques répondent à des projets de société et ne se résument pas à leur fonctionnalité. Il faut une mise en forme, une mise en cohérence des différentes politiques sectorielles…", analyse Odile Marcel.Ce qui a été fait avec le tramway parisien, estime la philosophe : "Là, il y a eu une mise en compatibilité des fonctions : il est efficace, mais aussi agréable avec sa bande enherbée".
L'avantage, c'est que le paysage est une notion que tout un chacun peut s'approprier. Tandis que les débats publics sur tel projet énergétique, telle infrastructure tournent rapidement au débat de techniciens. "Le paysage, c'est un bel outil de démocratie locale et de réappropriation du débat", estime Sébastien Giorgis, architecte paysagiste. Définir le paysage, c'est en effet définir le territoire dans lequel on vit et le projet que l'on veut y inscrire.
Cette notion devrait d'ailleurs être bientôt inscrite dans la loi, puisque le projet de loi cadre sur la biodiversité prévoit un objectif de qualité paysagère. "Ce terme de qualité est très important : on n'est pas dans la protection d'un paysage figé, mais dans la création de nouveaux paysages de qualité", souligne l'architecte. Car le piège, c'est aussi de vouloir fixer certaines représentations du paysage, alors que celui-ci a toujours suivi l'évolution de la société.
Un outil pour penser les évolutions futures
"Si le paysage permet de comprendre comment fonctionne une société, c'est aussi un outil pour penser ses évolutions", peut-on lire dans l'éditorial de l'ouvrage. Les auteurs montrent, à travers de nombreux exemples, comment le paysage permet de co-construire un projet de société, en lien avec les particularités du territoire, à l'opposé du modèle unique à décliner.
"Fréquemment, les projets énergétiques font l'objet de contentieux sur les territoires, et le paysage est souvent invoqué. Mais on constate que, dans les territoires à énergie positive, les populations sont associées aux projets et ceux-ci sont beaucoup mieux acceptés", relève Sébastien Georgis. Et de citer l'exemple du plateau de Saint-Agrève (Ardèche) approché par des promoteurs pour installer des éoliennes. Ce projet a permis d'ouvrir une réflexion large sur le projet de ce territoire à l'horizon 2030, tant sur le plan démographique, qu'économique ou énergétique. Après deux ans de travail et de concertation, l'installation d'éoliennes a été inscrite dans le projet, et leur localisation a fait l'objet de débat. "Il faut une prise en compte des populations et donner de la valeur aux nouveaux aménagements. L'inscription des terrils du Nord au patrimoine mondial de l'Unesco montre que la valeur des choses est souvent culturelle".
Parfois, au contraire, les projets d'infrastructures apparaissent déconnectés de leur territoire. La forte opposition rencontrée par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne serait-elle pas le symptôme d'une ville qui grignote ses campagnes, sans réflexion commune sur le projet local ?
Les populations, mais aussi les acteurs doivent être associés aux discussions. Pour Baptiste Sanson, la transition agro-écologique devra passer par une transformation des paysages agricoles. "A la bergerie de Villarceaux (Val d'Oise), pour passer d'une agriculture conventionnelle à une agriculture respectueuse de l'environnement, il a fallu, avant de changer les pratiques, repenser le cadre spatial. Que ce soit en divisant les parcelles, en replantant des bandes enherbées, des haies, des arbres". Cette évolution demande du temps mais permet de "joindre l'utile à l'agréable : la bergerie est désormais un espace de production, mais aussi de vie, de loisirs, avec des sentiers de promenade…". Le paysage devient polyvalent, et non monofonctionnel.
L'urbaniste Christophe Bayle travaille quant à lui, depuis plusieurs années, sur les lisières urbaines. Ces territoires, à la limite de la ville, nés de l'étalement urbain et de la désurbanisation, sans véritable projet. La lisière francilienne se déroulerait sur 13.800 km et 10 à 20 km d'épaisseur. Selon lui, "l'avenir de la région dépend de cette zone en attente d'un véritable projet, d'une émergence sociale". Outre les zones pavillonnaires symboles de l'étalement urbain, s'y sont développées les grandes cultures de manière hégémonique (80% de la surface agricole utile). Résultat : "2% des fruits et légumes consommés à Paris sont produits dans sa périphérie quand San Francisco atteint 50%". Or, "décentrer" et repenser cette lisière permettrait de donner une identité, des fonctions et donc une attractivité à ce territoire délaissé.