À l'heure où de nombreux acteurs appellent à baser les plans de relance économiques en préparation sur les secteurs d'activités favorables à la transition écologique, il semble que l'enjeu soit surtout de préserver les acquis. La crise économique qui débute est propice aux remises en question et plusieurs signaux démontrent que le lobbying est intense pour affaiblir les ambitions environnementales.
Appels à alléger ou à retarder les normes environnementales
Ainsi, dans une lettre dévoilée par le site d'information Contexte, l'Association française des entreprises privées (Afep) demande à l'Europe de retarder l'application du nouveau plan d'actions sur l'économie circulaire ou encore de reporter d'un an l'application de la
« Il y a clairement une volonté de la part de certains lobbies de "rejouer le match" sur des mesures pourtant adoptées à une très large majorité par les députés et sénateurs il y a seulement quelques mois, estime Laura Châtel, responsable du plaidoyer à Zero Waste France. Au-delà des courriers officiels, nul doute que les tractations en coulisse se font pressantes pour amoindrir l'ambition environnementale de tout ce qui peut l'être ».
Tous les secteurs sont concernés
L'association Foodwatch dénonce, quant à elle, une tentative d'affaiblissement de la réglementation relative aux résidus de pesticides. Dans une lettre envoyée par Bayer à la Commission européenne, l'association a découvert que la société y fait pression pour réclamer le statu quo sur les pesticides. « Bayer écrit que les agriculteurs, notamment de l'Afrique de l'Ouest et de l'Amérique latine, ont à gérer les objectifs de développement durable des Nations unies, la pauvreté rurale et le changement climatique. Bref, on ne va quand même pas s'embarrasser de nouvelles règles européennes », ironise Foodwatch.
Parallèlement, le député européen socialiste Éric Andrieu, s'est étonné de voir arriver en commission Environnement du Parlement européen, un projet de règlement visant à relever les taux de résidus de pesticides sur les aliments. Le projet de règlement de la Commission européenne prévoit de fixer des limites maximales de résidus pour plusieurs substances, notamment pour le flonicamide sur les fraises, les mûres, les framboises, et d'autres petits fruits et baies, entre autres, pour l'haloxyfop-P sur les graines de lin, et pour la mandestrobine sur les fraises et les raisins. « Je suis inquiet qu'une telle proposition, issue de la Commission européenne, soit arrivée jusqu'à nous. C'est l'intérêt général qui doit primer, pas l'intérêt d'une poignée, dans ce cas-ci, de quelques grands groupes industriels », estiment Éric Andrieu.
La proposition a été rejetée pour l'instant mais elle suscite l'inquiétude chez les parlementaires. Surtout que la Commission européenne a prévu de présenter, d'ici quelques semaines, une nouvelle stratégie de la ferme à l'assiette promise dans le cadre de son Green deal. Une stratégie sur la biodiversité est également attendue. Pour l'instant la présentation de ces deux textes a été reportée à cause de la crise sanitaire. Mais les parlementaires craignent un autre report, voire une annulation pure et simple. Le Green deal européen vendu comme un nouvel ordre vert par la Commission n'aurait pas encore été appliqué qu'il serait déjà bien menacé ?
L'Europe promet un maintien de cap
Face à ces doutes grandissants, la commission de l'environnement du Parlement européen a échangé avec Frans Timmermans, chef d'orchestre du pacte vert européen et de la loi européenne sur le climat, également attendue. La semaine dernière, le Parlement avait appelé à proposer un paquet de relance et de reconstruction qui ait pour moteur le pacte vert et la transformation numérique, afin de faire repartir l'économie. Frans Timmermans a acquiescé et ajouté que le pacte vert européen n'était pas un luxe mais une bouée de sauvetage pour sortir de la crise du coronavirus. « Des réponses paneuropéennes sont nécessaires et une relance verte est non seulement possible mais essentielle, car l'Europe serait doublement perdante si nous mobilisions, dans un premier temps, les investissements pour restaurer la vieille économie, avant de la rendre verte et durable. »
Si tous les députés s'accordent à dire que la crise sanitaire est la priorité absolue, nombre d'entre eux ont souligné la nécessité de conserver le calendrier relatif à certaines parties importantes du pacte vert. Frans Timmermans a déclaré que le calendrier de la loi européenne sur le climat serait inchangé, avec une proposition de révision des objectifs de réduction pour 2030 en septembre. Il a ajouté que la stratégie de l'UE en matière de biodiversité et la stratégie de la ferme à l'assiette demeuraient des priorités importantes mais devaient être reportées de quelques semaines.
La France publie sa PPE et sa SNBC
En France aussi, la ministre de la Transition écologique a été amenée à rendre des comptes devant les parlementaires de la Commission développement durable lors d'une audition en visioconférence. Là aussi les discours sont rassurants. En réponse à la lettre du Medef, la ministre a déclaré : « nous allons continuer le travail sur les textes d'application des deux lois [économie circulaire et loi mobilité] en tenant compte des difficultés des acteurs économiques à participer aux concertations ». « Le cadre politique est là avec le Green deal et avec notre PPE et SNBC. Je suis convaincue que nous avons le socle pour une sortie de crise qui prendra pleinement en compte les enjeux de la transition écologique », a-t-elle ajouté.
Premier fait concret qui pourrait appuyer ce discours : le Gouvernement a publié les décrets relatifs à la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). La publication très attendue de ces deux textes-clés de la politique énergétique met un terme à une démarche entamée mi-2017. Pour Élisabeth Borne, cette publication « incarne notre volonté intacte de poursuivre la transition écologique de notre pays. » Le Syndicat des énergies renouvelables y voit aussi un bon signe pour la relance du secteur : « cette publication apporte, dans cette phase d'incertitude importante, une visibilité pour les différentes filières des énergies renouvelables. Dans la crise sanitaire que traverse notre pays avec les conséquences économiques et sociales qu'elle va entraîner, ce texte constitue un élément d'ancrage essentiel pour la relance du secteur.
Les ONG, quant à elles, auraient préféré une mise à jour des ambitions à la hausse pour en faire le plan de relance français : « Le Gouvernement ne retient pas les leçons de la crise sanitaire, estime Anne Bringault, du Réseau action climat. Au lieu d'engager la France vers une plus grande résilience face à la crise climatique qui s'aggrave, il publie une feuille de route sans les mesures suffisantes pour atteindre les objectifs fixés, alors même qu'ils sont déjà insuffisants. Il ne se donne pas les moyens de préparer une reprise de l'économie cohérente avec l'Accord de Paris.»