« Le changement climatique et l'effondrement de la biodiversité sont à l'œuvre. Certaines pollutions affectent fortement la santé humaine. Alors que ces évolutions menacent l'avenir de l'humanité, "nous regardons ailleurs". » C'est ainsi que l'Autorité environnementale a choisi d'ouvrir l'édito de son rapport annuel, mis en ligne le 11 avril 2022.
Cette autorité indépendante, chargée de rendre un avis sur la qualité des évaluations environnementales et la bonne prise en compte de l'environnement par les projets, plans et programmes évalués, tire la sonnette d'alarme. Ses membres disent constater « un écart préoccupant entre les objectifs fixés à moyen et long terme, les ambitions affichées pour les atteindre et les actes censés les traduire ».
Moyens sans rapport avec les objectifs
Alors que l'Ae a traité un nombre record de dossiers (159 avis rendus en 2021 au lieu de 91 en 2020), dont plusieurs sur l'énergie nucléaire et sur les renouvelables, elle fait un focus sur l'état d'avancement de la transition énergétique. Le verdict est sans appel puisqu'elle constate un décalage très important entre les ambitions fortes affichées dans les plans, programmes et projets étudiés et les moyens mis en œuvre, qui ne permettent pas d'atteindre l'objectif de l'Accord de Paris de limiter à 1,5 °C le réchauffement climatique. Elle souligne ici sa convergence de vue avec le Haut Conseil pour le climat, qui a pointé l'insuffisance des efforts actuels de la France pour atteindre l'objectif de baisser de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, mais aussi avec le Conseil d'État qui, dans le contentieux Grande-Synthe, a enjoint au gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour atteindre cet objectif.
Quant au nucléaire, l'Ae a eu l'occasion de se pencher, pour la première fois, sur des « maillons clés » de la filière : EPR de Flamanville, usine de retraitement de La Hague et projet Cigeo de stockage souterrain de déchets radioactifs. « La distinction légale entre matières et déchets radioactifs est susceptible de renvoyer à beaucoup plus tard des incidences importantes sur l'environnement qui ne sont pas appréhendées d'emblée, puisque ces matières ne sont pas considérées par l'exploitant comme des déchets », a notamment pointé l'Ae. Pour l'EPR, cette dernière a aussi recommandé d'étudier les possibilités de valoriser la chaleur fatale produite, un investissement « qui ne paraît pas a priori disproportionné par rapport au coût total du projet ». Un coût qui a été réévalué en janvier dernier à 12,7 milliards d'euros.
Hypothèses irréalistes
L'Autorité constate également les progrès « trop limités » de la sobriété énergétique et de la consommation décarbonée dans des projets comme les infrastructures de transport, l'aménagement de nouveaux quartiers ou le développement de sites industriels. En effet, ceux-ci conduisent, la plupart du temps, à une augmentation des consommations d'énergie. Et de relever des carences importantes dans certains cas : exigences de performance énergétique des bâtiments non précisées, absence d'analyse du report modal et des effets sur l'urbanisation et les consommations énergétiques associées des projets de transport, oubli des transports en commun et des mobilités actives, etc. En matière industrielle, l'Ae a aussi constaté l'insuffisance de l'analyse de solutions alternatives sobres afin de réduire les consommations électriques, de réutiliser la chaleur fatale ou de développer des moyens de production d'EnR.
L'Ae indique avoir été confrontée à l'utilisation d'hypothèses irréalistes pour justifier certains projets. Elle cite, à titre d'exemple, l'aéroport de Lille-Lesquin dont l'étude d'impact prévoit une réduction de 90 % des émissions par passager d'ici à 2050 en faisant un double pari « particulièrement audacieux » d'un renouvellement des flottes très rapide et de l'arrivée massive des avions à hydrogène dès 2035. « De façon plus générale, la contribution des projets à l'atteinte de la neutralité carbone n'est pas démontrée », constatent froidement les membres de l'Ae.
Dépassement des limites planétaires
Les graves insuffisances constatées dans la mise en oeuvre ne concernent pas que les projets, elles apparaissent aussi dans les plans et programmes. Parmi les quatre avis rendus sur des plans en matière d'énergie (PPE, S3REnR, PCAET), l'Ae a relevé « des objectifs certes ambitieux, mais souvent fixés sans rapport avec les moyens effectivement déployés pour les atteindre ». Quant aux schémas régionaux biomasse et au programme forêt-bois examinés, elle a relevé leur « faible contribution » à la transition énergétique.
Les contrats de plan État-Région sont aussi passés sous les fourches caudines de l'Autorité, qui a constaté la mauvaise estimation de leur impact sur la consommation énergétique et les émissions de GES, qui devraient pourtant être des conditions pour l'attribution des aides. Quant aux documents stratégiques de façade, l'Ae s'était étonnée que « le changement climatique et la transition énergétique n'apparaissent pas comme une problématique centrale ».
En conclusion, l'Autorité indépendante préconise un suivi consolidé, aux échelles territoriale et nationale, des émissions de gaz à effet de serre de tous les projets afin de mieux apprécier le décalage entre l'ambition des objectifs et la réalité. « Si on ne l'anticipe pas, les limites planétaires et les effets de leur dépassement s'imposeront de façon implacable », avertit l'Ae.