En amont de la parution de l'édition 2022 de son scénario quinquennal, le 26 octobre prochain, Négawatt, association d'experts indépendants, dévoile aujourd'hui la synthèse de son analyse prospective de transition énergétique. Ce scénario s'oriente vers deux cibles : la neutralité carbone en France (émissions « importées » incluses) en 2050, ainsi que la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen d'ici à 2030. Il s'appuie également sur les 17 Objectifs de développement durable promus par les Nations unies qui proposent, selon l'association, « un socle pertinent pour considérer la diversité des enjeux sociaux, économiques et environnementaux autour des choix de transition énergétique ».
La sobriété reste le modus operandi
Parmi les choix, opérés par les experts de l'association dans l'élaboration de leur scénario pour 2050, figurent notamment une réduction drastique de la consommation énergétique et l'abandon des nouveaux projets de centrales nucléaires au profit d'un mix occupé presque à 100 % par des énergies renouvelables. Le scénario Négawatt 2022 s'inscrit ainsi en contre-point des propres scénarios de RTE, mandaté par le gouvernement, très attendus des professionnels de l'énergie et publiés le 25 octobre prochain.
Les travaux de RTE – dont les grandes lignes ont été survolées lors du Colloque national éolien, la semaine dernière à Paris – se basent, en effet, sur une augmentation de la consommation et sur le nucléaire, dans trois scénarios sur six. L'association Négawatt, quant à elle, privilégie comme toujours la sobriété et l'efficacité énergétique, avant la production à outrance. « Les limites planétaires vont nous imposer une sobriété dans nos modes de vie, déclarait déjà Yves Marignac, porte-parole de l'association, à l'occasion de ce même colloque. Il faut dimensionner les besoins et les services avant d'envisager le développement massif des énergies renouvelables, pour éviter de produire trop inutilement. »
96 % d'énergies renouvelables en 2050
Pour respecter l'objectif inscrit dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), le scénario Négawatt 2022 prône une division par deux de la consommation d'énergie finale en 2050, par rapport à aujourd'hui. Il cible même une division par trois de la consommation d'énergie primaire – détaillée plus bas. L'association mise ensuite, une fois cette sobriété mise en œuvre, sur un mix énergétique s'appuyant à 96 % sur des « ressources énergétiques renouvelables », multipliant leur production par trois. « Les 4 % d'énergies fossiles restantes sont uniquement destinés aux usages matières premières, (mais) les usages énergétiques sont couverts à 100 % par des sources renouvelables », précise l'association dans un communiqué.
Négawatt prévoit, plus exactement, d'atteindre 300 térawattheures (TWh) d'électricité produite par l'énergie éolienne en 2050 – en multipliant, notamment, par 2,1 le nombre de turbines à terre. Le solaire photovoltaïque produira, quant à lui, environ 160 TWh d'électricité et le biogaz 140 TWh. « En valorisant les excédents d'électricité renouvelable qui apparaissent dans le scénario à partir de 2030, le "power-to-gas" rend possible une augmentation des puissances installées d'éolien et de photovoltaïque, et contribue ainsi à la sécurité du système électrique, explique Négawatt. Outre l'avantage de pouvoir être stockés, le méthane et l'hydrogène renouvelables ainsi produits s'ajoutent au biogaz issu de la méthanisation pour répondre à de nombreux besoins : se déplacer, alimenter l'industrie, se chauffer, produire de l'électricité, etc. »
Concernant justement le biométhane, Négawatt envisage la généralisation de la valorisation des résidus de culture, des déjections animales, des biodéchets et des couverts de végétaux provenant de toutes les terres arables. En parallèle, « aucun des 56 réacteurs (nucléaires) actuellement en activité n'est prolongé au-delà d'une durée de fonctionnement de cinquante années, certains sont arrêtés dès quarante ans et aucun nouveau réacteur n'est mis en service » d'ici à 2050, étaye Négawatt, qualifiant, qui plus est, l'EPR de Flamanville « d'échec industriel majeur ».
Rénover les bâtiments et revoir la mobilité
En matière de mobilité et de transport, Négawatt prévoit une évolution technologique contribuant à une baisse de 60 % de la consommation moyenne des voitures (et de 20 % pour les poids lourds) d'ici trente ans. La nature de la motorisation et des carburants nécessitera, elle aussi, de nets changements, voués à écarter toute trace d'essence ou de gazole :
- Composition du parc automobile en 2050 : 59 % de véhicules électriques, 37% de véhicules hybrides rechargeables électrique-GNV et 4 % de véhicules à hydrogène.
- Composition du parc poids lourds en 2050 : 74 % alimentés au gaz renouvelable, 14 % à l'hydrogène et 12 % à l'électricité.
Le scénario Négawatt 2022 entend, en outre, reporter la majorité des déplacements vers le vélo ou le ferroviaire, prescrivant l'abandon de tout nouveau projet routier ou aéroportuaire, d'interdire à terme la vente de véhicules à essence ou diesel « au plus tard en 2035 » et les vols intérieurs d'ici à 2050, ou encore d'instaurer une redevance kilométrique sur le fret routier reversée au financement du fret ferroviaire.
Le rôle des matières premières et de l'agroécologie
Le volet Afterres 2050 – réalisé en collaboration avec l'association Solagro – est consacré, quant à lui, à la transition agroalimentaire. Il envisage une réduction de 50 % de la consommation de viande en 2050 ainsi qu'un doublement des élevages en pâturage (conjugué à une réduction équivalente des élevages intensifs) dès 2030. Dans l'hypothèse d'un renforcement de l'agroécologie, il compte également sur la constitution de suffisamment de puits de carbone naturels pour contribuer à diviser par trois les émissions de méthane (contre une division par neuf pour l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre).
Les bénéfices humains de la transition énergétique
Atteindre la neutralité carbone en 2050, par le truchement du scénario de l'association, s'accompagnerait également de bénéfices sur la santé et l'emploi. Vouée à réduire la pollution de l'air, la transition énergétique imaginée par Négawatt conduirait, d'une part, à éviter plus de 10 000 décès par an entre 2035 et 2050 et à augmenter de trois mois l'espérance de vie moyenne des Français. D'autre part, l'association l'estime capable de créer plus de 250 000 emplois dans le secteur de la rénovation des bâtiments (et jusqu'à 300 000 en 2040) ainsi que près de 90 000 dans celui des énergies renouvelables (voire 135 000 en 2040).
En somme, le scénario 2022 « (esquisse) un projet de société socialement juste et apaisée, respectant les limites physiques de la planète pour offrir à moyen et long termes des conditions de vie décentes à tous nos concitoyens et à leurs descendants, conclut Négawatt, qui présentera, le 26 octobre, des propositions concrètes, vouées à le réaliser, à destination des candidats à la prochaine élection présidentielle. Chaque dixième de degré compte : le temps d'agir est venu en orientant toutes nos politiques sur le chemin de la sobriété, de l'efficacité et des ressources renouvelables, tout en accompagnant les transformations et mutations nécessaires, y compris sur le plan social et économique. »