Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Transports : les biocarburants ne sont pas une option probante

Malgré l'interdiction du soja comme carburant durable, la France continue de placer ses espoirs dans les biocarburants, notamment avancés, pour l'aviation. Pourtant, selon Canopée, leur cycle de vie et leur disponibilité restent problématiques.

Transport  |    |  F. Gouty
Transports : les biocarburants ne sont pas une option probante

Les biocarburants, qu'ils soient de première ou de deuxième génération, ne sont pas la meilleure alternative aux carburants fossiles. Tel est le message du nouveau rapport (1) de l'association Canopée, membre des Amis de la Terre et du collectif SOS Forêt. L'Europe semble pourtant penser autrement, à en croire son projet d'alliance industrielle autour des carburants renouvelables et bas carbone (ou alliance RLCF). Idem pour la France, à en juger par le contenu de la dernière loi de finances.

S'il réitère l'interdiction d'utiliser l'huile de soja en tant que biocarburant, dit de première génération, le texte rehausse les seuils d'incorporation (2) des biocarburants avancés (ou de deuxième génération) à 1 % pour l'essence et à 0,2 % pour le gazole, sur un objectif fixé respectivement à 1,2 % et 0,4 % en 2023 par la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La part maximale de l'énergie issue des graisses et huiles usagées augmente, par ailleurs, de 0,1 point. Pour rappel, une directive européenne de 2015 fixe un objectif indicatif d'incorporation à 0,5 % (contre 7 % pour les biocarburants de première génération). Le rapport de Canopée rappelle cependant que si les biocarburants avancés sont effectivement plus « durables » que leurs prédécesseurs de première génération, leur volume n'est actuellement pas suffisant et une hausse de la demande pourrait avoir de lourdes conséquences environnementales.

Entre interdiction et importation frauduleuse

Surtout que la France est loin d'avoir tourné la page des biocarburants de première génération. Si elle a déjà interdit l'utilisation d'huile de palme, en 2020, puis désormais d'huile de soja pour lutter contre la déforestation importée, elle compte encore en grande partie sur des biocarburants issus d'autres cultures alimentaires. En 2020, rapporte Canopée, la France a consommé près de 47 milliards de litres de carburants (essence et gazole), dont 8,6 % de biocarburants incorporés – au-delà donc du plafond européen de 7 %. En termes de volume, cela représente 4 milliards de litres, répartis à trois quarts pour le biogazole et à un quart pour le bioéthanol. Or, « près de 90 % des biocarburants incorporés sont directement issus de cultures alimentaires (de) colza, de soja, de blé, de maïs et de betterave », étaye l'association.

De plus, malgré l'interdiction de l'huile de palme dans l'Hexagone, Canopée alerte sur les dérives de l'importation. Car les biocarburants d'origine française n'occupent qu'un faible pourcentage du volume total consommé en France : plus de 20 % de ce total serait importé de Chine. « L'huile de palme peut arriver directement, frauduleusement, ou indirectement, sous la forme d'huiles alimentaires usagées, remarque Joachim Voisin-Marras, porte-parole de l'association et auteur du rapport, en référence à une affaire traitée en 2018 par les douanes belges. Pour contrebalancer la demande, de l'huile de palme vierge est mélangée avec des huiles alimentaires usagées et rentre ainsi sur le marché européen en tant que biocarburant avancé. »

Biocarburants, émetteurs involontaires ?

Ces carburants souvent qualifiés de « durables » le sont-ils donc vraiment ? Pour l'association, la réponse est non. Si ces biocarburants de première génération restent certes moins polluants à la sortie du pot d'échappement que leurs homologues fossiles, c'est sans compter sur la déforestation qu'ils provoquent (estimée à 7 millions d'hectares d'ici à 2030, selon Canopée), puis les émissions dues à leur importation. « Les biocarburants ne respectent pas les objectifs de durabilité fixés par l'Union européenne, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 50 à 60 %, si on prend en compte le changement d'affection des sols indirect qu'ils induisent, affirme, qui plus est, Joachim Voisin-Marras. C'est le facteur déterminant. »

Le phénomène de changement d'affection des sols indirect (Casi) est dû à la mobilisation de nouvelles terres arables, causant la disparition de réservoirs naturels de carbone. Bien qu'il reste difficile à quantifier, il serait responsable d'importantes émissions non intentionnelles de gaz à effet de serre, selon le modèle Globiom (pour Global biosphere management model). Ce dernier a été élaboré en 2015 par l'Institut international d'analyse appliquée des systèmes (Iiasa) à la demande de la Commission européenne. Il reconnaît cinq principaux effets du Casi : l'émission du carbone stocké dans la végétation naturelle détruite par déforestation ; l'émission du carbone contenu dans les sols, retournés pour être cultivés ; l'émission du carbone contenu dans la biomasse agricole, par la reconversion d'une culture ; la capture éventuelle de carbone perdue par l'utilisation des terres ; et l'émission du carbone par aération des tourbières, mobilisées pour ces cultures.

D'après les calculs de l'Iiasa, les émissions moyennes résultant uniquement du Casi sont de 231 grammes d'équivalent CO2 par mégajoules (gCO2eq/MJ) pour l'huile de palme, de 150 gCO2eq/MJ pour le soja et de 65 gCO2eq/MJ pour le colza. À titre de comparaison, les émissions de gaz à effet de serre sur tout le reste du cycle de vie (donc, hors Casi mais sans considérer les émissions au pot d'échappement) estimées par l'Agence de la Transition écologique (3) (Ademe) en 2019, sont d'environ 68 gCO2eq/MJ pour l'huile de palme et de 21 gCO2eq/MJ pour le soja.

Le mirage des biocarburants avancés

D'un autre côté, compter sur les biocarburants avancés n'est pas la solution non plus, selon Canopée. Les huiles alimentaires usagées, évoquées plus haut, ne suffiront pas, par exemple, à verdir l'aviation. « Le gouvernement (les) imagine comme la solution la plus accessible alors que le gisement ne peut le permettre, affirme Joachim Voisin-Marras. Il ne faut pas introduire des biocarburants avancés dans l'aviation, car ce serait la porte ouverte à l'importation de matières premières non durables pour compenser la demande. » Le gisement français d'huiles alimentaires usagées ne serait, en effet, pas suffisant pour respecter un taux d'incorporation de 16 % réalisé par Air France pour son premier vol long-courrier du genre (un Paris-Montréal), en mai 2021.

Généraliser ce taux d'incorporation à tout le secteur aérien demanderait un million de tonnes d'huiles alimentaires usagées, « soit l'équivalent de vingt fois le gisement total ». Porter ce taux à 100 % par vol ne permettrait d'effectuer que 700 Paris-Montréal, contre les 1,5 million de vols commerciaux annuels enregistrés en 2019, calcule Canopée dans un autre rapport publié en septembre (4) . L'an dernier, l'Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques (OSFME) rapportait que la production mondiale de biokérosène ne représentait pas plus de 1 % de la demande en carburant aéronautique.

“ Les biocarburants avancés, même avec leur volume très limité, ne serviront à rien une fois la voiture thermique disparue ” Joachim Voisin-Marras, Canopée
Enfin, d'autres potentiels biocarburants avancés, dits de troisième génération, restent encore à l'état prototypique, comme ceux issus de micro-algues. Certains de ces « algocarburants » sont produits, notamment, par l'Institut des biosciences et biotechnologies d'Aix-Marseille (Biam) non loin du site du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) de Cadarache. Si les rendements à l'hectare sont supérieurs aux autres biocarburants cultivés sur terre et s'ils ne concurrencent pas des cultures alimentaires, Canopée ne considèrent pas ces algocarburants comme « une option crédible à court terme ». Comme elle le souligne dans son rapport, « la culture d'algues en France est négligeable et son développement est peu vraisemblable en raison d'obstacles économiques et techniques ».

Quel avenir pour les biocarburants ?

En somme, à la lumière de ses deux rapports, l'association préconise avant tout d'acter « la sortie de tous les biocarburants de première génération d'ici à 2030, [en] diminuant progressivement les seuils d'incorporation », relaie Joachim Voisin-Marras, en respect de la directive européenne RED II. Pour rappel, cette dernière regroupe l'ensemble des règles de comptabilité de participation des bioénergies aux objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables. Et il en va de même pour les biocarburants avancés, sur le long terme : « Les biocarburants avancés, même avec leur volume très limité, ne serviront à rien une fois la voiture thermique disparue. »

En finir avec ce que Canopée qualifie d'illusion des biocarburants passe inévitablement par plus de sobriété. « Il faut absolument réduire notre demande en mobilité », insiste l'auteur des deux rapports. Concrètement, cela signifie, dans l'aviation par exemple, de réduire drastiquement le trafic aérien et de suspendre l'objectif d'incorporation de 1 % de biocarburants avancés. Néanmoins, nuance Joachim Voisin-Marras, les huiles alimentaires usagées, notamment, peuvent être une solution dans des cas particuliers nécessitant des volumes très faibles. L'association Roule ma frite, qui officie dans plusieurs départements français, récupère de l'huile de friture, la valorise en nettoyants biodégradables, mais surtout la réutilise pour ses propres camions. Une démarche à petite échelle que même Canopée juge « plutôt vertueuse ».

1. Télécharger le rapport Canopée sur les biocarburants
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-38799-Canopee-RAPPORT-BIOCARBURANTS-impasse.pdf
2. Part des biocarburants dans le volume à la pompe.3. Télécharger l'évaluation de l'Ademe sur les biocarburants de juin 2019.
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-38799-ademe-eval-impact-scenarios-biocarburants-ltecv-2019-rapport.pdf
4. Télécharger le rapport Canopée sur les biocarburants dans l'aviation
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-38799-Canopee-RAPPORT-Biocarburants-Aviation-2021.pdf

Réactions2 réactions à cet article

Encore un exemple, s'il en fallait : c'est l'ensemble de la SNBC qui est inepte !

dmg | 28 décembre 2021 à 17h37 Signaler un contenu inapproprié

Le 16/12/2021. actu env. titrait "Bruxelles veut doper le gaz vert et l'hydrogène et s'attaque aux fuites de méthane", Il n' était ciblé que le Gaz Naturel. Les éminences grises de Bruxelles ne se déplacent pas dans les campagnes, là où les élevages à biogaz, les bio-méthaniseurs empoisonnent l'air, et les digestats empoisonnent la terre. On a encore des contre vérités sous le titre, " la France continue de placer ses espoirs dans les biocarburants, notamment avancés, pour l'aviation. " Ce sont des industriels qui voudraient continuer à profiter des aides de l'Etat pour faire fonctionner leurs usines pour extraire les huiles de végétaux cultivés - maïs, colza .. - avec des mécanisations, des tracteurs fonctionnant au gazole, des végétaux que l'on traite avec des pesticides, avec épandages d'engrais, et très souvent l'irrigation.
Il n'y a rien de bio dans ces cultures + extractions d'huiles pour ajouter aux carburants. C'est un bizness qui ne devrait plus avoir cours sur toute la planète. A la rigueur les huiles qui sont des déchets ( huiles de fritures) pourraient être utilisées mais les produits de combustions renferment nécessairement plus de polluants que par les combustions des carburants gazole, essences. L'article décrit bien, le faible volume d'huiles produites en France, devant les quantités qui seraient nécessaires pour reproduire des incorporations d'huiles à 16 %, pour tous les avions. Désolant que des CdA, et des assos cautionnent !

J Cl M 44 | 03 février 2022 à 20h17 Signaler un contenu inapproprié

Réagissez ou posez une question au journaliste Félix Gouty

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager