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Les différentes valeurs de la nature doivent être intégrées dans le processus décisionnel

Après son rapport sur l'utilisation durable des espèces sauvages, l'Ipbes publie un deuxième rapport sur les valeurs de la biodiversité. Ses auteurs appellent à les intégrer dans les processus décisionnels. À défaut, la crise s'aggravera.

Biodiversité  |    |  L. Radisson
Les différentes valeurs de la nature doivent être intégrées dans le processus décisionnel

« Nous vivons tous de la nature. Elle nous fournit de la nourriture, des médicaments, des matières premières et de l'oxygène, assure la régulation du climat et joue bien d'autres rôles encore. La nature, dans toute sa diversité, est le meilleur atout dont l'humanité puisse rêver. Pourtant, sa valeur réelle est souvent ignorée dans les prises de décisions », relève Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue). Tel est le constat réalisé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) à la suite d'une évaluation méthodologique des diverses valeurs de la nature réalisée par 82 scientifiques du monde entier.

Pour cela, ces experts se sont appuyés sur quelque 13 000 références scientifiques, sur des savoirs traditionnels, mais aussi sur le rapport d'évaluation mondiale publié par l'Ipbes, en 2019. Celui-ci avait pointé le rôle de la croissance économique dans la destruction de la nature et la menace d'extinction pesant sur un million d'espèces animales et végétales. Le nouveau rapport (1) a été approuvé, samedi 9 juillet, par les 139 États membres de la plateforme réunis à Bonn (Allemagne), après celui, deux jours plus tôt, portant sur l'utilisation durable des espèces sauvages.

Priorité aux profits à court terme

« Ce rapport souligne le fossé béant séparant la science et la politique, moins de 5 % des études d'estimation des valeurs étant prises en compte dans les processus politiques », pointe Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). En effet, les scientifiques font le constat que les profits à court terme font l'objet d'une attention prédominante dans le monde entier, alors que les valeurs de la nature sont rarement prises en compte dans les décisions politiques. Lorsqu'elles le sont, la priorité est donnée à des valeurs fondées sur le marché, telles que l'alimentation issue de l'agriculture intensive. Sont donc laissées de côté la manière dont la nature affecte la qualité de vie des personnes ainsi que les valeurs non marchandes de la biodiversité, comme la régulation du climat ou l'identité culturelle.

“ Ce rapport souligne le fossé béant séparant la science et la politique, moins de 5 % des études d'estimation des valeurs étant prises en compte dans les processus politiques. ” Achim Steiner, administrateur du Pnud
Pourtant, les outils ne manquent pas. « Plus de 50 approches et méthodes d'estimation des valeurs existent : il n'y a donc pas de pénurie de moyens et d'outils pour rendre visibles les valeurs de la nature », explique Unai Pascual, codirecteur de l'évaluation. « Les Nations unies ont adopté le Système de comptabilité économique et environnementale intégrée en tant que norme guidant la comptabilité nationale des pays, rappelle ainsi Inger Andersen. Nous devons veiller à ce qu'il soit mis en place dans le monde entier de sorte que les contributions remarquables de la nature soient enfin reconnues et qu'elles soient protégées. »

Typologie des valeurs de la nature

« Ce qui manque donc, c'est l'utilisation [des méthodes] pour intégrer de manière transparente les diverses valeurs de la nature dans l'élaboration des politiques », explique Unai Pascal. Afin d'aider les décideurs, le rapport en propose toutefois une typologie complète. « Différents types de valeurs peuvent être examinés à l'aide d'un éventail d'indicateurs et de méthodes d'estimation », explique Patricia Balvanera, codirectrice de l'évaluation. L'Ipbes distingue trois types de valeurs, rappelle la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) : les valeurs instrumentales, telles que celle que revêt le bois en tant que combustible ou matériau, les valeurs relationnelles, comme celle de l'aigle à tête blanche en tant qu'emblème des États-Unis, et les valeurs intrinsèques, qui sont indépendantes de toute évaluation humaine.

« Un projet de développement peut générer des avantages économiques et des emplois, pour lesquels les valeurs instrumentales de la nature peuvent être évaluées, mais il peut également entraîner la disparition d'espèces, associée aux valeurs intrinsèques de la nature, et la destruction de sites patrimoniaux importants pour l'identité culturelle, affectant ainsi les valeurs relationnelles de la nature. Le rapport fournit des conseils pour combiner ces valeurs très diverses », explique Patricia Balnavera. Les auteurs du rapport soulignent notamment l'importance de ne pas ignorer les valeurs associées aux peuples autochtones, de même que la reconnaissance du rôle des femmes dans la gestion de la nature.

Le fait d'attribuer une valeur à tous les services rendus par la biodiversité n'est toutefois pas partagé par tous. « Je pense que la valeur intrinsèque ne fait pas bon ménage avec les autres types de valeurs, instrumentales et relationnelles », estime ainsi Frédéric Ducarme, enseignant-chercheur en philosophie au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), interviewé par la FRB. « D'un autre côté, la dichotomie entre valeurs instrumentales et non instrumentales s'applique mal à la nature, ajoute le chercheur. Elle est très moralisatrice. Car c'est moins le côté instrumental qui compte que l'effet de notre interaction. Quand je m'émerveille devant un récif corallien, c'est très instrumental – c'est d'ailleurs une industrie. L'important, c'est que je ne lui fasse pas de mal. Inversement, il y a des pratiques non instrumentales qui, par désintérêt, peuvent détruire la nature. Certains peuvent détruire la nature par simple négligence et déconsidération. Je pense donc que le couple destructeur-non destructeur (conséquentialiste) est plus pertinent dans notre rapport à la nature qu'une opposition morale du type instrumental-non (déontique), dont la nature se fiche bien. »

Soutenir les valeurs alignées sur la durabilité

Les auteurs du rapport identifient, quant à eux, quatre leviers susceptibles de catalyser la transformation vers un avenir durable et juste. Il s'agit de reconnaître les diverses valeurs de la nature, d'intégrer ces valeurs dans le processus décisionnel, de réformer les politiques, ainsi que de modifier les objectifs de la société afin de soutenir les valeurs alignées sur la durabilité dans tous les secteurs. « Notre analyse montre que diverses voies peuvent contribuer à la réalisation d'un avenir juste et durable. Le rapport accorde une attention particulière aux voies d'avenir liées à l'"économie verte", la "décroissance", la "gouvernance de la Terre" et la "protection de la nature" », explique Unai Pascual.

Une opportunité unique se présente pour intégrer ces conclusions scientifiques dans la gouvernance mondiale. « L'évaluation des valeurs réalisée par l'Ipbes paraît à un moment critique ; elle précède le cadre mondial de la biodiversité pour la prochaine décennie que devraient mettre au point les parties à la Convention sur la diversité biologique avant la fin de l'année, rappelle Ana María Hernández Salgar, présidente de l'Ipbes. Les informations, les analyses et les outils fournis par cette évaluation représentent des contributions précieuses à cette initiative, à la réalisation des objectifs de développement durable et à la réorientation de toutes les décisions afin qu'elles soient suivies de résultats davantage centrés sur les valeurs et bénéficiant à l'humanité et au reste de la nature. » La balle est désormais dans le camp des États parties à la Convention sur la diversité biologique.

1. Télécharger le résumé pour les décideurs
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-40002-ipbes-rapport-decideurs.pdf

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