Des per et polyfluorés (PFAS) retrouvés dans l'eau superficielle, souterraine et potable, mais également dans les poissons pêchés dans le Rhône : les premiers résultats du suivi par les services de l'État montrent une contamination généralisée par ces substances dans la portion du fleuve située au niveau de la vallée de la chimie (Auvergne-Rhône-Alpes).
Cette pollution historique a été mise sur le devant de la scène, en mai dernier, par une enquête de l'équipe Vert de rage du journaliste d'investigation Martin Boudot. Celle-ci a réalisé des prélèvements dans quatre milieux : l'eau du Rhône, l'eau du robinet, les sols et l'atmosphère. Le résultat de leurs analyses a montré la présence de PFAS, utilisés actuellement ou par le passé par des industriels situés à proximité, Arkema France (substance 6:2 FTS) et Daikin (substance PFHxA), sur la plateforme industrielle de Pierre-Bénite (Rhône).
La mise en lumière médiatique a fait réagir les services de l'État et a entraîné la mise en place d'un nouveau cadre de surveillance. Parmi les mesures engagées, l'arrêté ministériel du 11 mai ajoute différents PFAS à la liste des substances à surveiller pour établir l'état chimique des eaux souterraines. Le texte a ensuite été décliné localement à l'échelle du bassin Rhône-méditerranée. « Sans attendre cette évolution réglementaire récente, des campagnes de mesure de 17 PFAS sont menées à titre expérimental, depuis 2014, pour les eaux superficielles et, depuis 2017, pour les eaux souterraines, souligne toutefois la Dreal. Cinq substances ont été ajoutées pour les eaux souterraines en 2022, soit 22 substances PFAS suivies. »
Une pollution industrielle mais aussi liée à la lutte contre les incendies
Parmi les substances recherchées cet été, seul le 6:2 FTS, composé notamment utilisé par Arkema, a été retrouvé dans les eaux superficielles. Le 6:2 FTAB, utilisé dans certaines mousses anti-incendies, est, quant à lui, le seul identifié en entrée comme en sortie de station d'épuration.
Au niveau européen, la révision du règlement Reach était très attendue concernant notamment les PFAS. Elle présentait une opportunité pour permettre l'évaluation des produits chimiques non pas substance par substance mais par famille de produit mais également pour limiter les PFAS aux usages essentiels pour la société. Cette révision a toutefois été repoussée probablement à après 2024.
En France, quelques limites commencent toutefois à être mises en place. « A partir du 1er janvier 2023, une valeur d'émission spécifique pour les PFOS sera fixée pour les rejets des ICPE dans le milieu naturel, de 25 μg/L, rappelle la Dreal. Pour certaines installations de traitement de déchets relevant du régime de l'autorisation et de la directive relative aux émissions industrielles (dite « IED »), à compter du 17 août 2022, une surveillance semestrielle du PFOS et du PFOA devra être réalisée au niveau des effluents ».
Concernant les industriels, depuis le 1er juin, Arkema et Daikin doivent analyser quotidiennement leurs rejets liquides et transmettre leur bilan à l'Inspection des installations classées. Ce suivi journalier a identifié dans leurs rejets les PFAS utilisés dans leurs process. Plus précisément, il montre, pour Daikin, « des teneurs relativement homogènes et modérées en PFHxA et des quantités totales de PFAS très faibles rejetées dans le milieu, qui peuvent s'expliquer par une station de traitement des effluents très performante sur le site », selon la Dreal. En revanche, dans le rejet d'Arkema, les analyses ont révélé des teneurs hétérogènes et élevées en 6:2 FTS.
L'industriel a d'ailleurs annoncé l'arrêt de l'utilisation du 6:2 FTS au plus tard le 31 décembre 2024. Un objectif formalisé dans un arrêté qui complète cette interdiction d'une obligation d'une diminution par paliers de son utilisation : avec une première réduction en mars 2023 (- 65 %), puis en décembre 2023 (- 73 %), et en septembre 2024 (- 80 %).
À noter également : la pollution des eaux souterraines sous la plateforme présente des PFAS actuellement utilisés - PFHxA et 6:2 FTS -, mais également d'autres utilisés par le passé (PFOA, PFNA et PFUnDA). « D'autres composés sont aussi détectés alors qu'ils n'ont pas été utilisés sur le site en l'état actuel des connaissances », pointe également la Dreal.
Des PFAS sont présents dans toutes les espèces de poissons prélevées
Plusieurs opérations de pêche de poissons ont été organisées sur le Rhône en aval immédiat, mais aussi éloignées de la plateforme industrielle pour avoir des points de comparaison : dans un affluent du Rhône, le Garon, et dans une dérivation du Rhône, située en amont, le canal de Jonage. Les analyses montrent des PFAS présents dans toutes les espèces prélevées et dans l'ensemble des stations de pêche. Qui n'ont toutefois pas forcément de lien avec les substances utilisées sur la plateforme industrielle de Pierre-Bénite. « Le composé majoritairement retrouvé est le PFOS, détecté dans la totalité des mesures et avec des concentrations importantes, qui dépassent les teneurs maximales prévues dans le futur règlement européen sur les denrées alimentaires, note la Dreal. Il s'agit d'un composé dont l'usage est restreint par la réglementation internationale depuis 2009. Une première hypothèse est celle d'une pollution en partie historique ; le PFOS est aussi un composé produit indirectement par la dégradation dans le temps d'autres composés PFAS. »
Autre point à noter : la pollution totale en PFAS dans les poissons est de même grandeur à proximité de la plateforme industrielle ou sur des sites éloignés. Des pêches complémentaires sont programmées en octobre 2022 pour consolider les analyses.
Pour mémoire, un avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), en juillet 2020, établissait un seuil de sécurité pour les aliments de 4,4 nanogrammes par kilogramme de poids corporel par semaine, pour la somme des quatre PFAS (PFOS, PFOA, PFNA, PFHxS). Avec le constat que l'exposition d'une partie de la population européenne dépassait la dose hebdomadaire tolérable.
En août dernier, la Commission européenne a recommandé aux États membres de surveiller la teneur en PFAS des denrées alimentaires au cours des années 2022 à 2025. « À l'initiative de la direction générale de l'Alimentation, un plan de surveillance exploratoire a été mis en place en France, dès 2022, sur différentes espèces de poissons, indique la Dreal. Il sera élargi en 2023 aux viandes et abats de bovins, ovins, porcins, volailles. »
Une anticipation de la nouvelle directive-cadre sur l'eau
L'eau potable a également fait l'objet d'une surveillance spécifique de ces polluants au niveau de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite. L'ARS Auvergne-Rhône-Alpes a mené une première campagne en juillet 2022 sur l'eau brute, l'eau traitée et l'eau distribuée issue des champs captants de la nappe alluviale du Rhône en aval de Pierre-Bénite et jusqu'à Péage-de-Roussillon et de la nappe alluviale du Garon. « Les PFAS étant solubles, l'ARS a décidé d'étendre la surveillance des 20 PFAS listés dans la directive européenne à tous les captages alimentés directement ou indirectement par le fleuve Rhône, donc jusqu'au Péage-de-Roussillon », a précisé l'agence régionale de santé.
Elle anticipe ainsi des demandes de la nouvelle directive Eau potable – pas encore transcrite en droit français -, qui introduit les PFAS dans la liste des paramètres chimiques à suivre. En découlera également une nouvelle norme : à partir de 2026, l'eau distribuée devra respecter une valeur plafond de 0,1 µg/L pour la somme de 20 PFAS. La campagne de l'ARS montre que pour deux champs captants (celui de Ternay et de Garon-Brignais), cette limite est légèrement dépassée (10) et que pour les quatre autres (Grigny, Ampuis, Condrieu, Garon-Millery), la somme des 20 PFAS dans l'eau distribuée est inférieure à 0,1 µg/L.
L'élaboration de valeur toxicologique de référence prévue
Dans le cadre de la loi Climat et résilience, le gouvernement doit remettre d'ici à l'été 2023 une étude nationale qui devrait permettre de mieux comprendre cette contamination et de trouver des solutions de dépollution. « La Dreal a sollicité l'expertise de l'Ineris pour établir des valeurs toxicologiques de référence sur les polluants analysés, a également précisé la Dreal. Cela permettra d'exploiter les résultats des analyses des prélèvements, afin d'apprécier le niveau de pollution et les incidences sur la santé. »
À l'échelle locale, la secrétaire générale de la préfecture du Rhône, la Dreal et l'ARS ont créé un comité de suivi avec les élus des communes longeant le Rhône situées à l'aval de Pierre-Bénite.
La campagne de suivi dans le Rhône devrait également fournir d'autres enseignements. Outre la campagne de pêche, d'autres résultats sont également attendus en octobre : ceux d'un programme de surveillance mutualisé des PFAS sur et autour de la plateforme industrielle, au niveau du sol, des végétaux, de l'air ambiant, des eaux souterraines amont. Une mesure des émissions atmosphériques et un bilan des flux vont aussi être établis.