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Le Gouvernement lui a confié les travaux de préfiguration d'un cadre pour le développement de filières « vertueuses » de valorisation de toutes les matières et de tous les déchets organiques sur les sols agricoles, dit « pacte de confiance ».
Son rapport, remis au Gouvernement le 15 avril 2019, a été rendu public et présenté officiellement le 21 novembre.
Dans ce document, Alain Marois pointe différents dysfonctionnements du système actuel. « Les producteurs de matières normalisées pensent aujourd'hui être libérés de leur responsabilité vis-à-vis de l'usage au sol de leurs matières fertilisantes issues de déchets, considère-t-il. Le système de normalisation permet ainsi à plusieurs millions de tonnes de matières fertilisantes, dont un tiers des boues urbaines, d'échapper à la responsabilité de leur producteur chaque année ». Il regrette que l'alimentation du fonds de garantie des risques liés à l'épandage agricole des boues ait été stoppée en 2016. Il appelle également de ses vœux une révision de la norme NF U 44-051. « Alors que la majorité des acteurs, dont l'État, souhaite voir cette norme se renforcer sur les teneurs en inertes et impuretés, une poignée d'acteurs bloque cette avancée, regrette-t-il. Ainsi, l'usage au sol de certaines matières fertilisantes s'accompagne d'apport à la parcelle de centaines de kilos de plastiques par hectare ». Alain Marois considère que les garanties de conformité pour un usage au sol doivent évoluer. « Les dernières enquêtes de la DGCCRF ont montré un taux élevé de fraudes, notamment dans le cadre de la norme NF U 44-095, où 90 % des matières contrôlées présentaient des non-conformités, toutes non-conformités confondues », indique-t-il.
Un cadre réglementaire à deux niveaux
Pour développer des filières « vertueuses », il propose la mise en place d'un cadre réglementaire à deux niveaux avec, d'un côté, les matières fertilisantes sous statut de produit, aligné sur le règlement fertilisants, et de l'autre, sous statut de déchets, qui répondrait aux critères demandés par les réglementations sur les épandages en incluant les polluants émergents.
Ces deux niveaux seraient formalisés par un marquage « classe A » pour les produits et « classe B » pour les déchets.
« Un socle commun en termes de flux, annuel et décennal, de contaminants cumulables dans les sols, est repris de la réglementation existante, afin de l'appliquer à tout type d'usage au sol de matières fertilisantes, précise-t-il. C'est bien ce couple concentrations / flux limites qui conditionne et justifie l'innocuité quant à l'usage de ces matières fertilisantes ».
Il préconise de réactiver l'alimentation du fonds de garantie, par une taxe demandée aux producteurs de matières non éligibles au statut de produit destinés à un usage au sol.
« Les modalités et les procédures des plans d'épandage sont simplifiées, notamment pour alléger la charge administrative de l'épandage au sol des matières fertilisantes sous statut de déchet et des effluents d'élevage », propose-t-il.
Seuls les biodéchets et les matières organiques agricoles et agro-alimentaires sont éligibles à une sortie du statut de déchet. Ceux-ci devront toutefois passer par une démarche d'assurance qualité.
Une restriction des mélanges
Dans son rapport, Alain Marois encadre également les mélanges des matières. Ainsi, les mélanges entre matières fertilisantes sous le statut de produit sont autorisés à condition que ce soit de la matière brute, triées à la source ou qu'elles proviennent d'une activité agricole.
« Les matières transformées ou prétraitées contenant des biodéchets, par exemple des biodéchets déconditionnés ou méthanisés, doivent cependant respecter les conditions d'innocuité en termes d'inertes et d'impuretés avant mélange », précise-t-il.
De la même manière, les matières qui font l'objet d'une opération de tri mécanique, par exemple de déconditionnement, doivent répondre aux critères d'innocuité liés au statut de produit avant d'être mélangées à d'autres matières.
Pour les matières fertilisantes considérées comme des déchets, elles doivent respecter les critères d'innocuité lié à leur statut avant mélange.
D'une manière générale, les mélanges entre les deux catégories sont interdits.
Toutefois, Alain Marois envisage quelques dérogations. Ainsi les boues d'industries agro-alimentaires, issues d'un process de production identifié assurant une qualité homogène, peuvent être mélangées avec des produits, si elles respectent les seuils d'innocuité avant mélange et dans le cadre des ICPE. Le mélange reste sous le statut de déchet et est donc soumis à un plan d'épandage.
« Si la réglementation européenne le permet, et dans un souci de nécessité technique, les mélanges de déchets verts triés à la source avec des boues épandables ou de la [fraction fermentescible des ordures ménagères] FFOM issue de TMB [tri mécano-biologique], conformes aux critères minimums d'épandabilité, restent autorisés en compostage, au cas par cas, par le Préfet, qui fixe les quantités maximum de déchets verts apportées dans ces mélanges au regard des enjeux territoriaux et de façon à maîtriser la concurrence sur ce flux entre les différentes filières de traitement », propose-t-il. Il préconise qu'un ratio de l'ordre de 20 à 30 %, soit accordé à chaque installation, sous réserve d'une justification technique au mélange à apporter.
Vers une extinction de la filière d'épandage des composts de boues urbaines ?
Pour les boues issues de stations d'épuration, les mélanges, y compris avec d'autres matières d'intérêt agronomique issues du traitement des eaux (miate) (y compris des boues industrielles) sont autorisés et simplifiés, dans le cadre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Les mélanges en méthanisation de boues urbaines et de la fraction fermentescible des ordures ménagères issue du tri mécano-biologique sont autorisés sous réserve d'absence d'épandage au sol du digestat.
« Un cadre est proposé pour les boues de step. Par principe de réalisme, une dérogation est suggérée pour permettre leur compostage, souligne Alain Marois. Pour autant, transparence, traçabilité, information de l'utilisateur au consommateur final vont dans le sens de l'extinction progressive de cette filière, comme pour celle des composts issus des TMB, à l'image de pratiques déjà engagées par nos voisins européens ».
Pour les acteurs favorable à la valorisation agricole des boues, les signaux sont dans le rouge depuis quelques temps. Et les premières moutures du projet de loi économie circulaire ne semblent pas contribuer à les rassurer. Introduit par la rapporteure du texte en Commission développement durable de l'Assemblée nationale, un amendement prévoit la révision des normes sanitaires pour les boues urbaines destinées à être épandues. « Si cette disposition venait à être adoptée définitivement, le compostage des boues serait interdit dès l'entrée en vigueur de la loi, donc dans les prochaines semaines, et ce jusqu'à la publication et la mise en œuvre d'une norme compost révisée (pour prendre en compte les micropolluants, etc.), soit pour plusieurs années », s'inquiète notamment la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Les échanges sur ce texte, qui commencent aujourd'hui en séance publique à l'Assemblée, promettent d'être animés.