
Directeur général de Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)
Actu-Environnement : Les discussions du Varenne agricole de l'eau, notamment de la thématique 3, sur le partage de l'eau, démarrent en septembre. L'association France Nature Environnement a choisi de ne pas participer, estimant que ce dernier était surtout à visée électorale. Quel est votre perception de l'événement ?
Sébastien Treyer : La demande que je perçois à travers les cadrages du Varenne agricole de l'eau est l'obtention de garanties pour les agriculteurs sur un certain nombre d'ouvrages de stockage. Nous comprenons bien pourquoi le secteur agricole est en quête de prévisibilité en matière de l'accès à l'eau. Mais je trouve cette requête compliquée pour deux raisons : tout d'abord, dans le contexte évolutif du changement climatique, la première chose à faire, c'est de réduire la dépendance à l'eau du secteur agricole.
Obtenir de la prévisibilité sur l'accès à l'eau de l'agriculture sans discuter en parallèle des transformations du secteur pour réduire sa dépendance ne me semble pas partir sur des bonnes bases. Cela voudrait dire essayer de garantir le même type d'agriculture alors que pour beaucoup d'autres raisons, nous réfléchissons à des transitions : bas carbone, pour protéger la biodiversité, qui permettent au secteur agricole de mieux se positionner dans la compétition internationale, etc.
Or la réduction de la dépendance à l'eau, je ne la trouve pas extrêmement présente dans la thématique 3.
AE : Je me permets un petit aparté, existe-t-il plusieurs niveaux d'économie d'eau et donc plusieurs niveaux dans la réduction de dépendance ?
ST : Oui. Un premier tour de vis vise l'augmentation de l'efficience de l'usage de l'eau : de réduire les pertes, de ne pas avoir de tuyaux d'irrigation percé, etc. Au final, pour la même production agricole d'utiliser moins d'eau. L'objectif est qu'il y ait plus de quantité de biomasse produite pour chaque goutte d'eau utilisée.
Le second tour de vis - qui paraît indispensable – serait de se demander si l'eau rare est utilisée à bon escient… Par exemple, est-ce que produire du maïs dans le Sud-ouest de la France est vraiment la meilleure manière d'utiliser de l'eau rare des coteaux de Gascogne ? Cela implique des épandages de pesticides, les filières animales qui consomme ce maïs à l'aval ne sont plus autant demandeuses qu'avant, les conditions climatiques vont également peut-être rendre impraticables le secteur. Il faut se demander quelle est la valeur économique et sociétale de l'usage fait de chaque goutte d'eau.
Réduire la dépendance à l'eau est difficile car elle implique des changements structurels et demande des transformations profondes de la structure du modèle agricole, des marchés à l'aval, des filières, etc. Ce second moment est trop peu posé dans la discussion de la thématique 3 qui cherche surtout à sécuriser et donner de la visibilité pour l'eau agricole.
AE : Quel est le second point délicat selon vous concernant le cadrage du Varenne ?
ST : Il est important que le Varenne permette de donner une nouvelle impulsion à des dynamiques de projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) : c'est une négociation politique locale qui va permettre de donner un peu de prévisibilité aux acteurs.
Il ne me semble pas qu'on puisse la décréter depuis Paris. Je plaide donc pour que les PTGE soient discutés de manière globale et avec l'ensemble des acteurs du territoire : que ces derniers se mettent d'accord sur un projet territorial incluant l'agriculture et l'ensemble des filières qui en découlent. Ensuite seulement, pourra être défini un partage de l'eau qui paraisse cohérent : une allocation de la rareté vis-à-vis de ceux qui en feront la même valeur sociétale pour le territoire. Au sein de l'Iddri, nous allons regarder comment les PTGE pourraient permettre d'initier ce projet global de transformation de l'économie du territoire dans lequel l'agriculture a un rôle essentiel à jouer mais pas le seul - il y a beaucoup de problème de multifonctionnalité des espaces ruraux. Ensuite nous pourrons en déduire ce que cela signifie en termes de partage de l'eau.
Le changement climatique va peser sur nos territoires et transformer beaucoup de secteurs. L'action pour la transition écologique et la pression économique sont également très évolutives. La transition agricole est inévitable d'un point de vue économique : nous sommes à un moment clef de transformation des grands bassins de production. Par exemple, en Bretagne, des débats s'ouvrent pour savoir si c'est encore crédible comme projet économique de faire du cochon et du lait de masse.
AE : Un certain nombre de blocages existent déjà dans la constitution d'un PTGE : les visions s'opposent entre les différents acteurs et souvent les conflits apparaissent dès la définition du volume d'eau disponible. Existe-t-il des outils pour permettre une discussion et négociation plus sereine ?
ST : Des démarches innovantes d'utilisation de la prospective ont été expérimentées. Nous pouvons prendre l'exemple du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage) du Blavet (bassin Loire Bretagne). En prenant au sérieux la phase prospective dans un Sage, nous sommes capables de penser le territoire et sa projection dans l'avenir, ce que les acteurs veulent faire ensemble… Ainsi nous sortons des négociations de jeu à somme nulle : ce que l'un perd, l'autre le gagne.
Il faudrait que dans les PTGE il y ait une phase prospective solide qui explore quelles sont les grandes évolutions du territoire et de l'ensemble des secteurs économiques pour se projeter dans un projet qui soit pensé à long terme par rapport à tous ces changements.
AE : Selon vous, l'approche territoriale permettrait de faciliter la transformation agricole ?
ST : Un des éléments clefs des transformations du secteur agricole est la question de la diversification notamment pour des enjeux de climat et biodiversité. Si nous voulons réduire la pression en pesticides, il faut lutter contre la tendance au développement de grandes régions agricoles centrées sur une ou deux cultures et la simplification des rotations - par exemple le blé-colza dans le bassin parisien - qui agronomiquement ne peut pas tenir sans énormément de chimie. Si nous voulons un paysage agricole en capacité de mieux retenir l'eau, nous devons recomplexifier les paysages agricoles et rediversifier les types de produits cultivés dans cet espace. Toutefois nous ne pouvons pas demander aux agriculteurs de faire seuls cette rediversification : il faut construire à l'échelle d'un territoire, d'une région ou d'un bassin de production, une filière qui permette à la fois la collecte, la transformation et la mise sur le marché avec de réels débouchés. Par exemple, pour développer des filières - à bas niveau d'utilisation d'intrants - de chanvre pour les matériaux d'isolation, il faut un ensemble d'accords obtenus à une échelle territoriale : comme le soutien financier de l'agence de l'eau pour une usine de transformation, le fait que des villes soient prêtes à signer les premiers contrats de marchés publics pour l'isolation dans les bâtiments publics, que les acteurs de la construction dans le bassin assurent qu'ils utiliseront ce matériau. L'agriculteur a besoin des autres acteurs économiques du territoire pour faire sa propre transformation.
AE : Comment accompagner financièrement cette transformation ?
ST : Le coût de la transition agricole peut s'étaler sur plusieurs années et donc est difficile à encaisser pour un agriculteur ou une coopérative. Pour aider à la transformation, nous pouvons essayer de définir des aides par exemple de la PAC mais également d'acteurs comme les agences de l'eau. Par exemple, si le projet de territoire dans le cadre d'un PTGE est d'abandonner le maïs pour un projet beaucoup plus diversifié : la négociation locale pourrait aboutir à un soutien de l'agence de l'eau.
Dans le tour de table du financement de la transformation, les assureurs pourraient également avoir un rôle à jouer. La question de la diversification de la production peut constituer une stratégie de réduction du risque. Il ne faut pas discuter les mécanismes assurantiels à modèle agricole constant : la manière dont les primes d'assurance pèsent sur telle ou telle filière, dont l'assureur évalue le risque et le niveau de la prime d'assurance, tout cela est lié au modèle agricole. Or, les grands espaces de monoculture sont très vulnérables aux aléas climatiques alors que les paysages agricoles complexes avec des haies et un ensemble de culture - qui n'ont pas les mêmes moments de maturité - sont plus résilients.
Les assureurs sont aujourd'hui des entreprises avec des métiers multiples entre le Crédit agricole et Groupama, il y a un continuum qui fait rendre intéressant la présence des assureurs dans le tour de table. De la même manière, vu l'importance des indemnisations, il est important que les mécanismes portés par l'État fassent partie de la discussion.