La situation se crispe à nouveau à Vittel, dans les Vosges. L'annonce de l'ouverture de l'enquête publique (1) , le 11 avril dernier, concernant une modification des prélèvements par Nestlé (2) dans une partie de la nappe des grès du trias inférieur (GTI) a, en effet, suscité le mécontentement de plusieurs associations (3) impliquées dans le dossier. « La priorité va être donnée aux industriels pour l'accès à l'eau : c'est le même scénario qui se répète », redoute Jean-François Fleck, président de Vosges Nature Environnement.
Si la question est sensible, c'est qu'une partie de cette nappe est sous tension. La partie sud-ouest de l'aquifère se trouve en déficit quantitatif chronique, avec une très faible capacité de recharge. Or elle constitue la ressource principale de plusieurs gros consommateurs : les collectivités, pour l'alimentation en eau potable, la fromagerie Ermitage, à Bulgnéville, la société d'embouteillage d'eaux Nestlé Waters, à Vittel et Contrexéville, ainsi que l'abattoir Elivia, à Mirecourt.
Pour tenter de préserver la nappe, plusieurs options ont été envisagées dès 2018 : des mesures d'économie d'eau, mais également un transfert d'eau par canalisations à partir des ressources voisines (Removille et Valfroicourt). Une option qui allait toutefois à l'encontre de la hiérarchie des usages de l'eau, qui ne prenait pas en compte les répercussions sur les autres aquifères, mais aussi en contradiction avec les objectifs de retour à l'équilibre de la nappe inscrits dans le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage).
Finalement, un scénario alternatif de retour à l'équilibre a été privilégié, à travers un protocole d'accord. Il comprend notamment la substitution de certains prélèvements dans des secteurs de la nappe en déséquilibre (gîte C) vers d'autre zones qui ne semblent pas en tension (gîtes A et B). Nestlé va notamment rétrocéder à Vittel des captages dans des zones moins en tension (des captages Suriauville IV et Gallien dans le gîte B) pour éviter que la commune continue à s'alimenter dans le secteur en déséquilibre. Il prévoit également la mise en place d'un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) ainsi que la constitution d'un observatoire hydrogéologique.
Un moratoire demandé
Un autre élément chagrine les associations. Selon elles, les récentes annonces de Nestlé Waters, en dehors des discussions au sein de commission locale de l'eau, de réduire ses prélèvements pèseraient sur les décisions locales. Nestlé Waters a en effet indiqué, en mars dernier, qu'il souhaitait abaisser volontairement son autorisation annuelle de prélèvement de 500 000 à 200 000 m3 sur la nappe des GTI. « Nestlé Waters a baissé de façon continue ses prélèvements de 3 % en 2021 et sur l'ensemble des nappes présentes sur le territoire de Vittel, soit une baisse de 22 % sur la période 2010 à 2021, a souligné l'entreprise dans un communiqué. Ces baisses contribuent à l'objectif fixé dans le cadre du protocole d'engagement volontaire signé à l'automne 2020 aux côtés des autres utilisateurs de la nappe des grès du trias inférieur. » L'entreprise assure également mettre au point un système de recyclage des eaux de fonctionnement de l'usine qui permettrait de réduire, dès 2022, ses prélèvements dans la nappe de 65 000 m3 par an.
Neuf forages en question
La plainte contre neuf forages classée sans suite
Un collectif de cinq associations a porté plainte, en juin 2020, contre Nestlé Waters, estimant que neuf forages de l'embouteilleur ne disposeraient pas d'autorisation de prélèvements d'eau.
L'entreprise avait alors justifié que ces forages bénéficient « d'une présomption légale de régularité ». Elle argumentait que, selon le Code de l'environnement, les installations antérieures à la loi sur l'eau de janvier 1992, et n'ayant donc pas suivi son cadre, pouvaient continuer à fonctionner en fournissant des éléments complémentaires à la préfecture.
« La demande a été classée sans suite, elle serait insuffisamment caractérisée, indique Sophie Bardet-Auville, chargée de mission du réseau juridique de France Nature Environnement. Nous avons demandé le dossier pénal et, à sa lecture, nous déciderons ou pas de saisir le Parquet général. »
« Le préfet va régulariser les forages Nestlé, sans doute en compensation de la bonne volonté de Nestlé de prélever moins dans la nappe inférieure, pointe Jean-François Fleck. Pourtant, lors des discussions avec le comité de bassin et l'Agence de l'eau, nous avions convenu de prendre en compte les disponibilités des deux ressources, de voir comment elles pouvaient s'équilibrer. Mais non, le préfet va donner des autorisations sans que les études ne soient réalisées. »
Un observatoire en cours de constitution
Par ailleurs, pour ce qui concerne la rétrocession par Nestlé à la commune de Vittel des captages Suriauville IV et Gallien, situés dans des secteurs ne présentant pas de déficit (gîte B), les discussions seraient toujours en cours. « Le transfert Suriauville IV ne pose pas de problème sur le plan de la qualité de l'eau, car celle-ci est assez peu minéralisée et nous pouvons facilement l'utiliser. Par contre, la source Gallien est très minéralisée et nécessiterait des traitements conséquents avant de pouvoir la mettre en alimentation en eau potable », pointe Bernard Schmitt.
Quant à l'établissement d'un observatoire hydrogéologique, une autre des dispositions du protocole d'accord, une étude de préfiguration a été lancée. « Les dernières annonces indiquaient que si nous mettions un observatoire en place, nous ne pourrions pas avoir de données fiables avant dix ans, souligne Bernard Schmitt. Ce que nous défendons, c'est la mise en place de piézomètres publics. Aujourd'hui, ces instruments de mesure n'appartiennent qu'à Nestlé, à l'exception d'un seul situé près de Vittel. ».