CL : Certes pas la proximité des élections européennes, mais le besoin d'expliquer que la crise actuelle est celle du système, de notre mode de développement, et qu'elle peut déboucher sur le meilleur comme sur le pire. Il faut veiller sur la désespérance et le sentiment justifié d'injustice en intégrant la dimension sociale à tout niveau. Mais la crise est une chance de changer de braquet. Le combat est entre ceux qui veulent revenir en arrière et effacer cette crise au plus vite sans changement notable - en renflouant les banques et les constructeurs automobiles - et les autres, l'immense majorité, qui veulent utiliser la crise comme levier pour changer de système et de modèle économique. Avec au milieu de tout cela, la réalité : un blocage politique et économique.
AE : Dans votre livre, vous appuyez votre réflexion sur divers courants de pensée et des « success stories » pour inciter au développement d'une écolonomie. De quoi s'agit-il ?
CL : L'écolonomie est une économie écologique, au-delà du clivage croissance/décroissance mais autour d'une évolution soutenable. C'est la soutenabilité qui doit déterminer le sens du changement. L'agriculture durable, les énergies renouvelables…, il en faut beaucoup ; de plus. Le pétrole, les pesticides, l'utilisation de l'espace, de l'eau… il faut les réduire ; du moins. C'est en se demandant à quoi la durabilité nous contraint qu'on va dans un sens ou dans l'autre. Cela oblige aussi à « compter autrement » : dans une économie de flux, la comptabilité considère que du moins, c'est du plus ; il y a tout un pan de la destruction qu'elle ne veut pas connaître. Mais parler de soutenabilité implique aussi globalité : ne pas s'attaquer au climat en perdant en matière de santé.
AE : Vous insistez sur l'importance de la décentralisation énergétique. Pourquoi ?
CL : Dans ce projet politique, je présente différents scénarios et les types de sociétés associés, dont un où les multinationales n'existeraient plus et où il n'y aurait que PME et PMI. La question est de savoir si la production énergétique est centralisée ou pas. Si elle est centralisée, on a de grandes centrales de production (électronucléaires en France), les gens sont dépendants, l'industrie d'efficacité énergétique n'a pas de place, et les collectivités locales ne sont que le réceptacle de décisions prises ailleurs et non la première brique d'une économie planétaire. Avec la décentralisation énergétique, les particuliers, les industries et les collectivités sont auto-producteurs en énergie et en mesure d'adapter les usages aux besoins. L'expérience montre que la richesse énergétique peut être à l'origine d'un développement économique. Or l'orientation actuelle que prend la France va interdire toute décentralisation énergétique. Et cette énergie supplémentaire produite, il faudra l'utiliser, car l'électricité ne se stocke pas. Pour des raisons d'endettement des producteurs et de concurrence, cela entraînera une réduction inévitable du tarif de rachat du renouvelable. Je pense que la plupart de nos choix industriels actuels sont en rapport avec le nucléaire. C'est dramatique, nous sommes en train de nous couper de la possibilité d'une véritable relance économique industrielle.
AE : Dans votre ouvrage, vous faites deux propositions majeures, l'une relative aux générations futures et l'autre à la justice.
CL : Nous sommes dans une crise globale, car identique partout, mais avec des facettes différentes, où le rapport au temps est fondamental. C'est la question du temps long qui se pose, et ceux qui ont intérêt à ce qu'il soit pris en compte, ce sont les générations futures. C'est pourquoi je souhaite la création d'une instance ayant pour objectif de s'intéresser uniquement à l'impact des choix pour les générations futures, tant au niveau national qu'international. En matière de justice, il y a ni droit ni réglementation s'il n'y a pas un juge pour les appliquer. L'affaire des déchets d'Abidjan, c'est un scandale. La suprématie des règles du commerce international sur les instances environnementales, il faut y mettre un terme. Nous avons besoin d'une véritable justice environnementale internationale, au même titre que le TPI. En écrivant ce livre, j'ai voulu être porteur d'espoir et montrer que tous ces sujets qui ont souvent été classés dans la catégorie « problème », c'est dans la catégorie « solution » qu'ils se trouvent. La bonne nouvelle, c'est qu'on peut faire, ce qui ne signifie pas qu'il existe une volonté de faire étant donnés les rapports de force actuels.