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AccueilDavid DeharbeRadar, mensonges et éoliennes : la palme revient à...

Radar, mensonges et éoliennes : la palme revient à...

David Deharbe, avocat associé au cabinet Green Law Avocat, présente le jugement très attendu qui annule des refus de permis de construire pour les machines éoliennes situées à proximité du radar météo d'Avesnes sur Helpe (59).

Publié le 29/04/2014
Environnement & Technique N°337
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°337
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Après expertise, le Tribunal administratif d'Amiens a rendu sa décision quant à la compatibilité d'éoliennes avec un radar météorologique de bande C en zone de coordination. Ce jugement très attendu ne déçoit pas : il annule des refus de permis de construire pour des machines situées à 16km du radar d'Avesnes s/ Helpe (TA Amiens, 18 février 2014, « Ecotera c/ Préfet de Région Picardie »).

Cette zone de coordination a jusqu'ici été imposée aux opérateurs avec pour seule base légale l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, qui interdit la délivrance de permis en cas d'atteinte à la sécurité publique.

Or, pour fonder scientifiquement le risque de perturbation, Météo-France fait reposer ses avis défavorables sur le rapport de la commission consultative de la compatibilité électromagnétique de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) du 19 septembre 2005, dit « rapport CCE5 n°1 » et sur le guide relatif à la problématique de la perturbation du fonctionnement des radars par les éoliennes, également élaboré par l'ANFR le 3 juillet 2007.

Aux termes de ce que le juge administratif avait fini par qualifier de « données acquises de la science », il est ainsi considéré que l'implantation d'éoliennes dans un rayon de 20 kilomètres autour d'un radar météo fonctionnant en fréquence « bande C » est susceptible de perturber son fonctionnement par le blocage du faisceau, par des échos fixes ou par la création, en raison de la rotation des pales, de zones d'échos parasites au sein desquelles les données recueillies par « mode Doppler » sont inexploitables. En conséquence, il est « recommandé » :

-      D'une part, de n'implanter aucune éolienne à moins de 5km d'un tel radar et de subordonner leur installation, dans un rayon d'éloignement de 5 à 20km (dite distance de coordination), à des conditions relatives à leurs caractéristiques techniques, et notamment leur «surface équivalent radar» (SER), à leur visibilité avec le radar, ainsi qu'à leur nombre et leur disposition ;

-      D'autre part,  s'agissant des risques de création d'échos parasites affectant les données recueillies par mode Doppler, ces conditions sont destinées à ce que l'exploitant du radar puisse s'assurer que la taille de la zone de perturbation engendrée par les éoliennes ne soit pas supérieure, dans sa plus grande dimension, à 10 km.

Sur cette base, la stratégie de l'établissement public était simple : il rendait des avis défavorables en zone de coordination sur la base d'une perturbation exagérée des radars météo et dont les conséquences pour les missions de sécurité civile étaient tout simplement postulées. L'Etat a fini par se faire prendre en flagrant délit d'exagération de la perturbation quand le juge a décidé d'en passer par une expertise judiciaire. Ladite expertise ruine les thèses de Météo-France, tant au regard de l'évaluation de la perturbation (1) que sur le terrain de ses impacts sur la sécurité civile (2).

Relativité de la perturbation révélée en expertise par les productions de Météo-France

Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens se réclame d'abord d'une expertise qui semble relativiser en fait l'appréciation par Météo-France de la zone d'impact Doppler :

« Considérant d'une part, que le projet de parc présenté par la société Ecotera au préfet de l'Aisne est constitué de six éoliennes, d'une hauteur de 150 mètres chacune et comprenant des pales d'une longueur de 50 mètres, dont la plus proche se situe à 16,3km du radar d'Avesnes, soit, dans la zone dite de coordination sus décrite ; qu'il ne se situe à proximité d'aucun autre parc autorisé dans la zone de coordination de 20km autour de ce radar, en sorte que sa zone d'impact, même calculée sur le fondement d'une surface équivalent radar de 200 m² ne se superpose à aucune autre ; que la plus grande dimension de cette zone d'impact, calculée par Météo France sur le fondement de cette surface, est égale à 11,9 km, soit un dépassement limité de la dimension maximale de 10 km recommandée par l'ANFR ; que ce projet respectait par ailleurs les huit autres points d'analyse des projets éoliens, recommandés par le rapport de cette agence ; que s'il est constant que la présence d'éoliennes dans l'environnement d'un radar est susceptible de perturber son fonctionnement et que le rapport de M. Jean Paul. Aymar, expert, remis le 30 septembre 2013, ne remet pas en cause le fondement scientifique du modèle utilisé par l'ANFR, sur lequel se fonde Météo France, pour déterminer les risques de perturbation d'un radar, par référence à la notion de surface équivalent radar, cette notion n'est cependant pas pleinement satisfaisante pour apprécier précisément les dimensions de la zone d'impact du fonctionnement des éoliennes sur un radar météorologique, en raison de la variabilité de cette surface ; qu'il ressort du modèle utilisé par la société Qinetiq dans l'analyse que cette dernière a faite de la surface équivalent radar d'un parc éolien similaire, rapportée par l'expert et des exemples que ce dernier cite, à partir de retours d'expériences présentés par Météo France sur d'autres parcs, que des SER moyennes moindres que celle de 200 m et des largeurs de zone d'impact Doppler plus faibles, de l'ordre de 5 km seulement, sont généralement constatées »

Ainsi il ressort clairement du jugement du 18 février 2014 que Météo-France s'est montré incapable pendant les  21 mois d'expertise de démontrer que la zone d'impact Doppler avait effectivement dans les faits les tailles évaluées par l'établissement public … ce sont des largeurs de zone d'impact Doppler plus faibles, de l'ordre de 5km seulement, qui sont généralement constatées ! Et le jugement insiste sur le fait que l'expert a fait ses constats « à partir de retours d'expériences présentés par Météo France sur d'autres parcs ».

Cette considération jette le trouble sur les conclusions radicalement inverses de l'expertise ordonnée par la Cour administrative d'appel de Douai et qui avaient amené la Cour à juger que « que les dysfonctionnements induits par les éoliennes sont de nature à porter atteinte à la sécurité publique au sens de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison de la perturbation importante de la détection des phénomènes météorologiques dangereux qu'elles entraînent sans réelle possibilité de neutralisation de leurs effets » (CAA Douai, 30 juin 2011, Sté EDP Renewables France n°09DA01149). Et cette solution s'expliquait fort bien dès lors que l'expert nommé par la Cour de Douai faisait valoir selon la Cour que : « le modèle créé par l'ANFR, s'il est approximatif, est avant tout exagérément optimiste en ce qu'il conduit à sous-estimer l'effet des projets éoliens sur la qualité de l'exploitation des radars météo s'agissant tant des mesures en réflectivité, destinées à estimer les précipitations, que du mode Doppler , destiné à évaluer la vitesse du vent ».

Or cet expert a été celui d'abord nommé par le Tribunal administratif d'Amiens dans l'affaire ECOTERA puis révoqué par la même juridiction pour défaut d'impartialité (jugement du 10 avril 2012) ! Et si c'est en vain que la société EDP tentera d'obtenir du juge de cassation qu'il récuse à nouveau l'intéressé dès lors que le moyen était invoqué pour la première fois en cassation (CE, 30 déc. 2013, Sté EDP Renewables France n°352693), on perçoit combien les jugements en récusation comme au fond obtenu par la Sté ECOTERA relativisent avec la nouvelle expertise AYMAR la perturbation des radars météorologiques par les éoliennes.

Absence d'enjeu pour la sécurité civile de la perturbation, même surévaluée

Le Tribunal administratif d'Amiens avait surtout missionné l'expert dans cette affaire pour l'éclairer sur le moyen tenant à l'absence d'enjeu pour la sécurité civile de la prétendue perturbation, qui avait été articulé par l'opérateur en prenant le soin d'en faire la démonstration sur le territoire concerné.

Or là encore, la « vérité expertale » est cruelle pour l'Etat et son établissement public :

« Considérant d'autre part, que dans le cadre de l'expertise, une zone d'étude a été définie dans le secteur d'implantation des éoliennes, afin de caractériser les enjeux localement pertinents pour la sécurité des biens et des personnes, d'une éventuelle perte de détection du radar d'Avesnes engendrée par leur fonctionnement, correspondant aux territoires des dix communes composant la communauté de communes Thiérache d'Aumale, d'une superficie de 35 km2 environ, soit une superficie à peu près équivalente à celle de la zone d'impact Doppler mesurée par Météo France ; que l'expert, assisté d'un sapiteur en gestion des risques, a conclu que l'impact des perturbations occasionnées au fonctionnement du radar était faible, dans cette zone, pour les risques naturels, en raison notamment du faible relief sur la zone d'étude et de l'absence de bassins versants et exceptionnel pour les risques technologiques, du fait de l'éloignement de plus de 30 kilomètres de sites SEVESO, et des risques maîtrisables sur le terrain par les services de secours et les exploitants, des deux installations classées pour l'environnement qui y ont été recensées ; s'il convient de prendre en considération les phénomènes météorologiques engendrés par les mouvements de l'air et si le bon fonctionnement du radar météorologique d'Avesnes participe, via le réseau Aramis, aux missions de prévision de Météo France, il n'est pas démontré que le bon déroulement des missions tant de prévention, que de sécurité civile opérationnelle, exercées localement, soit obéré par la présence du parc éolien en litige, à un point tel qu'il serait effectivement porté atteinte à la sécurité publique au sens des dispositions de l'article R. 111-2 susmentionné, selon des risques suffisamment probables »

Il convient d'ailleurs d'insister sur un point : les 35 km2 correspondent à une zone d'impact Doppler qui reprend l'évaluation de la perturbation par Météo-France, et qui en accord avec l'opérateur, avait été retenue à titre d'hypothèse majorante pendant l'expertise.

In fine, la zone de coordination confirme ce qu'elle n'aurait jamais du cesser d'être : un espace où l'implantation d'éoliennes ne saurait être refusée par principe mais où les demandes d'implantation doivent être appréciées in concreto au regard des enjeux territoriaux de sécurité civile effectivement prévenus par le radar météorologique.

Cette démarche s'inscrit d'ailleurs dans la jurisprudence la plus récente des Cours qui exige une réelle démonstration de l'atteinte aux missions de sécurité civile sur le territoire surveillé par le radar (CAA Bordeaux, 1er mars 2012, n°11BX00737 ; CAA Lyon, 24 avril 2012, n°10LY02293 ; CAA Marseille, 31 mai 2012, n°10MA03341 CAA Nancy, 7 nov. 2013, n°12NC01484, note I. Michallet, AJDA n°13/2014, p. 754 : dans ce dernier cas, la Cour constate aussi une erreur de droit consistant à opposer sans texte une « zone de coordination »).

Et selon le Tribunal administratif d'Amiens, pour prétendre s'opposer à des refus abusifs, il reviendra désormais aux opérateurs d'établir, parc par parc et radar par radar, que le bon déroulement des missions tant de prévention que de sécurité civile opérationnelle exercées localement ne soit « obéré » par la présence du parc éolien.

A l'heure où certains songent à dépoussiérer la clause dite « de revoyure » des arrêtés du 26 août 2011 fixant les prescriptions ICPE des éoliennes industrielles, clause qui donne un pouvoir discrétionnaire à Météo-France pour empêcher en zone de coordination tout projet éolien, nul doute que les opérateurs gagneront à rappeler la teneur du jugement n°0903355 du Tribunal administratif d'Amiens et l'expertise AYMAR.

Avis d'expert proposé par David DEHARBE, Green Law Avocat.

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6 Commentaires

Aventurier

Le 30/04/2014 à 10h18

Ceci prouve combien les homme de loi peuvent être dangereux, juges y compris, car ils n'ont aucune compétence technique ou scientifique et ils s'en contrefiche d'ailleurs autant que des résultats de leurs élucubrations !...

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PAYSAN

Le 01/05/2014 à 12h22

1/2
Bonjour,

Je ne partage pas complètement votre avis :
Les hommes de lois ne sont, par définition, pas dangereux s’ils restent dans le cadre de leurs attributions, l’indépendance de tout autre pouvoir, l’impartialité et le respect du contradictoire.
Les juges ne peuvent prendre leur décision que dans la cadre de la Loi et des arguments qui leurs sont fournis.
Cependant leurs décisions peuvent être dangereuses si elles sont le résultat d’une erreur ou du non respect d’un des éléments sus cités.
Aujourd’hui le pouvoir souverain de décision des juges est quasiment inexistant, la codification excessive des actes les plus élémentaires de la vie les oblige parfois à sanctionner contre toute logique ou rationalité.
Par exemple : les juges doivent sanctionner, obligés par l’application d’un article de loi criminalisant un exploitant, alors ce dernier œuvre de la même manière que ses prédécesseurs et ce depuis des siècles, qu’il n’est pas prouvé qu’il porte atteinte à l’environnement ou à l’ordre public et sans que les juges puissent faire prévaloir l’évidence ou écouter les arguments de défense du dit exploitant.
Ce n’est pas là, les juges qui sont responsables mais l’ensemble de nos parlementaires qui, incultes sur certains domaines, votent sans discernement des lois en donnant foi aux avis des lobbies ou intégristes très influents dans la société actuelle.
Voir suite dans 2/2

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PAYSAN

Le 01/05/2014 à 12h28

2/2
incultes sur certains domaines, votent sans discernement des lois en donnant foi aux avis des lobbies ou intégristes très influents dans la société actuelle.
Si les jugent accréditent, à l’image des parlementaires, les allégations de représentant d’associations ou de l’administration sans les confronter aux avis contradictoires des sachants, de ceux qui ont l’expérience, des scientifique ou de ceux qui ont la pratique, ils peuvent, là, être dangereux au travers de leur décision inapproprié donc injuste.
Nous sommes, dans ce dernier cas, dans l’exemple de tous ceux qui font mal ou sans discernement leur travail et que l’on peut trouver dans toutes les professions.
S’il peut exister des juges dans ce cas, c’est regrettable mais ce n’est pas le cas de ce jugement où les juges sont allés vérifier les allégations des fonctionnaires, ont reconnus leur méconnaissance du sujet, ont fait appel à des spécialistes, ont analysé l’existant et ont pris en compte le retour d’expérience pour former leurs décision.
Même si tout le monde a menti, je pense que les juges auront, dans cette affaire, pris toutes les précautions à leur disposition pour rendre un jugement équitable.
Pour appuyer mes propos, je ne suis pas un défenseur irréductible des éoliennes dont je ne vois pas en beaucoup d’endroits l’intérêt énergétique ou financier et donc écologique de leurs implantations.

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Ami9327

Le 01/05/2014 à 18h23

Je partage l'opinion de Paysan.
Seulement pourquoi cette société d'éolienne a-t-elle voulu s'installer à une distance "problèmatique" du Radar Météo? La France n'est pas assez grande?

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Maurice

Le 02/05/2014 à 5h16

Ne poussez pas, il y a eu de la part de la justice une expertise pendant 21 mois pour que Météo-France puisse démontrer – … que la zone d'impact Doppler avait effectivement dans les faits les tailles évaluées par l'établissement public … – , ce n'est donc pas une décision sans savoir de quoi il retourne, au pif.
Cette décision risque de remettre en doute les autres décisions de la part de la justice pour des jugements d'affaires similaires. Là, il y a risque de voir des sociétés s'occupant plus de la rentabilité (donc, d'engranger du fric) que de produire de l'électricité repartir au tribunal, c'est peut-être déjà fait !
Avez-vous lu TOUT l'article ? C'est bien expliqué.

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Benoit 49

Le 27/02/2019 à 11h46

Peut-on s'interroger sur l'impartialité de la société QinetiQ ? Elle réalise des études d'impact pour le compte de constructeurs ou d'exploitants d'éoliennes dont elle serait par ailleurs cliente.

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