Laboratoire d'hygiène de la ville de Paris
FS : Les citadins passent plus de 80 % de leur temps à l'intérieur de bâtiments, voire plus encore pour certaines populations fragiles ou critiques comme les jeunes enfants, les personnes âgées ou malades, particulièrement sensibles. Or cet environnement atmosphérique intérieur est un univers dynamique comportant un grand nombre de polluants chimiques gazeux ou particulaires, d'allergènes et de biocontaminants. Les concentrations qui varient dans le temps et dans l'espace, sont influencées par des sources d'émission continues, discontinues et irrégulières, respectivement dues aux matériaux de construction et aux activités humaines (utilisation d'appareils et de produits domestiques, tabagisme). Interfèrent les conditions de température, d'humidité et de ventilation, des risques de contamination par des micro-organismes, ainsi que les échanges entre l'air extérieur et l'air intérieur. Aussi la qualité de l'air intérieur devient-elle une préoccupation croissante. On parle de symptômes ou de maladies liés aux bâtiments, de sensations de gêne, d'inconfort ou de confinement, d'irritations des muqueuses, d'aggravation ou d'exacerbation de maladies respiratoires, d'altérations neuro-sensorielles jusqu'à des intoxications, des pathologies infectieuses ou allergiques, et à plus long terme, d'un risque de retentissement cardio-vasculaire ou de cancers.
AE : Plus précisément, quels sont les polluants d'origine extérieure ?
FS : Il s'agit pour l'essentiel d'une pollution de type physico-chimique liée à la circulation automobile, notamment. Les sources fixes de pollution tels que le chauffage urbain, les activités industrielles ou l'incinération des déchets s'avèrent effectivement mieux maîtrisées. Cette pollution atmosphérique présente des cycles journaliers, hebdomadaires et saisonniers soumis aux conditions météorologiques. Parmi les polluants, on trouve du dioxyde de soufre, des particules, des oxydes d'azote, du monoxyde de carbone, des hydrocarbures ou de l'ozone, et des contaminants naturels comme le pollen et les champignons microscopiques. Ces substances qui interviennent avec un certain délai par rapport aux événements extérieurs, prennent une part plus ou moins importante dans la pollution intérieure. L'emplacement de la prise d'air neuf, la ventilation des locaux et la nature des polluants jouent un rôle important. Notons que les polluants extérieurs particulaires ont des concentrations plus faibles à l'intérieur, du fait de leur déposition, interaction ou adsorption sur les parois. C'est le cas du dioxyde de soufre et du dioxyde d'azote. Quant au radon, il provient d'une contamination d'origine hydro-tellurique, plus marquée dans certaines régions géographiques.
AE : Vous parliez d'appareils domestiques ?
FS : Qu'ils soient à gaz, mazout, pétrole, charbon ou bois, les appareils de combustion utilisés pour le chauffage (chaudières, poêles fixes ou mobiles), la production d'eau chaude (chauffe-eau) ou la cuisson des aliments (fours, cuisinières, réchauds), peuvent émettre du monoxyde de carbone en cas de combustion incomplète, former des oxydes d'azote à haute température, puis toute une série de polluants gazeux et/ou particulaires comme les aldéhydes ou les hydrocarbures aromatiques ou polyaromatiques (COV). Avec plusieurs milliers de cas par an dont environ 300 mortels, le monoxyde de carbone est le principal responsable des intoxications aiguës en France. Du fait d'appareils mal raccordés, mal réglés ou mal entretenus, les combustions sont de mauvaise qualité et les fumées refoulent des conduits d'évacuation vers l'intérieur. Le polluant se diffuse alors, dans l'air de façon insidieuse et s'accumule en cas de mauvaise ventilation.
AE : Comment se manifestent ces intoxications ?
FS :Elles entraînent des maux de tête, des nausées, des vomissements, une somnolence, des troubles de l'équilibre, une perte de conscience, un coma qui peut laisser de graves séquelles, voire être mortel. Certaines intoxications chroniques responsables de fatigue, états dépressifs, difficulté de concentration ou de mémoire, s'avèrent difficiles à relier à une intoxication oxycarbonée. À long terme, on constate des difficultés d'oxygénation de certains tissus sensibles comme le myocarde ou le système nerveux central. Les oxydes d'azote sont essentiellement émis par des chauffe-eau non raccordés et des cuisinières à gaz. Le dioxyde d'azote agit sur les poumons. Souvent en cause, l'élévation brutale des concentrations conduit à une augmentation de la résistance des voies aériennes et à une diminution de la résistance aux infections respiratoires. Enfin, selon le combustible utilisé, la nature des ingrédients (huiles et graisses chauffées) ou le mode de chauffage (poêle à pétrole ou au kérosène), la cuisson des aliments peut favoriser l'émission instantanée de composés organiques volatils. Ces polluants ne persistent dans l'air des locaux que durant quelques heures ou jours après la fin de l'activité.
AE : À propos des composés organiques volatils dus aux matériaux, quels sont-ils ?
FS : Ces substances appartiennent à plusieurs centaines d'espèces chimiques, à savoir les hydrocarbures aromatiques (benzène, toluène, xylène, styrène, etc), aliphatiques (hexane, octane, etc) et halogénés (trichloréthylène, etc), alcanes, cycloalcanes (cyclohexane), alkènes, terpènes (alpha et béta-pinène, limonène, etc), alcools (propanol, butanol, etc), glycols et éthers de glycol, cétones, acides organiques, esters, furanes, etc. Auxquels on associe les aldéhydes (formaldéhyde, acétaldéhyde, hexanal, nonanal, etc). Le point commun ? La capacité de s'évaporer à la température ambiante et de diffuser dans l'air. Les COV entrent dans la composition de nombreux matériaux et produits utilisés dans le bâtiment. Je pense aux panneaux de particules, bois agglomérés ou contre-plaqués, textiles utilisés pour le mobilier ou la décoration, revêtements de murs et de sols synthétiques ou préfabriqués (dalles, moquettes, faux-plafond, planchers, linoléums), éléments d'isolation comme les mousses, peintures, lasures, vernis, colles, produits de préservation du bois, en particulier au niveau des charpentes et des meubles. Le formaldéhyde est présent en grande quantité dans les bois agglomérés, certaines mousses isolantes, moquettes et textiles, colles. Les émissions peuvent perdurer pendant des jours ou des mois, voire des années, selon leur nature et le type de matériau ou de produit dont ils proviennent, toutefois avec une intensité qui diminue progressivement. Des interactions entre eux et avec les surfaces de certains matériaux peuvent interférer avec leurs concentrations. Souvent inodores, ces émissions atmosphériques peuvent cependant s'accompagner d'odeurs piquantes dites “odeurs de neuf”.
AE : Quels sont leurs effets sur la santé ?
FS : Les conséquences de ces mélanges de COV sur l'homme sont encore mal connues. On note des expositions courtes à des quantités importantes qui entraînent des intoxications aiguës avec somnolence, troubles de la vision et de l'équilibre, difficultés de concentration, état d'ivresse, ainsi que des atteintes rénales, digestives, hépatiques et cardiaques. On constate aussi des expositions prolongées à de faibles quantités, générant des symptômes bénins ou plus graves. Le formaldéhyde et les solvants (acétone, white-spirit, essence de térébenthine et trichloréthylène) peuvent provoquer des irritations de la peau, des yeux, du nez et la gorge. Dans certains locaux, on peut ressentir des sensations de gêne ou de malaise, d'inconfort, des nausées, des états de fatigue ou de somnolence, des maux de tête, des difficultés de concentration ou une oppression respiratoire. Ces symptômes constituent le syndrome des bâtiments malsains (Sick Building Syndrome), contracté par plusieurs personnes fréquentant un immeuble, dont le système de ventilation est défaillant. La plupart de ces symptômes, qui touchent plus souvent les femmes et les personnes allergiques, sont bénins. Mais lorsqu'ils sont prolongés, nombreux et répétés chez une même personne, ils peuvent engendrer un véritable mal-être, de l'absentéisme, des consultations médicales, voire une hypersensibilité aux produits chimiques. Notons que les phénomènes irritatifs au niveau des voies respiratoires sont souvent dus à des mélanges de COV ou au formaldéhyde issus des peintures, vernis, colles ou produits d'étanchéité ou d'isolation, et qui, en favorisant la pénétration, agissent comme des potentialisateurs des allergènes respiratoires. De même, il ne faut pas négliger le risque d'apparition de cancers. Enfin, certains éthers de glycol sont associés à une diminution de la fertilité, des avortements spontanés ou des malformations.
AE : Que pensez-vous des peintures au plomb et des fibres ?
FS : Les peintures à la céruse (hydrocarbonate basique de plomb) ne sont plus utilisées. Aujourd'hui, leur nocivité se manifeste dans les immeubles construits avant 1948 et surtout 1915, en cas de dégradation ou de décapage. L'exposition des fines poussières de plomb se fait par voie digestive, ingestion d'écailles ou fragments de peinture, ou par voie respiratoire et inhalation de poussières. Les jeunes enfants et les femmes enceintes sont particulièrement vulnérables. Une exposition à forte dose agit surtout sur les cellules sanguines, les reins et les fonctions de reproduction (stérilité, avortement, malformations). L'exposition répétée à des doses plus faibles peut causer des troubles neuro-psychologiques et des difficultés d'apprentissage scolaire. Quant aux fibres, il s'agit d'abord de l'amiante, très appréciée dans la construction entre 1950 et 1980, pour ses propriétés de solidité, résistance aux hautes températures et à la plupart des agents chimiques, d'isolation thermique et phonique. Les matériaux amiantés libèrent des fibres microscopiques lorsqu'ils sont sciés, découpés, percés, poncés ou dégradés. L'inhalation de ces fibres peut entraîner des insuffisances respiratoires mais surtout un risque de cancer du poumon, de la plèvre et du péritoine. En milieu professionnel, le risque sanitaire dépend directement des quantités inhalées. Dans les bâtiments, où l'exposition est faible, le risque est plus difficile à apprécier. Pour leur part, les fibres minérales synthétiques et la poussière de maison peuvent aussi entraîner des irritations au niveau des voies respiratoires, des yeux et de la peau.
AE : Parmi les activités humaines, vous avez cité les produits d'usage courant et la fumée de tabac ?
FS : En effet, de nombreuses activités domestiques de type nettoyage, entretien, bricolage, loisirs, etc, constituent des sources de COV. On l'a vu, elles correspondent à des productions instantanées qui disparaissent plus ou moins rapidement en fonction du mode de ventilation et de leur interaction entre eux et avec les matériaux. Quant à la fumée de tabac, elle constitue un complexe important en milieu clos. La combustion induit l'émission de milliers de composés en phase gazeuse et particulaire. Dans la phase gazeuse, on identifie du monoxyde de carbone, de l'ammoniac, de l'acide cyanhydrique, des oxydes d'azote et des composés organiques comme la nicotine, des hydrocarbures, des aldéhydes ou des nitrosamines. La fumée inhalée par les non fumeurs (tabagisme passif) qui résulte d'une combustion moins complète, s'avère donc plus chargée en polluants. Les effets à court terme sont plutôt de nature sensorielle (irritation des yeux et des voies respiratoires). Mais à long terme, les études épidémiologiques montrent que le risque de cancer du poumon et les accidents coronariens augmentent chez des non fumeurs exposés à ce type de pollution. L'exposition régulière au tabagisme parental augmente le risque d'infections respiratoires basses chez l'enfant, d'otites et de mort subite du nourrisson.
AE : Qu'entendez-vous par risques de contamination par des micro-organismes ?
FS : L'homme émet en permanence des gouttelettes salivaires et nasales ainsi que des squames cutanées. Un sujet souffrant d'une maladie infectieuse respiratoire contribue à la contamination microbienne de l'atmosphère. Tout réservoir d'eau peut également disséminer des micro-gouttelettes contaminées dans l'atmosphère. C'est le cas par exemple, des pommes de douche, humidificateurs et nébulisateurs, si la température se situe entre 25 et 43°C, si l'installation est mal entretenue (corrosion, tartre, dépôts, etc) et si l'eau stagne. De même, les activités dans les locaux peuvent mettre en suspension dans l'air des poussières porteuses de fragments bactériens toxiques. Enfin, tous les supports humidifiés par des fuites, remontées capillaires, ponts thermiques, etc, sont propices à la prolifération et à la dissémination de micro-organismes, moisissures en particulier. Ces dernières pénètrent par les ouvertures des locaux ou sont transportées par les personnes, sur leurs vêtements, la peau ou les cheveux. Autres conditions favorables à la prolifération : la chaleur et la présence de “nourriture” organique (poussières, aliments, cellulose du bois, papier, carton, plaques de plâtre, joints en silicone, textiles, peintures et isolants). D'où une dégradation des matériaux et des odeurs de moisi. La présence de ces micro-organismes (bactéries, virus, champignons inférieurs ou micromycètes, parasites) et de leurs composants telles que les endotoxines des bacilles à Gram négatif et les mycotoxines, peut là encore induire des pathologies, aggraver des maladies allergiques ou provoquer de graves intoxications.
AE : Dans un tel contexte, que suggérez-vous ?
FS : Les connaissances sur ces expositions sont encore fragmentaires, notamment au niveau des interactions entre polluants. L'homme a une très grande adaptabilité aux modifications de l'environnement. Toutefois cette adaptation est plus difficile pour les personnes fragilisées comme les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées, les personnes souffrant de maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. En outre, les mesures d'économie d'énergie ont accru l'isolation des locaux, conduisant parfois à un renouvellement d'air insuffisant. De nombreux problèmes de confort et de santé pourraient être évités par une meilleure information du public et par l'adoption de mesures simples de prévention. Comme par exemple, assurer une ventilation suffisante, éliminer la poussière domestique, entretenir les appareils de combustion, limiter l'exposition aux COV, surveiller les matériaux amiantés, protéger les peintures au plomb, maîtriser la contamination de l'eau chaude. La problématique relativement récente des relations entre le bâtiment et la santé n'a pas été encore complètement intégrée par la réglementation. En particulier, il serait souhaitable que les composés chimiques émis par les produits de construction et les produits domestiques soient systématiquement mesurés et catégorisés selon la quantité émise et la durée maximale de relargage dans le temps. Ces caractéristiques pourraient être indiquées soit sur l'emballage, soit sur une fiche technique mise à la disposition des usagers.
Voir aussi :
• Norme AFNOR XP X 43-401 (décembre 1998). Qualité de l'air. Audit de la qualité de l'air dans les locaux non industriels. Bâtiments à usage de bureaux et locaux similaires.
• Norme AFNOR XP X 43-403 (décembre 1999). Qualité de l'air. Audit de la qualité de l'air dans les locaux non industriels. Bâtiments à usage d'habitation et locaux similaires.
• Norme NF EN 13419 : Mesure de l'émission de composés organiques volatils à partir des produits de construction.
• Arrêté du 2 août 1997 relatif aux règles techniques et de sécurité applicables aux installations de gaz combustible et d'hydrocarbures liquéfiés situées à l'intérieur des bâtiments d'habitation ou de leurs dépendances.
• Décret n°2001-840 du 13 septembre 2001 relatif à la protection de la population et des travailleurs contre les risques sanitaires liés à une exposition à l'amiante.
• Loi n° 98-567 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions – articles L32-1 à L32-5 du Code de la santé publique (JO du 30 juillet 1998).