La question a été lancée le 23 mars dernier. Ce jour-là, le ministre de la Santé a assuré que le Covid-19 serait automatiquement et systématiquement reconnu comme une maladie professionnelle pour le personnel de santé. « C'est la moindre des choses. Il n'y a aucun débat là-dessus », a déclaré Olivier Véran.
Le débat est pourtant ouvert, d'une part quant au périmètre des travailleurs qui doivent être couverts et, d'autre part, quant à la pertinence même du dispositif des maladies professionnelles pour indemniser les victimes du coronavirus au travail.
Personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays
L'annonce du ministre de la Santé a été suivie par plusieurs prises de position en faveur de cette reconnaissance. Le 9 avril, devant la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'épidémie de Covid-19, son collègue du ministère de l'Intérieur s'est également positionné en faveur d'une inscription de cette pathologie dans un tableau de maladies professionnelles. Christophe Castaner souhaite en effet que l'imputabilité de la maladie à la situation de travail soit présumée pour les personnels de son ministère ayant été au contact du public pendant l'épidémie.
Le 3 avril, l'Académie de médecine avait également pris position pour la création d'un nouveau tableau de maladies professionnelles avec un périmètre large. Pour ses membres, le dispositif doit prendre en charge non seulement les personnels de santé mais aussi « les personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays (alimentation, transports en commun, sécurité…), qui ont été exposés et ont subi des conséquences graves du fait du Covid-19 ». Dans l'attente de la création de ce tableau, l'Académie recommande que les contaminations professionnelles puissent être déclarées comme « affection imputable au service » pour les agents de l'État et des collectivités, et comme accident du travail pour les autres.
Du côté des syndicats, les revendications portent aussi, et sans surprise, sur un large périmètre. Ainsi, le leader de la CGT, Philippe Martinez, a réclamé, le 7 avril, dans une lettre ouverte au président de la République, le « classement automatique en maladie professionnelle pour les soignants (…), mais aussi pour tous les travailleurs ». La CFDT juge également « indispensable » la reconnaissance d'une imputabilité d'office à titre professionnel pour tous les personnels des établissements de santé, médico-sociaux et sociaux, « qu'ils soient soignants ou non ». Mais le syndicat réformiste souhaite aussi que le Gouvernement aille plus loin.
Maladie présumée d'origine professionnelle
L'adéquation à la situation de l'indemnisation au titre du régime des maladies professionnelles pose en effet question. L'inscription d'une pathologie dans un tableau de maladie professionnelle permet de faciliter la reconnaissance de celle-ci. « Si un salarié, habituellement exposé à un risque pris en compte par un tableau, est victime d'une maladie qui remplit tous les critères exigés par ce tableau, cette maladie est présumée d'origine professionnelle. Le salarié n'a donc pas à prouver qu'il existe un lien entre cette maladie et son travail », explique l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
La reconnaissance d'une pathologie comme « maladie professionnelle » ouvre droit à différentes prestations pour la victime. « Vos frais médicaux sont pris en charge à 100 %. Pour compenser votre perte de salaire, vous pouvez percevoir des indemnités journalières. Si vous êtes déclaré inapte suite à cette maladie, vous pouvez recevoir une indemnité temporaire d'inaptitude », vante l'Assurance maladie à l'attention des salariés. « Le régime d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles est le plus défavorable de tous les régimes d'indemnisation en France (…) et conduit à une différence d'indemnisation pouvant aller jusqu'à dix fois moins qu'un accidenté de la route », oppose de son côté la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath).
Création d'une commission d'indemnisation
Le dispositif des maladies professionnelles pourrait en effet se révéler inadapté à la crise actuelle. Outre sa critique sur les insuffisances d'indemnisation, la Fnath formule toute une série de griefs à son encontre : non-prise en compte de nombreux travailleurs (indépendants, autoentrepreneurs, libéraux, bénévoles), délai de plusieurs années pour publier un tableau relevant de la négociation sociale, hostilité prévisible des employeurs à assumer une contribution supplémentaire de solidarité, risque contentieux…
« L'important est une reconnaissance et une indemnisation juste et rapide pour toutes les personnes concernées, y compris bénévoles, et quel que soit le régime social de couverture », estime la Fnath, qui propose la création d'une commission d'indemnisation. Celle-ci aura à « déterminer les critères et modalités d'accès à un fonds d'indemnisation », l'association suggérant de faire appel à un fonds déjà existant tel que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
Une proposition qui recoupe en partie celle de la CFDT, qui réclame un « dispositif exceptionnel et collectif » basé sur trois incontournables : une imputabilité d'office pour les situations de travail en présentiel, la création d'un fonds spécifique, et la reconnaissance d'un droit de suite à l'épidémie permettant de prendre en compte des séquelles éventuelles.