C'est une décision qui apporte de l'eau au moulin de la justice climatique à l'heure où se tient la conférence climatique à Bonn en Allemagne. Le tribunal régional supérieur de la ville de Hamm (nord-ouest de l'Allemagne) - l'équivalent de la cour d'appel française - estime que les grands émetteurs de gaz à effet de serre sont en principe tenus de soutenir les victimes des dommages climatiques dans les pays pauvres. Cette décision intervient dans une affaire opposant l'énergéticien allemand RWE à Saúl Luciano Lliuya, un guide de montagne péruvien dont la ville (Huaraz) est menacée par la fonte des glaciers andins.
A la pêche aux preuves
Ce dernier a porté plainte contre RWE pour le rendre responsable et par conséquent le faire participer financièrement aux travaux visant à protéger les 100.000 habitants de sa ville d'une inondation. L'eau, issue de la fonte des glaciers, s'accumule dans les lacs de montagne qui menacent de céder. Après un premier jugement en décembre 2016 qui ne lui était pas favorable, la roue tourne pour Saúl Luciano Lliuya. La cour d'appel de Hamm a reconnu le principe de responsabilité et va désormais enclencher la seconde étape du procès en recueillant des preuves.
Ces preuves ne seront pas simples à apporter vu la multitude d'acteurs et de causes qui entrent en compte dans les changements climatiques. Il n'est donc pas dit que la procédure ira au bout, mais elle revêt une importance symbolique pour les acteurs : "Le tribunal régional a écrit l'histoire juridique aujourd'hui, et ce vote est clair", a déclaré Roda Verheyen, avocat du guide péruvien. "Pour la première fois, un tribunal estime que les contributeurs au changement climatique devront payer pour la protection contre les risques généralement encourus par d'autres en raison des changements climatiques. Nous devons maintenant prouver en détail le fait que RWE soit conjointement responsable des dangers qui menacent Huaraz. Ce sera un long chemin. Mais nous sommes très confiants".
Le président de l'organisation environnementale Germanwatch, qui soutient et conseille Luciano Lliuya, est lui aussi très enthousiaste : "Les remarques du tribunal régional supérieur indiquent clairement que même si beaucoup ont contribué [aux émissions de carbone], les conséquences sont graves, ce qui est une très bonne nouvelle pour la protection du climat mondial et les personnes menacées par les effets du changement climatique dans le monde entier", a déclaré Klaus Milke. "La pression sur les grands émetteurs de gaz à effet de serre et sur les politiques a augmenté massivement aujourd'hui (…). Personne ne veut un flot de litiges, mais nous voulons que les personnes menacés par le changement climatique ne soient pas sans droits."
90 sociétés pourraient être mises en cause
L'étude s'appuie sur une étude historique de 2014 réalisée par Richard Heede du Climate Accountability Institute. L'étude de Heede a déterminé la quantité d'émissions de dioxyde de carbone et de méthane résultant de la combustion des produits vendus par les 90 plus grandes sociétés pétrolières et publiques et les producteurs de ciment. Leurs émissions cumulées représentent 63% du CO2 industriel mondial et du méthane émis entre 1751 et 2010. La moitié a été émise depuis 1984. "Jusqu'à il y a une décennie ou deux, aucune entreprise ne pouvait être tenue responsable des conséquences des émissions de ses produits parce que nous n'en savions pas assez sur leurs impacts, a déclaré Myles Allen, coauteur de l'étude et professeur à l'Université d'Oxford en Angleterre. Cette étude fournit un cadre pour lier les émissions liées aux produits des sociétés de combustibles fossiles à une gamme d'impacts, y compris l'augmentation de l'acidification des océans et les décès causés par les vagues de chaleur, les incendies de forêt et autres phénomènes météorologiques extrêmes. Nous espérons que les résultats de cette étude éclaireront les débats sur les politiques et la société civile sur la meilleure façon de tenir les grands producteurs de carbone responsables de leurs contributions au problème."