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Le juge judiciaire ferme la porte du contentieux espèces protégées en cas d'exploitation d'une ICPE

La Cour de cassation ferme définitivement l'accès aux tribunaux de l'ordre judiciaire pour la contestation d'une atteinte à des espèces protégées par une ICPE en cours d'exploitation.

DROIT  |  Commentaire  |  Biodiversité  |  
   
Le juge judiciaire ferme la porte du contentieux espèces protégées en cas d'exploitation d'une ICPE
Héloïse Aubret
Greencode Avocats
   

Cet arrêt est particulièrement intéressant (1) car la solution dégagée était loin d'être évidente. Le rapport du Conseiller-rapporteur, avait préparé deux projets d'arrêt.

I. Retour sur les faits

Une société a été autorisée à exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) par un arrêté préfectoral du 29 juin 2012. Cette autorisation permettait l'exploitation d'une carrière de calcaire dolomitique sur une superficie totale de 4 hectares (ha),ainsi que d'une installation de broyage, concassage, criblage. Cet arrêté a fait l'objet d'un recours en annulation devant la juridiction administrative, qui a été rejeté en dernier ressort par le Conseil d'État.

Pour permettre l'exploitation de cette carrière, le préfet du Var avait également autorisé le défrichement d'une forêt de 241 000 m2, par unarrêté de 2010.

Aucune demande de dérogation à l'interdiction de détruire ou altérer des espèces ou leurs habitats n'a jamais été déposée, celles-ci n'ayant même pas été inventoriées.

Le terrain d'assiette du projet bénéficie de protections réglementaires au regard de la richesse de la biodiversité qu'il abrite :

-    Il a été classé en Zone Natura 2000, zone spéciale de conservation « Massif de la Sainte Beaume », par un arrêté ministériel du 26 juin 2014 (2) .

-    Il bénéficie également, depuis un décret du 20 décembre 2017, du classement Parc Naturel Régional de la Sainte Beaume.

Les travaux de terrassement ont commencé en 2021.

Les associations de protection de l'environnement et du patrimoine local ont saisi le parquet d'une plainte pénale. L'instruction étant en cours, il ne saurait être porté atteinte au secret. En tout état de cause, les autorités pénales n'ont pas pris de mesures à même de stopper les travaux.

II. Sur la saisine du tribunal administratif

A priori, l'exploitant ne détient pas de dérogation formelle qui lui aurait été délivrée sur la base de l'article L. 411-2, 4° du code de l'environnement, à savoir une dérogation lui permettant de porter atteinte à des espèces protégées. Il n'y a donc pas de décision administrative à contester.

L'autorisation d'exploiter une ICPE avait été délivrée en 2012, et sa légalité avait été jugée sur la base de la législation ICPE uniquement, c'est-à-dire au regard des articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, jusqu'en dernier ressort.

Le permis de construire a été délivré en 2021, et le recours est pendant devant le tribunal administratif de Toulon. En tout état de cause, sa légalité ne devrait être appréciée qu'au regard de la législation urbanisme, en vertu du principe d'indépendance des législations.

Une demande de référé-liberté a tout de même été déposée. Elle sollicitait du juge administratif qu'il enjoigne à la société Provence Granulats de cesser ses travaux sur ce site qui accueille des espèces protégées nombreuses et d'un intérêt écologique déterminant.

Le tribunal administratif de Toulon s'est déclaré incompétent par une ordonnance de référé du 29 mai 2021 (3) . Il a jugé que la violation d'une liberté fondamentale, la protection de l'environnement, par une société de droit privé qui n'exerce pas une mission de service public, ne pouvait être sanctionnée par son ordre de juridiction.

III. Sur la saisine du tribunal judiciaire

Les associations requérantes estiment alors qu'en l'absence de dérogation, il revient au juge judiciaire de faire cesser le trouble manifestement illicite que constitue la destruction et l'altération, en cours, de plusieurs espèces protégées et de leurs habitats, au mépris de l'article L. 411-1 du code de l'environnement.

En matière d'espèces protégées, la réponse procédurale est assez claire, puisque le juge judiciaire reconnaît de longue date que l'atteinte à des espèces protégées, sans autorisation dérogatoire, engendre un trouble manifestement illicite (4) .

Par une ordonnance du 27 avril 2022 (5) , le juge des référés civil du tribunal judiciaire de Draguignan s'est déclaré incompétent au motif que « le juge judiciaire n'est pas le juge de la régularité des autorisations administratives obtenues en 2012 pour l'exploitation de la carrière, qui, en tout état de cause, n'est plus contestable, ni de l'application des règles nouvelles en fonction de l'évolution de la situation environnementale puisque le régime des installations classées relève de la compétence de l'autorité administrative. »

1. Sur l'arrêt de la cour d'appel

Annulant la décision de première instance, la cour d'appel a jugé (6) qu'une action en référé pour solliciter la cessation du trouble manifestement illicite causé par une personne privée, même classée ICPE, relevait bien de la compétence du juge judiciaire, puisqu'il ne s'agissait pas de remettre en cause l'autorisation d'exploiter, délivrée au regard d'une législation autonome :

« En effet, aucune des parties ne discute désormais le caractère définitif de ces décisions. Cette action seulement à faire cesser le trouble causé à l'environnement notamment par la destruction l'altération ou la dégradation de l'habitat naturel d'espèces animales protégées dont la présence sur site a été récemment établie, trouble qu'elle qualifie de manifestement illicite en l'absence d'autorisation administrative de déroger aux dispositions de l'article L. 411 du code de l'environnement. Il ne s'agit donc pas de solliciter l'interdiction définitive de l'exploitation de la carrière le cahier du sarrasin ce qui contrarierait les décisions précitées prises sur les fondements des dispositions de du code de l'environnement régissant les ICPE et les IOTA, mais de faire cesser diverses infractions aux dispositions de l'article l 411-1 qu'elles entendent documenter (…) »

Une autorisation administrative est en effet toujours délivrée sous réserve du respect des droits des tiers d'une part, et en vertu du principe d'indépendance des législations d'autre part.

2. Sur l'arrêt de la Cour de cassation

La société exploitante a formé un pourvoi contre cet arrêt. La Cour de cassation réexamine le moyen tiré de l'incompétence du juge judiciaire, et rejette les autres sans motivation.

Sur le moyen du pourvoi pris en sa première branche, la solution était loin d'être évidente.

En effet, la compétence du juge judiciaire est acquise pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice causé à un tiers par une ICPE, mais également pour obtenir les « les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer à l'avenir, à la condition qu'elles ne contrarient pas les prescriptions édictées par l'administration dans l'intérêt de la société et de la salubrité publique » (7) .

Dans le même sens, le juge judiciaire avait interdit l'exploitation d'une carrière par l'utilisation d'engins brise-roche, car l'arrêté d'exploitation n'avait pas autorisé explicitement le recours à cette méthode d'extraction (8) .

En outre, par un arrêt du 30 novembre 2022 (9) , la Cour de cassation avait bien rappelé que la législation relative aux espèces protégées était une législation spéciale et autonome de celle portant sur la législation ICPE :

C'est ainsi que la Cour rappelle ce principe dans un premier temps, que la protection du patrimoine naturel, prévue aux articles L. 411-1 et 2, est bien une législation autonome et spéciale. Il revient à l'administration de délivrer une dérogation si elle le souhaite.

En conséquence, le cœur du litige portait sur l'existence, ou non, d'une dérogation délivrée au titre de la législation espèces protégées.

Sur ce point, elle poursuit :

« Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-80 du 27 janvier 2017, ces autorisations et dérogations faisaient l'objet d'actes administratifs distincts, soumis à des procédures d'examen différentes et délivrés séparément par l'autorité administrative compétente. » (cons. 12)

Cela a changé avec l'ordonnance du 1er mars 2017, puisque l'autorisation environnementale unique rassemble dans un seul document l'arrêté portant autorisation d'exploiter une ICPE, et la dérogation espèces protégées. La portée des arrêtés postérieurs à cette date ne cause pas de difficulté.

En revanche, la qualification d'autorisation environnementale d'un acte antérieur à l'ordonnance est discutable.

Le Conseiller rapporteur expose que dans un arrêt du 30 mai 2018 (10) , le Conseil d'État a jugé que l'Administration « ne pouvait légalement subordonner la délivrance de l'autorisation sollicitée au titre de la police de l'eau au respect de cette législation sur la protection du patrimoine naturel. » La Haute juridiction avait ainsi rappelé le principe d'indépendance des polices administratives, et par conséquent que les autorisations d'exploiter délivrées avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du précitée ne valaient pas autorisation environnementale unique.

Cependant, la Cour se fonde finalement sur arrêt du Conseil d'État postérieur, du 22 juillet 2020 (11) . Dans cette affaire, il avait dû se prononcer sur la légalité d'un arrêté délivré au titre de la législation Iota (12) , qui ne respectait pas la législation espèces protégées. Elle avait jugé que « l'autorisation environnementale issue de l'autorisation délivrée par le préfet le 17 octobre 2011 au titre de la police de l'eau pouvait être utilement contestée devant elle au motif qu'elle n'incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation dont il était soutenu qu'elle était requise pour le projet de travaux en cause. »

Dans l'affaire qui nous intéresse, la Cour de cassation suit cet arrêt du Conseil d'État pour juger la juridiction judiciaire incompétente au motif que «les autorisations délivrées au titre de la police de l'eau et de celle des ICPE avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales. » (cons. 14)

Elle en conclut que l'arrêté délivré au titre de la législation ICPE constitue, quelle que soit sa date de délivrance, une autorisation environnementale unique. En conséquence, la juridiction judiciaire n'est pas compétente pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultat de l'absence de dérogation sur le fondement de l'article L. 411-2, 4 :

Elle expose encore qu'il revient aux requérants de contester l'arrêté préfectoral de 2012 au motif qu'il n'incorporait pas, à la date à laquelle l'Administration a statué, la dérogation dont il était soutenu qu'elle était requise pour le projet de travaux en cause (cons. 7).

Toutefois, le délai de recours contre cet arrêté est échu, et surtout, sa légalité a déjà été jugée jusqu'en dernier ressort, à une époque où elle n'était pas considérée comme une autorisation environnementale unique. Ainsi, les requérants n'ont plus la possibilité de contester la légalité de l'arrêté de 2012 au regard de la législation espèces protégées.

La situation est donc bien différente du cas d'espèce de l'arrêt du Conseil d'État du 22 juillet 2020, puisque la contestation de l'arrêté était encore pendant devant les juridictions administratives. Les requérants avaient donc la possibilité de développer de nouveaux moyens liés à l'illégalité de l'autorisation au regard des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.

Dans le cas d'espèce, la contestation de la nouvelle autorisation unique n'est plus possible.

En conséquence, les associations requérantes ont sollicité du préfet qu'il enjoigne l'exploitant à déposer une demande de dérogation, qui est divisible de l'autorisation d'exploiter au sein de l'autorisation environnementale unique.

La décision implicite de rejet a été attaquée par un recours en annulation, actuellement pendant devant le tribunal administratif de Toulon.

Ce dernier devra trancher sur la nécessité d'imposer au carrier de déposer une demande de dérogation, eu égard aux 80 espèces protégées trouvées sur le site, dont la plupart n'ont jamais été répertoriées dans l'étude d'impact de 2008, qui est de plus, périmée au niveau des connaissances naturalistes. L'exploitant n'a jamais réalisé d'inventaire exhaustif, ni demandé la moindre autorisation pour détruire les espèces protégées et leurs habitats se trouvant sur l'emprise de son exploitation.

L'arrêté portant autorisation d'exploiter n'indique pas non plus qu'il autorise la destruction d'espèces protégées nommément listées, comme c'est le cas dans les arrêtés d'autorisation environnementale unique.

Tant dans la méthodologie de la demande, que dans la rédaction de l'arrêté, la législation espèces protégées n'a jamais été prise en compte. Et pour cause, en 2012 c'était bien le principe d'indépendance des législations qui était en vigueur, et ni l'exploitant, ni le préfet, ni les tiers, n'auraient pu imaginer que cet arrêté pourrait être qualifié 22 ans après, d'autorisation unique.

La situation est donc juridiquement inédite, et la position des juridictions administratives attendue.

1. L'auteure déclare qu'elle a un lien d'intérêt avec l'une des parties à la procédure (associations requérantes) dont est issue la décision de justice ici commentée. 2. Arrêté du 26 juin 2014 portant désignation du site Natura 2000 massif de la Sainte-Beaume (zone spéciale de conservation)3. TA Toulon, 29 mai 2021, n° 21014114. TGI Caen, 6 sept. 1994, Groupement régional des associations de protection de la nature de Basse-Normandie, Dr. Env. 1995, no 28, p. 13, note Braud ; RJE 1995, p. 121, note Léost ; et au fond, TGI Caen, 4 sept. 1995, Dr. Env. 1996, no 36, p. 11, note Braud ; TGI Colmar, 6 oct. 2000, n° RG.00/00098, Assoc. Alsace Nature du Haut-Rhin, RJE 2/2001, p. 2555. TJ Draguignan, 27 avr. 2022, n° 21/078256. CA Aix-en-Provence, 23 févr. 2023, op. cit.7. TC, 23 mai 1927, Consorts Neveux et Kohler, n° 7558. Cass. 2e civ., 26 juin 2014, n° 13-14.0379. Cass. 3e civ., 30 nov. 2022, n° 21-16.404 : Bull. civ. III10. CE, 30 mai 2018, n° 405785 : Lebon T.11.  CE, 22 juill. 2020, n°42961012. Installations, ouvrages, travaux, activités

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