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Errements de la facilitation des ENR : illustration à travers un arrêt du Conseil d'État

Le formalisme a parfois du bon pour asseoir l'acceptabilité des décisions juridictionnelles et des projets. À trop vouloir simplifier et alléger, n'y a t-il pas un risque de perte de contact entre les citoyens, les pouvoirs publics et les juridictions ?

DROIT  |  Commentaire  |  Energie  |  
   
Errements de la facilitation des ENR : illustration à travers un arrêt du Conseil d'État
Raphaël Romi
Professeur émérite de droit public
   

On veut bien comprendre que la facilitation des énergies renouvelables appelle souplesse et tolérance. Mais sans pédagogie, en ces temps de recul du droit de l'environnement, la « facilitation » peut générer un effet boomerang.

En ce sens, voilà un arrêt qui interroge à la fois sur ce facteur contingent, et, au-delà, sur quelques accommodements que pourrait, dans une société démocratique, adopter la juridiction suprême de l'ordre administratif.

En d'autres termes, au pays de Montesquieu, n'est-ce pas au moment où les gouvernants opèrent des reculs (que l'on espère stratégiques…) que les juges devraient mieux tenir la barre en procédant autrement que par des formulations elliptiques et des approximations procédurales ?

Le Conseil d'État ne surprend certes pas ici : il maintient sa jurisprudence (1) selon laquelle le juge administratif est libre d'apprécier que des défauts de communication et des vices de procédure ne sont pas des causes d'annulation quand – pour reprendre cette formule consacrée – ils « n'ont pas été susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu'elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète du public ».

On admet que le respect d'un formalisme absurde desservirait l'intérêt général. Et il n'est sans doute pas question de remettre en cause cette marge qu'il s'est construite. C'est son travail et sa compétence. Mais …

I. Un peu de pédagogie ferait du bien

Sur les capacités techniques et financières, le Conseil d'État écarte d'un simple revers de phrase une argumentation logiquement fondée de la cour administrative d'appel de Nancy.  Aucune explication, alors même que l'obligation de motivation relève des exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (2) ,  et alors que l'article L. 9 du CJA énonce que « les jugements sont motivés ».

N'aurait-il pas pu mieux assurer, pour reprendre l'expression de Pierre Delvolvé, cette « régulation de l'ordre juridictionnel administratif » (3) qui est sa mission essentielle, en traitant la formulation de la cour, qu'il refuse autrement qu'il le fait ? Il s'agit tout de même de six aérogénérateurs, et pas d'un mat isolé ou d'une installation déjà positionnée dans le paysageEt la position de la cour, sur le plan purement juridique, est tenable :

« Il est joint au dossier de demande une lettre d'engagement de la société Envision Energy Jiangsu du 23 octobre 2017, par laquelle cette société s'est engagée à apporter 20 % du montant des investissements à réaliser à la société Doubs Ouest Energie 1. En revanche, il n'était joint au dossier de demande aucun élément susceptible de justifier de la capacité de la société porteuse du projet à réaliser 80 % de l'investissement par le recours à l'emprunt. Si, dans sa lettre, la société Envision Energy Jiangsu s'est certes également engagée, en cas ce de difficultés à obtenir un financement bancaire, à financer intégralement le projet, il est indiqué que ce financement serait d'un montant total de 22,5 millions d'euros, alors que le projet pourrait, selon les estimations présentées par le dossier de demande, dépasser cette somme et atteindre un total de 24,3 millions d'euros. Ainsi, le dossier de demande ne présentait pas les éléments permettant de justifier de ce que la société Doubs Ouest Energy 1 pourrait disposer, en toute hypothèse, d'un financement suffisant. De plus, alors que le dossier de demande se borne à des références vagues au groupe Envision Energy (…) alors au demeurant qu'il résulte de l'instruction qu'elle s'était déjà engagée, au cours de l'année 2017, à financer plusieurs projets éoliens pour un montant de plus de 200 millions d'euros. Ainsi, les informations figurant dans le dossier de demande d'autorisation d'exploiter n'étaient pas suffisamment précises et étayées quant aux capacités financières de la société pétitionnaire. Si le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, qu'une irrégularité liée au dossier de demande a été régularisée, la société pétitionnaire s'est bornée à verser devant la cour des coupures de presse témoignant de ce que le groupe Envision Energy Energy a acquis plusieurs sociétés françaises de projet éolien préalablement détenues par la société Velocita Energy, ainsi que des éléments financiers de la société Envision Energy International, qui, ainsi que l'indique elle-même la société défenderesse, est une entité distincte de la société Envision Energy Jiangsu. » (4)

Au vu de cette légèreté, la cour pouvait décemment refuser l'exposé des capacités financières. En estimant que « cette irrégularité, qui a nui à l'information complète du public, constitue un vice de procédure entachant d'illégalité l'autorisation délivrée par le préfet du Doubs », la cour est loin d'avoir « dénaturé les pièces du dossier »comme l'énonce le Conseil d'État dans son paragraphe 3. En tout cas, l'affaire méritait plus qu'un consentement sibyllin, et une motivation minimale aurait été bienvenue de la part du Conseil d'État.

S'agissant d'un mode de production qui a déjà mauvaise presse, cette apparente désinvolture d'écriture est aussi de nature à renforcer la méfiance des communes concernées, à deux ans des élections municipales !

Les conclusions du rapporteur étaient pourtant de nature à être reprises par un considérant, qui eut pu paraître bien moins sévère pour la cour d'appel que le considérant critiqué : « C'est donc sans erreur de droit que la cour a recherché, au titre de la régularité externe de l'acte, si les informations figurant dans le dossier de demande d'autorisation d'exploiter étaient suffisamment précises et étayées. Son appréciation sur ce point est assez sévère et pointe une discordance entre le scénario de construction le plus coûteux (24,3 millions) et le fait que la pétitionnaire présente, en cas de difficulté à obtenir le financement bancaire, un engagement signé par une société du même groupe d'apporter les fonds nécessaires mais dans la limite de 22,5 millions seulement. Elle souligne encore l'absence d'élément au dossier documentant les liens capitalistiques exacts entretenus avec la société apporteuse de fonds ainsi que la situation financière de cette dernière. »

En réalité, le désaccord entre le Conseil d'État et la cour porte sur le contenu et la nature du principe de participation, le rapporteur en développant une application modeste, reprise par la formation de jugement : « Si elle ne se situe pas dans ce constat factuel, la dénaturation nous semble en revanche résulter de ce que la cour déduit de ces carences ponctuelles qu'elles avaient nui à l'information complète du public. Le principe de participation du public en matière environnementale implique certainement qu'il soit convenablement informé des grandes lignes du financement du projet particulier de l'identité des financeurs, mais pas du détail des modalités de bouclage financier destiné, lui, à permettre à l'Administration d'instruire le dossier et d'apprécier la solidité des capacités financières. »

C'est un point de vue qu'on est libre de ne pas partager : il peut participer du fossé entre les citoyens et l'Administration dont on mesure l'étendue à travers l'actualité.

Et l'ensemble est d'autant plus surprenant que le Conseil d'État lui-même a, par son avis du 26 juillet 2018 (5) , spécifié qu'il appartenait au juge de vérifier la pertinence d'une capacité financière et technique suffisante pour assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site ; et que, par exemple,  dans une décision récente du 17 février 2023, la Haute juridiction adopte une rédaction diamétralement opposée, en consacrant plusieurs paragraphes à une précise évaluation des capacités financières du porteur d'un projet comparable,  et vérifie bien plus concrètement en quoi les insuffisances sur ce point n'étaient pas susceptibles d'avoir nui à l'information du public (6) .

Donc, si l'on veut bien admettre qu'une économie de rédaction amène le souci de ne pas développer outre mesure, il n'en subsiste pas moins :

-  que l'on ne trouve pas deux millions d'euros sous les sabots d'un cheval, et que ce modeste delta méritait un peu d'attention, comme la réalité des liens entre les sociétés garantes et la société porteuse ;

-  qu'au moins, le Conseil d'État aurait pu marquer dans la rédaction de sa décision que la question de savoir si cette approximation n'avait pas porté atteinte à l'information du public avait été examinée.

II. Un peu de formalisme ne ferait pas de mal

Le tout est d'autant plus frustrant que sur l'avis de l'Autorité environnementale, la rédaction n'est pas plus convaincante. Nuancer le formalisme est une chose, négliger la réalité en est une autre. Ici, la directrice adjointe de la Dreal (7) , référente du service développement durable et aménagement, était mise à la disposition de l'Autorité environnementale, alors que celle-ci doit être dans une situation d'autonomie fonctionnelle incontestable. Le Conseil d'État évacue tout questionnement par un phrasé bien court : « Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale était irrégulier au seul motif que la directrice régionale adjointe référente du service développement durable et aménagement de la Dreal Bourgogne-Franche-Comté faisait partie des agents mis à la disposition de la MRAe sans qu'il soit établi qu'elle n'avait pas participé à la préparation de cet avis, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit » (pt. 8).

Pourtant, la rédaction du paragraphe 6 reprend bien le paragraphe 42 de la décision citée de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) (8) qui précise que « ledit article 6 impose que, au sein de l'autorité normalement chargée de la consultation en matière environnementale, une séparation fonctionnelle soit organisée de telle manière qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres (…) ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. »

Le Conseil estime que ces conditions sont réunies : mais quand on connaît la réalité de l'Administration, on peut raisonnablement estimer que la simple présence d'un fonctionnaire qui, on l'espère pour elle compte tenu de son poste, a quand même un peu d'autorité sur les services, a pu influer sur l'orientation de l'avis. C'est ce qu'avait « librement » apprécié la cour d'appel.

Quant à la mention de ce que l'avis formulé l'a été de telle façon que ni le contenu ni la méthode d'élaboration n'ont nui à une information correcte du public, rien. On pourra objecter que les conclusions du rapporteur peuvent éclairer le lecteur mécontent. Certes, et celles-ci peuvent être trouvées sur internet, mais elles ne constituent pas le « jugement » qui doit être « motivé », et ne sont pas publiées.

Un peu de formalisme, de temps en temps, ne ferait pas de mal…

On remarquera d'ailleurs que ces conclusions de Nicolas Agnoux posent la question de revenir sur les décisions précédentes comparables du Conseil d'État, même si sa réponse est claire :  « L'arrêt Seaport précité impose aux États, lorsqu'une même administration est en situation de cumul, de créer une entité interne suffisamment autonome, disposant de ressources administratives et humaines propres pour préparer de façon indépendante un avis sur l'impact environnemental du projet ; il est difficile de soutenir que la Mrae dispose de moyens humains propres lorsqu'il s'agit d'agents soumis simultanément, au titre d'un même projet éolien, à deux hiérarchies fonctionnelles distinctes. Enfin, l'effort et les risques à consentir ne paraissent répondre à aucun besoin de sécurisation contentieuse compte tenu des mesures de prévention mises en œuvre en pratique: dans le dossier en litige, la convention de mise à disposition passée entre la Dreal et la Mrae confiait au directeur régional le soin de veiller au respect du principe de « séparation fonctionnelle » ; dans la nouvelle version des conventions de mise à disposition définie par arrêté du 11 août 2022, il est précisé, de manière encore plus explicite, que les agents placés sous l'autorité fonctionnelle de la Mrae ne peuvent participer à d'autres missions que dans la mesure où « ces actions ne sont pas susceptibles (...) de concourir à l'instruction d'une autorisation ayant un lien avec un dossier examiné par la Mrae ».

La position d'autorité spécifique de la directrice adjointe dont la présence est en cause n'est pas considérée : une appréciation limitée à cette seule espèce n'aurait pourtant pas constitué l'affirmation d'une position « radicale » et il est quand même difficile de ne pas penser que la responsable du développement durable et de l'aménagement, directrice adjointe, n'est pas susceptible de « concourir à l'instruction d'une autorisation ayant un lien avec un dossier examiné par la Mrae ».

On touche du doigt qu'avec des rédactions de décisions ainsi réduites à leur plus simple expression, la volonté de facilitation peut être considérée avec défiance… L'absence d'un peu de formalisme est une erreur stratégique et juridique. Stratégique parce que dans les périodes troublées, on attend du juge administratif qu'il ne soit pas le protecteur de l'Administration mais son « régulateur », et qu'il se prononce au cas par cas, et pas par des généralisations. Juridique aussi, parce que la séparation fonctionnelle doit être vraiment vérifiée : on ne saurait la garantir si parmi les personnels mis à disposition figure ne serait-ce qu'une personne qui sera considéré à tort ou à raison comme « l'œil de son maître ». Il faut bien de la solidité aux agents investis de la compétence d'avis pour échapper à l'emprise psychologique de leur chef de service, in fine par exemple chargé de leur évaluation.

Si des personnels techniques peuvent être mis en appui de l'Autorité, il conviendrait qu'il n'y en ait aucun qui occupe une position de direction et que la séparation fonctionnelle soit organisée par des « conventions de mise à disposition ».

Si la « facilitation » et la « simplification » amènent à oublier les fondamentaux et à ne pas tenir compte de la réalité, au cas par cas, des rapports humains dans les administrations, c'est l'État de droit qui sera à terme mis en cause.

1. CE, Ass., 23 déc. 2011 n° 335033 : Lebon, M. Danthony et a.2. V. en ce sens l'attitude de la Cour de cassation : Cass. 1ère civ., 11 févr. 2009, n° 06-18.746 : Bull. civ.3. Delvolvé P., Le Conseil d'État, régulateur de l'ordre juridictionnel administratif, Mélanges en l'honneur de D. Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 259 et s.4. CAA Nancy, 8 mars 2022, n° 19NC028255. CE, avis, 26 juill. 2018, n° 416831 : Lebon6. « 10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, non contestées sur ce point en cassation, que le dossier initialement constitué par la société pétitionnaire et soumis à enquête publique ne satisfaisait pas à l'exigence de justification de ses capacités financières fixée au 5 ° de l'article R. 512-3 du code de l'environnement. Toutefois, la cour a, par une appréciation souveraine, relevé que différentes modalités avaient été mises en œuvre pour informer le public sur les capacités financières dont justifiait le pétitionnaire, notamment un avis d'information des habitants détaillé adressé aux communes concernées par l'enquête publique, l'insertion d'annonces légales dans trois journaux locaux, un affichage en mairie et sur le site d'implantation du parc éolien. Elle a également estimé, par une appréciation souveraine, que l'information donnée au public à travers ces différentes mesures avait permis au public de comprendre l'origine, l'objet et les modalités de la nouvelle consultation organisée (…). »7. Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement8. CJUE, 20 oct. 2011, n° C-474/10, Seaport

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