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Le législateur et les éoliennes : « je t'aime, moi non plus »

Le régime juridique des éoliennes a souvent retenu l'attention du législateur français depuis 1992. David Deharbe et Lou Deldique, avocats, posent un regard critique sur cet encadrement législatif peu favorable au développement de ces installations.

DROIT  |  Étude  |  Energie  |  
   
Le législateur et les éoliennes : « je t'aime, moi non plus »
David Deharbe et Lou Deldique
Avocats, Green Law Avocats
   

Afin d'encadrer et de sécuriser juridiquement le développement des énergies renouvelables et répondre aux objectifs ambitieux fixés par le Grenelle de l'environnement, le Parlement a choisi, dans le cadre de la loi du 12 juillet 2010, de soumettre les éoliennes terrestres au régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).

Ce choix n'allait pas de soi, au point d'ailleurs qu'il a d'abord nécessité pour le législateur de modifier subrepticement l'article L. 511-1 du code de l'environnement, afin d'y intégrer la protection du paysage parmi les intérêts protégés par la loi ICPE. De surcroît, étonnamment, les éoliennes en mer continuent d'échapper au régime des installations classées. Reste que très tôt, le principe même de la soumission par la loi des seules éoliennes terrestres au régime ICPE sera validé (1) par le Conseil d'État.

Le classement des éoliennes a sans doute été très mal appréhendé par la filière qui espérait beaucoup de prescriptions industrielles par souci de sécurité juridique, mais qui n'avait pas perçu combien la soumission au régime de l'autorisation ICPE et désormais de l'autorisation environnementale allait considérablement allonger les procédures : l'étude d'impact (2) et l'enquête publique (3) systématiques, une instruction administrative déconcentrée instrumentalisée par la guérilla contentieuse des anti-éoliens ont enkysté les projets.

Le lobby anti-éolien et les représentants de collectivités locales opposés à certains projets, après avoir obtenu le classement des éoliennes sous le régime de l'autorisation ICPE, se sont ensuite évertués à obtenir du législateur qu'il multiplie les obstacles administratifs au développement des aérogénérateurs industriels.

Ainsi sont-ils parvenus à imposer une distance d'éloignement aux aérogénérateurs de 500 mètres (4) par rapport aux zones habitées, solution que le législateur n'a jamais imposée à aucune autre ICPE.

De la même façon, l'industrie éolienne est la seule à avoir vu ses maisons mères rendues responsables par le législateur lui-même de la remise en état du site ICPE en fin d'exploitation avec un mécanisme de garantie financière obligatoire et effectif, là où le droit commun des ICPE autorisées peine à l'imposer…

Autre exemple relativement récent, c'est avec succès que des députés anti-éoliens sont parvenus à imposer la consultation obligatoire du maire avant même le lancement d'un projet avec réponse des porteurs de projets aux observations formulées et présentation d'éventuelles évolutions du projet.

Plus précisément, s'agissant de l'éolien terrestre, l'article 53 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique dite « Asap » a créé un article L. 181-28-2 au sein du code de l'environnement qui prévoit que l'opérateur adresse aux maires de la commune concernée par le projet et des communes limitrophes, un mois au moins avant le dépôt de la demande d'autorisation environnementale auprès des services de l'État, un résumé non technique de l'étude d'impact du projet.

Puis, l'article 82 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « Climat et Résilience » a complété ce dispositif pour introduire un mécanisme de dialogue entre les élus et les porteurs de projet. L'article L. 181-28-2 du code de l'environnement, tel que modifié par cette loi, dispose désormais que dans un délai d'un mois à compter de l'envoi du résumé non technique et après délibération du conseil municipal, le maire de la commune d'implantation du projet adresse ses observations à l'opérateur, qui est alors tenu, sous un mois, de répondre aux observations formulées, en indiquant les évolutions du projet qui sont proposées pour tenir compte des observations.

Ainsi, avant même le dépôt du dossier de demande d'autorisation environnementale, l'opposition locale au projet peut-elle être organisée par les élus eux-mêmes qui se sont vu confisquer par l'État le pouvoir de délivrer l'autorisation de construire comme d'exploiter les éoliennes terrestres.

Le cadre législatif de l'éolien s'est de surcroît constitué au moyen d'expérimentations, dont la plus connue demeure l'autorisation unique puis environnementale (5) , pour définitivement donner à voir les aérogénérateurs comme un laboratoire du droit de l'environnement industriel…

Ainsi le certificat de projet, le phasage de l'autorisation environnementale, sa vocation à constituer un permis unique d'exploitation intégrant les autres autorisations requises et le renforcement des pouvoirs de pleins contentieux et de régularisation du juge des installations classées ont d'abord été expérimentés et pratiqués dans le domaine éolien.

On comprend qu'avec un tel cadre, les délais d'instruction des dossiers et la durée des contentieux s'éternisent pour dépasser allégrement les 10 ans de développement pour un projet éolien terrestre.

Mais il ne faut pas s'y tromper. Ce n'est pas seulement le droit qui est en cause mais l'usage qui en est fait d'abord par une administration déconcentrée qui retarde l'instruction des projets, les refuse abusivement pour des motifs paysagers ou de biodiversité administrativement construits, ou au nom d'une prétendue incompatibilité avec le fonctionnement de radars militaires ou météorologiques ; alors que pour leur part les opposant déclarés au développement éolien et organisés comme tels optimisent les armes juridiques mises à leur disposition par le législateur lui-même (contentieux des capacités techniques et financières, défaut de dérogation espèces protégées, atteinte au paysage au sens de l'article L. 511-1...)

Reste que tel un mouvement de balancier à l'initiative du Président de la République (6) lui-même, le législateur a été invité à prendre des mesures « accélérant » les implantations de projets d'énergie renouvelable : il s'exécute avec la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

Mais les remèdes sont-ils à la hauteur des difficultés et du défi en cause ?

D'abord le législateur (art. 5 de la loi précitée) supprime le certificat de projet (de l'article L. 181-5 du code de l'environnement), le Gouvernement prétextant qu'il ralentirait l'instruction et ferait perdre du temps aux services instructeurs … mais de fait depuis 2017 personne n'utilisait cet instrument dépourvu de toute sécurité juridique en environnement industriel !

Ensuite l'article 23 de la loi modifie l'article L. 181-17 du code de l'environnement pour prévoir que l'auteur d'un recours contre une autorisation environnementale est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur et au bénéficiaire de la décision. Mais cette obligation de notification ne fait qu'alourdir la gestion des dossiers contentieux par les greffes, alors que les requérants sont trop bien organisés et conseillés pour tomber dans ce piège grossier. Pire, la rédaction de l'article (7) porte à croire que les recours dirigés contre les refus d'autorisation doivent eux-aussi être notifiés, ce qui n'a guère de sens...

L'article 19 de la même loi insère un nouvel article L. 211-2-1 dans le code de l'énergie qui prévoit encore que les projets d'installations de production d'énergies renouvelables ou de stockage d'énergie qui satisfont à certaines conditions sont réputés répondre à une raison impérative d'intérêt public majeur de nature à justifier la délivrance d'une dérogation aux interdictions de porter atteinte à des espèces protégées ainsi qu'à leurs habitats.

Mais ce texte alambiqué nécessite un décret d'application et ne résout pas l'enjeu majeur des conditions d'appréciation de la dispense même de dérogation pour la filière : les opérateurs demeurent toujours tributaires des interprétations des juges du fond et de leur perception au cas par cas des études ornithologiques ou chiroptérologiques, sur la base d'un avis récent (8) du Conseil d'État … le silence perdure donc sur le sujet.

On impose encore au juge des ICPE d'organiser judiciairement la régularisation de l'autorisation environnementale annulable lorsque c'est possible. Mais sauf très rare exception, les juges du fond le faisaient déjà…

Par ailleurs, après les ZDE (9) et le Sraddet (10) , on institue encore une nouvelle planification. La loi Énergies renouvelables du 10 mars 2023 a ainsi créé les zones d'accélération pour l'implantation d'installations terrestres de production d'énergies renouvelables. Ces zones ont pour vocation de faciliter l'implantation des installations de production d'énergies renouvelables. Elles sont définies pour chaque catégorie de sources et de types d'installation de production d'énergies renouvelables, et notamment l'éolien, en tenant compte de la nécessaire diversification de ces énergies, des potentiels du territoire concerné, de la puissance de production déjà installée, des risques et inconvénients suscités par les équipements. Elles doivent être opérationnelles au plus tard le 31 décembre 2027 et être renouvelées tous les cinq ans. Ces zones d'accélération ne pourront être instituées (11) dans les parcs nationaux, les réserves naturelles, les sites classés dans la catégorie de zone de protection spéciale ou de zone spéciale de conservation des chiroptères au sein du réseau Natura 2000.

Mais l'articulation de ces nouvelles les zones d'accélération avec la procédure de l'autorisation environnementale n'est pas clairement pensée (12) , et il y a fort à parier qu'elles n'auront aucune portée sur la délivrance des autorisations environnementales en vertu du principe d'indépendance des législations …

En réalité, il s'agit surtout d'un énième document à élaborer… Sa rédaction devrait durer de nombreux mois, pendant lesquels les autorités défavorables à l'éolien imposeront certainement un gel de l'avancement de projets… Sans compter que les documents d'urbanisme et d'aménagement (Scot (13) , PLU (14) , cartes communales, PCAET (15) , SRCAE (16) …) devront ensuite être mis en cohérence avec ces zones, ce qui induira de nouveaux délais, et de nouvelles procédures : il y a donc peu de chances que les zones d'accélération accélèrent quoi que ce soit...

Surtout, les communes disposent d'un droit de veto sur la création de ces zones sur leur territoire : là encore, on ne peut que redouter que ce mécanisme se transforme rapidement en outil au profit des collectivités anti-éoliennes.

Relevons tout de même que sur le terrain de l'urbanisme, (17) la loi du 10 mars 2023 permet le recours à la modification simplifiée pour changer les orientations définies par le PADD du PLU ainsi que pour modifier les règles applicables aux zones agricoles relatives à l'affectation des sols et à la destination et la nature des constructions autorisées lorsque les évolutions ont pour objet de soutenir le développement :

  • de la production d'énergies renouvelables, au sens de l'article L. 211-2 du code de l'énergie ;
  • ou d'identifier des zones d'accélération pour l'implantation d'installations terrestres de production d'énergies renouvelables arrêtées en application de l'article L. 141-5-3 du code de l'énergie.

S'agissant des blocages liés à la présence de radars, le nouvel article L. 515-45-1 du code de l'environnement prévoit qu'il peut être requis des opérateurs éoliens de compenser la gêne résultant de leurs projets pour ces installations en :

-  prenant en charge l'installation et la maintenance d'équipements de compensationpour le fonctionnement des radars de l'armée ou de la DGAC (18) . Notons que le montant et les modalités de cette prise en charge sont définis par une convention conclue, selon le cas, avec l'autorité militaire ou avec le ministre chargé de l'aviation civile.

- ou en fournissant des données d'observation à Météo-France.

Cette disposition peut, quand on connait l'opposition quasi-systématique des opérateurs radars aux projets éoliens et leur refus permanent d'engager un dialogue sur les mesures pouvant permettre la cohabitation entre leurs installations et les projets, paraître surprenante. Toutefois, elle nous semble pertinente, et on ne peut qu'espérer qu'elle soit mise en œuvre à bon escient.

Enfin, le législateur voulant lui-même graver dans le marbre de la loi son désamour des aérogénérateurs, on relève cette considération de principe, désormais inscrite au dernier alinéa de l'article L. 515-44 du code de l'environnement (19) après qu'elle a été consacrée par le Conseil d'État (20)  : « L'autorisation environnementale tient également compte, le cas échéant, du nombre d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. »

Les Scot devront également intégrer la notion de saturation visuelle (21) dans leur partie réglementaire, au titre des orientations en matière de préservation des paysages.

Cette mesure, qui se double de l'obligation pour le Gouvernement d'établir un rapport sur les nuisances sonores des éoliennes pour les riverains, ainsi que sur les mesures de nature à limiter les inconvénients générés par le balisage lumineux (le balisage intermittent notamment) dans un délai d'un an (22) , montre bien le prisme adopté par les rédacteurs du texte.

Car comment l'être humain pourrait-il être la victime d'une saturation visuelle due aux éoliennes ou à tout le moins la percevoir, si ce n'est en se déplaçant ? Décidemment tout « s'accélère », même les représentations des atteintes éoliennes au paysage !

1. Rejet d'une QPC : CE, 16 avr. 2012, n° 353577 ; contrôle de légalité du décret de classement (c'est le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 qui a créé une rubrique 2980 au sein de la nomenclature des installations classées intitulée « Installation terrestre de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent et regroupant un ou plusieurs aérogénérateurs » : CE, 13 juill. 2012, n° 353565 et CE, 26 déc. 2012, n° 357152)2. d° de la 1ère ligne du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement3. C. envir., art. L. 123-24. C. envir., art. L. 515-44, al. 55. Les projets d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumis à autorisation ICPE ont bénéficié de l'expérimentation de l'autorisation unique (Ord. n° 2014-355, 20 mars 2014 : JO 21 mars) avant qu'elle ne se systématise en autorisation environnementale (avec l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale entrée en vigueur le 1er mars 2017).6. Déclaration d'Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de l'énergie, à Saint-Nazaire le 22 septembre 20227. Qui renvoie au cinquième alinéa de l'article L. 181-9, relatif aux refus adoptés à l'issue de la phase d'examen8. Pour la Haute juridiction, les conditions successives et cumulatives de déclenchement de l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation doivent ainsi être appréhendées. S'agissant de la condition relative à l'espèce protégée en cause, le demandeur puis l'Administration doivent vérifier si « des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet », peu important à ce stade le « nombre de ces spécimens » ou leur « état de conservation ». S'agissant de la deuxième condition relative à la nature du risque d'atteinte à l'état de conservation de l'espèce protégée : l'Administration doit prendre en compte l'existence du « risque suffisamment caractérisé » au regard des mesures d'évitement et de réduction proposées par le demandeur, mesures qui doivent présenter des « garanties d'effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».9. Zone de développement éolien10. Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires

11. C. énergie, art. L. 141-5-312. La seule trace de cette articulation est la réduction de 4 à 3 mois de la phase d'examen, pour les projets d'installations de production d'énergies renouvelables, au sens de l'article L. 211-2 du code de l'énergie, et dans la stricte limite des zones d'accélération pour l'implantation d'installations terrestres de production d'énergies renouvelables (C. énergie, art. L. 141-5-3).13. Schéma de cohérence territoriale14. Plan local d'urbanisme15. Plan climat-air-énergie territorial16. Schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie17. C. urb., art. L. 153-31, II, al. 1er18. Direction générale de l'aviation civile19. L. n° 2023-175, 10 mars 2023, op. cit., art. 220. CE, 1er mars 2023, n° 459716 : Lebon T.21.  L. n° 2023-175, op. cit., art. 1 ; C. urb., art. L. 141-1022. L. n° 2023-175, op. cit., art. 68

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