Le 10 mars 2023, le Parlement et le Conseil européens ont trouvé un accord dans le cadre de la révision de la directive sur l'efficacité énergétique. Ils ont fixé une hausse de 11,7 % des efforts de réduction de la consommation finale d'énergie de l'Union européenne à réaliser d'ici 2030, par rapport à 2020. En matière d'obligation d'économies d'énergie annuelles par les États membres, aujourd'hui fixées à 0,8 %, les colégislateurs ont approuvé une augmentation progressive de cet objectif. De 2024 à 2030, les États membres devraient ainsi assurer des économies d'énergie annuelles de 1,49 % de la consommation d'énergie finale en moyenne, jusqu'à atteindre 1,9 % le 31 décembre 2030.
Des objectifs CEE théoriquement cohérents...
Le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) répond aux obligations de cette directive européenne datant de 2012, qui impose de mettre en place des outils de politique publique en faveur de la maîtrise de la demande d'énergie. Alors avec le nouveau texte révisé, que pourrait être l'évolution du niveau de l'obligation des CEE à partir de 2024 ?
Pour rappel, en octobre 2022, le ministère de la Transition énergétique a augmenté de 600 Térawattheures cumulés actualisés (TWh cumac) l'obligation de CEE pour la cinquième période du dispositif (P5) de 2022 à 2025, portant le niveau d'obligation totale à 3 100 TWhc. Cette obligation de P5 est-elle donc compatible avec la directive révisée ? Oui, estime l'Observatoire indépendant des CEE (1) dans une note parue mi-mars, un collectif animé par Benoît Ferres, fondateur de Cameo Energy. « Nous sommes partis de l'hypothèse principale, soit -1,5 % d'économies d'énergie finale /an au lieu des -0,8 % actuelles pour simuler le taux de couverture de l'obligation P5 par rapport à ce nouvel objectif », explique l'Observatoire. Les résultats de ses hypothèses montrent que l'obligation P5 révisée pourrait permettre, sans « avoir besoin d'être rehaussée d'atteindre et de dépasser (de plus de 130 %) les nouveaux objectifs européens d'économies d'énergie annuelles fixées à partir de 2024 ».
Toutefois l'Observatoire indépendant des CEE n'a pas pris en compte, dans ses calculs, le stock de CEE issu de la précédente période (soit 600 TWh cumac) et son absorption dans la P5. « L'effort réel de production de CEE dans un tel cas au titre de la P5 (est) alors réduit à 2 500 TWh cumac », note-t-il.
En effet, les obligés ont conservé l'excédent de CEE produits durant la P4 pour les déclarer peu à peu au début de la 5e période, leur permettant déjà de couvrir une bonne partie de leurs obligations de CEE précarité pour l'année 2022.
...mais perturbés par les stocks de CEE de la P4
« L'obligation CEE précarité est déjà couverte à 57 % au bout de la première année 2022 de la P5. Ces 57 % sont composés pour la très large majorité d'un excédent de stock issu de la P4 de 35 % qui a été reporté sur l'autre période, et qui a été complété par de la production de CEE depuis début 2022 », analyse Marc La Rosa, cofondateur de la place de marché C2E Market, interrogé par Actu-Environnement. « Ce qu'on constate aujourd'hui, en dépôts de CEE ce sont des travaux qui ont été enclenchés en milieu d'année 2021, donc on est encore sur de la production de CEE initiée en 4e période ».
Or, Pierre-Marie Perrin, directeur des affaires publiques chez Hellio, société délégataire de CEE, souligne que l'obligation CEE précarité aurait dû être de « 25 % (vs 57 % déjà atteints) en 2022 (sur le total de la cinquième période), et ces irrégularités font que le cours des CEE évolue à la baisse ».
Florence Lievyn, responsable des affaires publiques chez le délégataire de CEE Sonergia, prévient que le cours du CEE précarité aurait ainsi « perdu 11 % en trois semaines, comme si le signal envoyé laissait à penser que l'obligation précarité serait éteinte d'ici à la fin de l'année 2023. Or nous savons qu'on ne parviendra pas aussi facilement à réaliser les 43 % restants d'ici la fin de la cinquième période »
Le prix spot des CEE échangés sur le marché, observé sur C2E Market, est actuellement de 7,63 euros le mégawattheure cumac (MWhc) pour le CEE « précarité » et de 7,40 €/MWhc pour le CEE « classique ».
Le gouvernement prévoyait un encadrement pérenne des prix des CEE (sur le marché secondaire) sous la forme d'un corridor, mais en février dernier, la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a annoncé aux parties prenantes l'abandon de ce dispositif. Ce corridor de prix devait s'établir pour le CEE classique entre 7 et 10 €/MWhc. Pour les CEE précarité, entre 10 et 14 €/ MWhc. « Aujourd'hui pour le prix du CEE classique on est autour de 7,4 ou 7,5 euros, et donc proche du plancher du corridor envisagé, en revanche, pour le CEE précarité, son prix subit une baisse inquiétante, alors qu'on devrait être à 10 euros en prix plancher, si on avait pris en compte le corridor », pointe du doigt Pierre-Marie Perrin.
De son côté, Marc La Rosa, ajoute que « seulement 24 % de l'obligation CEE classique a été remplie au bout de l'année 2022, soit un peu moins d'un quart, et c'est aussi en train de ralentir ». Il rappelle que les CEE précarité peuvent aussi être utilisés pour remplir l'obligation classique.
Vers un rehaussement de l'obligation face à la baisse des prix ?
Elle espère aussi que la loi de programmation énergie et climat « qui doit arriver, entre juin et décembre prochain au Parlement, puisse être le moment pour revoir les volumes annuels d'obligations des CEE, pour repartir dans un fonctionnement un plus robuste du dispositif ».
Pierre-Marie Perrin chez Hellio demande également à rehausser l'obligation des CEE dès cette année 2023 et juge qu'il « faudrait déjà réinjecter 900 TWhc pour la P5 ». De même, « avec les objectifs prévus par la directive sur l'efficacité énergétique pour 2030 et l'objectif du plan de sobriété à horizon 2050, pourquoi ne pas déjà officialiser une P6 et une P7 », ajoute-t-il. « Ce qui permettrait d'un côté, de donner de la visibilité aux acteurs sur les travaux opérés, sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des consommations d'énergie. D'un autre côté, cette visibilité permettrait mécaniquement, de stabiliser le prix du marché, de mieux lutter contre les fraudes et de structurer les filières », estime M. Perrin.
Une position que partage également le délégataire de CEE Effy, qui considère qu'il « est fort possible que le dispositif des CEE, principal contributeur pour la France, soit amené à monter encore en puissance, particulièrement lors de sa 6ème période », au regard du doublement de l'effort moyen annuel à réaliser d'économies d'énergie d'ici 2030 fixé par la nouvelle directive.