Le 29 avril, une jeune pousse parisienne a voulu prendre la tête du peloton dans la course aux nouveaux petits réacteurs modulaires (PRM ou SMR). Ce jour-là, Jimmy a annoncé avoir déposé son dossier de demande d'autorisation de création (DAC) auprès du ministère de la Transition écologique. Elle est non seulement la première en la matière, mais elle est également la première à avoir noué un partenariat industriel pour ce faire, avec le groupe Cristal Union. D'un coup, l'apparition de ces réacteurs nucléaires dans le paysage industriel est devenue tangible. Pourtant, pour l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de nombreuses questions et inquiétudes demeurent sur la réalité d'un tel développement.
Des projets à la faisabilité incertaine
« De telles innovations ne doivent pas éluder les questions techniques, sociétales et systémiques qu'elles soulèvent », a prévenu Bernard Doroczszuk, le président de l'ASN, le 16 mai devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst). En premier lieu, parmi les technologies de fission envisagées, huit n'ont jamais été exploitées en France et misent sur des capacités industrielles, en particulier en ce qui concerne le cycle du combustible, inexistantes.
Plusieurs porteurs de projets misent sur des réacteurs dits de « quatrième génération » à neutrons rapides (RNR), nécessitant un approvisionnement spécifique en sodium ou en plomb. D'anciens prototypes expérimentaux (comme Rapsodie, Phénix et Superphénix avant l'abandon d'Astrid) ont permis au secteur de développer les compétences et les capacités de fabrication du combustible nécessaires. Néanmoins, une telle filière devra être ressuscitée dans l'éventualité de la mise en œuvre de ces projets.
D'autres comptent sur des réacteurs à haute température (comme Jimmy), qui requièrent l'établissement d'une nouvelle filière de production d'un type particulier de combustible (le Triso, lire plus bas) et d'uranium à un taux d'enrichissement supérieur à celui utilisé par les réacteurs actuels. Enfin, plusieurs conceptions sont en réflexion sur la base de réacteurs à sels fondus, lesquels fonctionnent à partir d'un mélange d'uranium, de plutonium et de sels de chlorure (eux-mêmes issus de l'enrichissement isotopique de chlore naturel). « Dans le cœur d'un tel réacteur, le chlore-35 se transforme par capture d'un neutron en chlore-36 qui est un isotope radioactif de très longue durée de vie et dont la solubilité et la mobilité au travers des couches géologiques en font un déchet difficile à gérer », indique notamment l'ASN dans son dernier rapport annuel.
Jimmy : précurseur ou précoce ?
En ce qui concerne le cas de Jimmy, la jeune entreprise entend implanter son futur « générateur thermique atomique » (GTA) de dix mégawatts thermiques (MWth) dans l'usine de Cristanol, une distillerie sucrière de Cristal Union, à Bazancourt (Marne), et l'un des cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre de France. À noter que Jimmy compte parmi les onze projets soutenus par l'État dans le cadre de l'appel à projets France 2030 « Réacteurs modulaires innovants » et les six bénéficiant d'une aide complémentaire du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
Le mois précédent, la start-up avait déjà engagé une autre procédure d'autorisation nécessaire à la construction de sa propre infrastructure industrielle. Un réacteur à haute température (HTR) refroidi à l'hélium, la technologie sur laquelle mise Jimmy, doit effectivement s'appuyer sur un combustible de type Triso : un « isotrope tristructurel », composé de deux couches de carbone pyrolytique et d'une de carbure de silicium autour d'une particule d'uranium. Or, aucune capacité existante en France n'en permet la fourniture. Pour cela, Jimmy compte implanter sa propre plateforme, l'Espace Coriolis près du Creusot (Saône-et-Loire), comprenant une usine de fabrication du combustible, un atelier d'assemblage (l'objet de la première demande d'autorisation) et un atelier de montage dès 2026. Elle mise sur un approvisionnement en provenance d'Asie ou d'Amérique du Nord, où Framatome (filiale d'EDF et de Mitsubishi) ambitionne la fabrication du combustible en question pour les besoins futurs de l'Agence spatiale américaine (Nasa).
Ces deux demandes d'autorisation constituent la première étape d'instruction réglementaire que conduira l'ASN. Même Nuward, et son réacteur à eau légère de 540 MWth porté par un consortium mené par EDF, n'en est pas encore à ce point. Il demeure en phase de pré-instruction, l'ASN examinant son dossier d'options de sûreté (DOS) depuis juillet 2023, et ne compte déposer son DAC qu'en 2026. Comme l'expliquait en février Philippe Dupuy, responsable de la mission réacteurs innovants à l'ASN, la majorité des projets demeurent en « revue préparatoire » ou n'en sont même pas à un niveau suffisant de maturité. Alors comment se fait-il que Jimmy ait un train d'avance ?
Les choses sérieuses n'ont pas encore commencé
Des dires de Bernard Doroczszuk, « Jimmy n'a pas brûlé les étapes ». La jeune pousse nucléaire a simplement choisi de sauter la partie facultative. Avec les PRM, les services de l'ASN procèdent en quatre étapes : une phase préparatoire, comptant d'abord le « suivi prospectif » de la conception des projets, puis, pour les plus matures de ces derniers, la revue préparatoire constituée d'échanges techniques approfondis avec les porteurs de projet, et une phase réglementaire, portant sur la pré-instruction des projets (par l'examen, pour avis, de leur éventuel DOS) et une instruction à proprement parler (celle du DAC). « Il s'agit d'un menu conseillé, mais il est à la carte, a illustré le président de l'ASN. Les porteurs de projets n'ont aucune obligation légale de le suivre, hormis pour ce qui est de l'autorisation de création elle-même. »
S'agissant de Jimmy, la start-up a participé aux premiers échanges préparatoires avec l'ASN, mais a préféré ne pas lui soumettre de DOS. « Nous allons regarder la recevabilité des demandes déposées et si toutes les conditions sont remplies pour poursuivre », s'est contenté de préciser Bernard Doroczszuk. Cela étant, l'ASN n'oubliera pas sa mission première : la sûreté. Aussi, elle évaluera, en priorité, les « stratégies de réduction drastique des conséquences d'un accident sur le périmètre immédiat autour du réacteur, pour rendre acceptable l'implantation de ces réacteurs en dehors de sites dédiés ».