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Recycler le béton dans le béton (1/4) : de la possibilité technique à la réalisation effective

Peut-on valoriser des bétons de démolition dans de nouveaux bétons ? Oui ! Techniquement, c'est possible. Questions en suspens : avec quelles limites ? Et quelle viabilité constructive et économique ? Tentative de réponse.

TECHNIQUE  |  Bâtiment  |    |  C. Lairy
Recycler le béton dans le béton (1/4) : de la possibilité technique à la réalisation effective
Environnement & Technique N°399
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°399
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Cinq ans après la fin du projet national Recybéton, où en est-on du recyclage du béton dans le béton ? Fin 2018, les participants au projet (1) livraient le fruit d'un travail mené pendant six ans, montrant comment et à quelles conditions il était possible d'utiliser les granulats obtenus par concassage de bétons de déconstruction et de rebuts de production pour fabriquer du béton avec des performances techniques, économiques et environnementales satisfaisantes. Et apporter ainsi des solutions de valorisation ayant une valeur ajoutée supérieure à celle des solutions plus traditionnelles, à savoir l'utilisation de ces déchets concassés comme remblais (comblement des carrières, aménagement des parcs) ou comme sous-couches routières.

“ Ce qui avait été estimé à l'époque de Recybéton par le SNBPE, c'est qu'en introduisant 5 % de recyclé dans l'ensemble des bétons neufs, on consommerait tout le gisement ” Sophie Decreuse, groupe Colas
Limites d'incorporation

À la suite de ce projet ouvrant la voie à la production et à la commercialisation de produits issus de l'économie circulaire, plusieurs normes ont été révisées : celles sur les granulats, mais également sur le béton (complément national NF EN 206+A2/CN) et les Eurocodes. « Tout cela constitue un corpus normatif assez homogène dont nous disposons seulement depuis l'année dernière », indique Sophie Decreuse, directrice technique matériaux chez Colas. Ce corpus définit des taux d'introduction de granulats recyclés autorisés, qui varient en fonction des classes d'exposition du béton : carbonatation, chlorures, agents chimiques, gel/dégel… Sophie Decreuse explique ces limites normatives par le fait que « les granulats recyclés sont plus absorbants que les granulats naturels, car constitués d'anciens granulats naturels qui étaient dans le béton, mais aussi de toute la pâte cimentaire autour, plus poreuse ». Impossible, selon elle, à enlever avec un bilan carbone correct, cette gangue cimentaire confère aux granulats recyclés « des performances un peu moins bonnes que celles des granulats naturels, quoique les caractéristiques de certains calcaires ne sont guère meilleures que celles du granulat recyclé ».

L'écueil de la porosité

Point confirmé par Adrien Lamonier, chargé de l'activité « Chantier circulaire » au sein du bureau d'études Neo-Eco (59) : « Si les granulats recyclés absorbent trop d'eau, alors les bétons manqueront de stabilité. Si bien qu'il faut parfois ajouter des éléments qui ne rentrent habituellement pas dans la composition du béton. Des fibres de polypropylène par exemple pour stabiliser les bétons dont les granulats absorbent trop d'eau. L'ajout d'un élément permet d'obtenir une bonne recette. Mais ce n'est pas ce qui est recherché lorsque l'on fait de la valorisation de béton à béton. »

Plus absorbants encore que les granulats, les sables recyclés ont dans la norme des taux d'introduction plus faibles. « Par conséquent, indique Sophie Decreuse, s'il vend uniquement pour le béton, le producteur de granulats se retrouvera avec des excédents de sable recyclé. D'autres travaux issus de Recybéton ont montré que l'on pouvait récupérer cette fraction fine : elle n'a pas vraiment de pouvoir pouzzolanique (2) , mais elle constitue une bonne addition dans le ciment. D'ailleurs, le marché français a accueilli les premiers ciments conformes à une nouvelle norme publiée en 2023 (NF EN 197-6), autorisant l'incorporation de certains pourcentages de recyclé. »

Le frein des disponibilités

Des écomodulations à partir du 1er mai

À la date anniversaire de la REP PMCB, le 1er mai 2024, Ecominéro modulera le montant des écoparticipations « pour tenir compte des critères de performances environnementales », indique Matthieu Hiblot, directeur délégué de l'éco-organisme. Un seul critère a été retenu : l'incorporation de matière recyclée – « cela constituera une certaine incitation financière auprès des industriels producteurs ». Les bonus varieront en fonction des différentes classes de taux de substitution de recyclés dans le béton – dans ses dernières évolutions, la norme EN 206 en définit huit, de R0 à R7, R0 étant la plus basse. Celle-ci bénéficiera d'un abattement de 5 %, qui montera à 25 % pour la R1, 50 % pour la R2, etc.

Autre frein identifié à la massification du recyclage du béton dans le béton ? Le gisement : sa disponibilité en volume et en qualité. En cours de recalcul, le gisement potentiel à l'échelle de la France avait été estimé à 29 millions de tonnes au moment de Recybéton. Le chiffre avait été calculé à partir d'une étude de préfiguration de l'Ademe, rappelle Sophie Decreuse, « des statistiques de l'État ne correspondant pas à ce qui est recherché, à savoir de gros volumes de production », sans contaminants de type plâtre adhérant à la structure en béton.

Directeur délégué d'Ecominéro, Mathieu Hiblot confirme que le gisement est « bien en deçà des 29 Mt de l'étude de préfiguration de l'Ademe ». « Nous avons confié aux cellules économiques régionales de la construction (Cerc) la mission de retravailler à une estimation – des chiffres dont nous attendons la livraison très prochainement », indiquait-il début mars. Ces chiffres devraient traduire la dynamique baissière dans l'activité du bâtiment, dont le secteur est très dépendant. « Le gisement est limité à la dynamique de rénovation urbaine, rappelle Mathieu Hiblot. Si l'on ne déconstruit pas, on n'a pas de bétons de démolition. »

Du côté de la qualité, la réintégration de bétons de démolition dans la production de nouveaux bétons nécessite de travailler sur un gisement qui soit le plus propre et le plus homogène possible. « Moins le gisement sera trié, plus le recyclage sera compliqué », estime ainsi Sophie Decreuse. Face à la variabilité du gisement, celle-ci note que, « en deçà de 15 % de taux de réincorporation, on n'a pas trop de soucis ». En revanche, au-delà de 10 à 15 %, il faut changer un certain nombre de dispositions constructives, réaliser des études dans le cadre des Eurocodes feu et, surtout, augmenter les dosages en ciment, avec probablement plus d'adjuvants pour compenser une absorption plus forte. « Ce qui avait été estimé à l'époque de Recybéton par le Syndicat national du béton prêt à l'emploi (SNBPE), c'est qu'en introduisant 5 % de recyclé dans l'ensemble des bétons neufs, on consommerait tout le gisement. Et donc que ce n'est pas la peine de courir vers les ennuis avec des taux de 60 %. »

Raisonner à l'échelle de territoires

Et puis, il y a aussi une logique de marché, voire plusieurs : pour Mathieu Hiblot, « on parle de matériaux pondéreux que l'on ne peut pas transporter sur de longues distances. Il y a des besoins pour les différents usages – en béton, en technique routière... C'est le marché qui va orienter ces flux. Et l'on est aussi sur une logique assez locale : si on a localement une demande en technique routière, le gisement ira majoritairement satisfaire cette demande. Ou à l'inverse celle de l'industrie du béton », avec à la clé une possible mise en concurrence entre les différents acteurs pour un gisement « qui restera dans tous les cas limité ».

La question du gisement et de sa disponibilité a été l'un des gros enjeux du projet Recygénie, finalisé début 2023 par Lafarge et le bailleur Seqens (Action Logement), à Gennevilliers (92). Selon Flore Bellancourt, responsable du marché bâtiment chez Lafarge, ce projet qui a consisté à construire « le premier immeuble au monde en béton entièrement recyclé » a permis d'écrire « une page historique » : tous les composants du béton utilisé ont en effet été issus du recyclage (clinker, granulats, sable, eau), à l'exception des adjuvants (2 % en masse). Pour Flore Bellancourt, ce chantier vitrine n'a toutefois pas vocation à être reproduit : « C'était extrêmement coûteux pour nous, c'était un vrai challenge, avec de grosses difficultés techniques, des arrêts d'usine, des opérations de stockage (…). La plus grosse difficulté a été de collecter les matériaux, les bons composés physico-chimiques, d'assurer la régularité du flux entrant. »

Dans ces conditions, l'avenir du recyclage du béton dans le béton appartient-il à ceux qui sauront s'affranchir de l'hétérogénéité des gisements ? Certains acteurs en sont persuadés !

1. Une cinquantaine de participants, mêlant maîtres d'ouvrage, entreprises de construction, producteurs de matériaux, ingénieries, assureurs, organismes de recherche, etc.2. Capacité d'un matériau à former des hydrates liants en présence d'eau et de calcium réactif

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