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Le transporteur : un acteur en principe "transparent" dans la chaîne des responsables du déchet

Le 2 juin 2023, le Conseil d'État a affirmé que la personne assurant la collecte et le transport de déchet et qui ne commet aucune négligence dans l'exercice de son activité ne peut voir sa responsabilité recherchée au titre de la police des déchets.

DROIT  |  Commentaire  |  Déchets  |  
Droit de l'Environnement N°324
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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Le transporteur : un acteur en principe "transparent" dans la chaîne des responsables du déchet
David Deharbe et Yann Borrel
Avocats, Green Law avocats
   

L'Administration s'est toujours livrée, en cas de défaillance des exploitants de centre de stockages ou de traitement de déchets, à une véritable quête d'un débiteur de l'obligation administrative du retrait des déchets abandonnés.

Dans le cadre des installations classées (ICPE), cette quête a posé les termes du débat dans le cadre de la remise en état du site à la cessation d'activité et, dès le début des années 90, en lieu et place de l'exploitant défaillant, les préfets ont tenté de mettre en cause les propriétaires des terrains en qualité de « détenteurs ».

Le Conseil d'État a finalement mis un terme à cette dérive (1) , en rappelant que le dernier exploitant en titre d'une installation classée est le débiteur de l'obligation de remise en état et qu'en cas de défaillance de ce dernier, le « détenteur » de son terrain d'assiette ne peut pas, en principe, être inquiété en cette seule qualité.

La Haute Juridiction juge (2) avec constance que la charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d'un site ne peut pas être légalement imposée au détenteur d'un bien qui n'a pas la qualité d'exploitant, d'ayant droit de l'exploitant ou qui ne s'est pas substitué à lui en qualité d'exploitant, mettant ainsi fin à la jurisprudence dite Zoegger de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 10 juin 1997 (3) .

Le débat a rebondi sur le terrain de la police des déchets pour poser la question de son articulation avec la police des ICPE.

Le Conseil d'État a accepté  (4) la mise en cause du propriétaire du terrain d'assiette d'une ICPE sur la base de la police des déchets, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il en est devenu propriétaire, d'une part, l'existence de ces déchets, d'autre part, le fait que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations.

Surtout, l'état du droit a été refondu par le législateur avec l'adoption des dispositions de l'article 173 de la loi du 24 mars 2014, dite Alur. L'article L. 556-3 que ces dispositions ont créé dans le code de l'environnement autorise les préfets à mettre en cause le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués par une ICPE « à titre subsidiaire », c'est-à-dire en l'absence de dernier exploitant de l'installation à l'origine de la pollution des sols, sous réserve qu'il soit démontré que le propriétaire « a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution ».

Au surplus, le droit des déchets obéit à une logique et une dynamique qui lui sont propres et qui sont spécifiques (5) par rapport à celles de la police des ICPE, tout particulièrement en ce qu'il instaure une chaîne de responsabilités : aux termes des alinéas 2 et 3 l'article L. 541-2 du code de l'environnement qui transposent l'article 15 de la directive-cadre sur les déchets du 19 novembre 2008 : « Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ».

Et pour le Conseil d'État, le propriétaire ou le détenteur des déchets conserve la responsabilité de leur élimination (6) , sans pouvoir opposer à l'Administration un contrat en vue de faire assurer par un prestataire leur traitement (7) . Néanmoins, les obligations de prise en charge matérielle des opérations d'élimination des déchets ne peuvent être imposées (8) qu'aux producteurs et aux détenteurs actuels des déchets, et leur prise en charge financière s'avère susceptible d'être imposée aux anciens détenteurs à moins qu'ils n'aient pas contribué au risque de survenance de la pollution en cause.

L'Administration, qui en la matière drape son arbitraire dans le principe « pollueur-payeur », a une imagination pour ainsi dire sans limite s'agissant de trouver un débiteur supportant le coût des mesures de retrait des déchets abandonnés.

À tel point que le Conseil d'État a été contraint de trancher cette question pour le moins déroutante en droit des déchets et ainsi formulée par Nicolas Agnoux, rapporteur public dans cette affaire : « En cas de défaillance du détenteur final des déchets avant leur élimination ou leur valorisation finale, la personne en ayant assuré la collecte et le transport peut-elle voir sa responsabilité engagée en qualité de " détenteur antérieur " » ?

Le régime juridique de la chaîne de responsabilité est-il opposable à la catégorie des transporteurs et collecteurs de déchets ? Sont-ils assimilables à leurs détenteurs au sens du droit des déchets ?

Les faits de l'espèce qui ont conduit à un pourvoi du ministère de l'Écologie démontrent combien l'élargissement de la liste des responsabilités est un enjeu pour les deniers publics.

Dans la commune de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), une entreprise de tri et de transit de résidus de chantiers de démolition avait tout simplement abandonné au milieu des années 2000 plus de 200 000 tonnes de déchets. Après la défaillance de l'exploitant, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a exposé 20 millions d'euros de dépenses pour assurer la mise en sécurité du site et sa remise en état, alors que le préfet mettait parallèlement en cause la responsabilité des producteurs et détenteurs de déchets à l'origine du dépôt.

La société Métalarc, collecteur et transporteur de déchets, a été mise en cause par l'autorité de police et, pour éviter une sanction administrative, a trouvé un accord amiable avec l'Ademe pour contribuer aux frais de remise en état à proportion des déchets qu'elle avait apportés, pour un montant de 1 235 000 euros.

La société Paprec, venant aux droits de la société Métalarc, a en vain cherché à obtenir le remboursement de cette somme auprès du préfet et de l'Ademe, avant que le tribunal administratif de Melun (9) ne condamne l'Ademe à rembourser la somme versée, au motif de l'illégalité de l'accord passé avec l'agence. Et finalement, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement (10) pour considérer que l'État devait verser la somme sollicitée par la société Paprec.

En cassation, le Conseil d'État a catégoriquement interdit la mise en cause du collecteur transporteur de déchets, en cette seule qualité : « En se fondant sur la circonstance que l'activité de la société Métalarc avait uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'Administration conformément aux dispositions particulières du code de l'environnement régissant cette activité citées au point précédent, pour juger que cette société, dont elle a, par ailleurs, estimé, par une appréciation souveraine, qu'elle n'avait commis aucune négligence, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, et en déduire que le préfet du Val-de-Marne ne pouvait mettre une somme à sa charge sur le fondement de l'article L. 541-3 du même code, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ».

Ainsi, selon l'expression bien sentie du rapporteur public, le transporteur collecteur des déchets est « transparent » dans la chaîne des responsables.

Cette clarification apportée par le Conseil d'État est bienvenue tant la tendance était grande, pour l'Administration, de rechercher un débiteur responsable, y compris parmi les personnes qui s'étaient bornées à transporter les déchets. Attendons de voir comment cette jurisprudence sera accueillie, y compris au sein de l'ordre judiciaire où certaines juridictions du fond avaient validé (11) la possibilité d'une mise en cause des collecteurs – transporteurs de déchets pris es-qualité d'anciens détenteurs de déchets.

Il est vrai que la détention rencontre ici une limite indépassable : le transporteur collecteur n'abandonne pas le déchet mais le remet - malgré lui, car c'est là une obligation - à celui qui est désigné comme seul pouvant le stocker ou le traiter légalement.

En fait, ce n'est que si le collecteur sort de son rôle qu'il mérite d'être mis en cause au titre de la police des déchets. Or, l'arrêt commenté n'exclut nullement cette hypothèse où à l'instar d'un propriétaire, le collecteur pourrait avoir pour ainsi dire les « mains sales ».

1. CE, 21 févr. 1997, n° 160250, SCI Les Peupliers : Lebon T. ; Dr. env. avr. 1997, p. 5, note Carlier E. ; CE, 23 mars 2011, n° 325618, SA Progalva ; Environnement et dév. durable 2012, chron. 1, Boutonnet M. et Herrnberger O. ; CE, 16 juin 2008, n° 304522, Bruna2. CE, ass., 8 juill. 2005, n° 247976, Sté Alusuisse-Lonza-France cité in Prescrire la dépollution ? : JurisData n° 2005-068616 ; Environnement 2005, comm. 67 ; Dr. env. oct. 2005, n° 132, concl. Guyomar M., note Gros M. et Deharbe D. 3. CAA Lyon, 10 juin 1997, n° 95LY01435, Zoegger4. CE, 25 sept. 2013, n° 358923, Sté Wattelez : Lebon T. ; JCP N 2013, 1254, note Boutonnet M., cité n° 4°. - confirmant CAA Bordeaux, 1er mars 2012, n° 11BX01933 ; CE, 24 oct. 2014, n° 361231, Sté Unibail-Rodamco : Lebon T.; JCP N 2016, n° 11, 1096 ; JCP G 2014, 1320, note Parance B. ; Énergie – Env. – Infrastr. 2016, chron. 1, Hautereau-Boutonnet M. et Herrnberger O., cité n° 45. Comme le rapporteur public Stéphane Hoynck l'a souligné dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'État du 24 novembre 2021 (CE, 24 nov. 2021, n°437105 : Lebon T.)6. CE, 26 juin 2023, n° 457040 : Lebon T.7. CE, 13 juill. 2006, n° 281231 Société minière et industrielle de Rougé (SMIR) : Lebon T. ; CE, 7 mars 2022, n° 438611, Sté Est Environnement et a.8. CE, 10 avr. 2009, n° 304803 : Lebon9. TA Melun, 8 juin 2018, n° 1508809 et 160020210. CAA Paris, 23 déc. 2020, n° 18PA0293711. CA Paris, 18 nov. 2020, n° 19/18854

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