Il faut sauver le protocole de Kyoto et ses mécanismes de flexibilité. Pour de nombreux négociateurs, notamment européen, cet objectif semble primordial. Quitte à ce qu'il soit vidé de sa substance.
Du 26 novembre au 7 décembre à Doha (Qatar), les délégués et ministres des Etats signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) auront la lourde et difficile tâche de faire aboutir les négociations en vue de prolonger le protocole de Kyoto. Après l'échec de la conférence de Copenhague (Danemark) en 2009, le temps presse puisque la première période du protocole s'achèvera le 31 décembre 2012.
L'Europe veut sauver le protocole…
L'objectif, qui sera au cœur de la rencontre de Doha, est l'adoption d'un ou plusieurs amendements au protocole afin de faire la transition entre la fin de la première période d'engagement et 2020, c'est-à-dire la date escomptée pour l'entrée en vigueur du futur traité international. Cette deuxième période, pour être utile, doit prolonger la première sans discontinuité et assurer la continuité des outils opérationnels et juridiques du protocole, tels que les mécanismes de flexibilité.
Dans cette optique, sept pays ont soumis en mai des propositions d'objectifs quantifiés de réduction et de limitation des émissions de GES (les QELROs, selon l'acronyme anglais) : Australie, Croatie, Kazakhstan, Norvège, Nouvelle-Zélande, Union européenne (UE) et Suisse.
L'UE propose de poursuivre l'effort en réduisant de 20%, voire 30%, ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2020 par rapport à 1990. La Suisse s'aligne sur une réduction de 20% de ses émissions sur la même période et la Norvège propose pour sa part une réduction de 30%, voire 40% "dans le cadre d'un accord global et contraignant". Tous trois plaident pour une période unique s'étalant de 2013 à 2020 et assortie d'une éventuelle révision des engagements à mi-parcours pour tenir compte des conclusions du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).
Pour l'Europe, il s'agit de préserver les négociations climatiques onusiennes après l'échec de Copenhague qui devait substituer au protocole l'accord global contraignant aujourd'hui repoussé à 2020. Il s'agit aussi de préserver les mécanismes de flexibilité du protocole et notamment le mécanisme pour un développement propre (MDP) que les entreprises européennes utilisent dans le cadre du système européen d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SCEQE). A ce sujet, l'Alliance des petits Etats insulaires (Aosis), qui souhaite que le plus grand nombre d'Etats s'engagent dans une deuxième période, appelle à ce que les mécanismes de flexibilités ne soient réservés qu'aux Etats signataire de la deuxième période.
…mais s'avance esseulée
A l'opposé, le Canada a entrepris de quitter le protocole en décembre 2011 et ne devrait plus y être soumis mi-décembre 2012, conformément à l'article 27 du protocole qui stipule que la dénonciation du texte par un Etat "prend effet à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la date à laquelle le [Secrétaire général de l'Organisation des Nations unies] en reçoit notification". Le Japon et la Russie ne devraient pas prolonger leur engagement et n'ont pas proposé de QELROs, la Russie ayant même à plusieurs reprises mis en cause l'intérêt du protocole. Le 18 octobre, Dmitri Medvedev, Premier ministre russe, jugeait que la Russie n'avait pas intérêt à rester dans le protocole. "[Moscou n'a] pas tiré de bénéfice particulier du protocole", a-t-il estimé s'interrogeant sur l'intérêt pour la Russie de "continuer à traîner tout ça en dépit du bon sens".
Si cet enthousiasme plus que modéré pour une deuxième période d'engagement constitue le principal blocage, d'autres viennent s'y greffer, notamment concernant le délai extrêmement court entre l'adoption d'une éventuelle deuxième période et son entrée en vigueur.
Application provisoire
La forme juridique que pourrait prendre une deuxième période d'engagement est essentielle pour assurer la continuité avec la première période. Il s'agît de trouver une formule juridique qui puisse entrer en vigueur dès sa signature afin d'éviter à tout prix qu'il y ait un vide entre deux périodes d'engagement disjointes. Une question est au cœur de cet enjeu : Comment contourner des procédures de ratification nationales, longues et incertaines, pour permettre l'entrée en vigueur d'un texte trois semaines après sa signature ?
L'option privilégiée est l'adoption d'"un amendement ratifiable", à l'image de ce que propose l'UE dans sa position officielle pour les négociations de Doha adoptée le 25 octobre par le Conseil environnement. Cependant, la procédure de ratification étant trop longue, certains négociateurs, notamment ceux de l'Aosis, proposent une application provisoire des amendements prolongeant le protocole en attendant leur ratification.
Une telle option ne serait pas une première comme le rappellent les pays membres de l'Aosis. "Le GATT, qui a précédé l'Organisation mondiale du commerce (OMC), est connu pour avoir été appliqué à titre provisoire de 1948 à 1995", rappelait l'Institut international du développement durable à l'issue des négociations tenues à Bangkok (Thaïlande), précisant cependant qu'"en raison de contraintes législatives nationales dans certains pays, cette option ne serait pas ouverte à toutes les parties". L'Australie, est, semble-t-il, dans cette situation puisque sa constitution limite aux situations d'urgence et d'intérêt public l'application provisoire des traités non-ratifiés.
Philippe Collet
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