Porte-parole de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés en France
Actu-Environnement : Quelle est la situation actuelle des personnes déplacées dans le monde, en particulier celles qui subissent les événements météos liés aux changements climatiques qui sévissent notamment au Pakistan ?
Céline Schmitt : À la fin de l'année 2021, plus de 89 millions de personnes ont été déplacées dans le monde à cause de violences, de guerres, de persécutions et d'abus des droits humains, selon le dernier rapport annuel sur les tendances mondiales des déplacements forcés (1) publié par le HCR, en juin 2022. De plus, en 2021, d'après le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), 23 millions de déplacements de personnes à l'intérieur de leur pays par des événements climatiques ont été comptabilisés. Un grand nombre des personnes déplacées de force vivent donc dans des zones géographiques qui sont les plus à risques de catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. L'Afghanistan, le Pakistan, la Corne de l'Afrique, le Sahel, la Somalie ou encore le Yémen sont concernés. La Corne de l'Afrique subit, par exemple, une sécheresse sans précédent depuis quarante ans, avec des millions de personnes qui se trouvent en situation d'insécurité alimentaire. Au Sahel, les températures augmentent une fois et demie plus vite qu'ailleurs dans le monde.
En tant qu'agence des Nations unies dont le mandat couvre la protection et la recherche de solutions pour les personnes déplacées de force, le HCR est présent dans plus de 130 pays pour apporter de l'aide humanitaire et rechercher des solutions pour l'avenir des personnes déplacées. Au Pakistan (2) , qui subit de graves inondations depuis juin dernier, nous sommes notamment en train de déployer des ponts aériens pour aider les millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, mais aussi les réfugiés afghans qui ont été accueillis dans les zones touchées par les inondations et qui sont forcés à nouveau de se déplacer.
AE : Cette année 2022 est marquée par de multiples aléas climatiques qui ont déjà frappé les quatre coins du monde. Comment gérer des flux migratoires en hausse ?
Les conflits et les changements climatiques forment une combinaison de risques qui poussent les gens à quitter leurs foyers, mais aussi augmentent la vulnérabilité des personnes. Pour éviter, minimiser et traiter les déplacements liés à des catastrophes naturelles ou à des effets du changement climatique, la communauté internationale doit donc agir pour limiter les facteurs à l'origine des changements climatiques, c'est-à-dire atténuer les émissions de gaz à effet de serre, mettre en place des mécanismes en faveur de l'adaptation des pays, soutenir les personnes les plus vulnérables et augmenter l'aide humanitaire. Il est urgent de répondre à ces enjeux.
AE : Aujourd'hui, contrairement aux réfugiés politiques par exemple, les déplacés climatiques n'ont pas de statut officiel. Que dit le droit international pour protéger ces personnes ?
CS : Lorsque les effets du changement climatique et des catastrophes naturelles interagissent avec des situations de violence, de conflit ou de persécution qui entraînent des déplacements, les personnes concernées pourraient se voir accorder le statut de réfugié, en vertu de la Convention de Genève de 1951. La notion de réfugié climatique n'existe pas en soi, mais cela ne signifie pas que cette Convention ne pourrait pas s'appliquer dans certaines situations.
En outre, au niveau régional, la Convention de l'OUA de 1969 sur les réfugiés en Afrique et la Déclaration de Carthagène de 1984 sur les réfugiés sud-américains comprennent des critères plus larges, qui reconnaissent comme réfugiés ceux qui, en raison « d'événements troublant gravement l'ordre public », sont contraints de quitter leur pays. Ces mécanismes de protection existants peuvent apporter un certain degré de sécurité et de protection aux personnes qui ont fui les menaces dues à des risques environnementaux. Il peut également exister des motifs de protection internationale en vertu du droit international général relatif aux droits de l'Homme, notamment des obligations de non-refoulement, y compris le droit à la vie.
AE : Ces textes juridiques sont-ils suffisamment mis à profit ?
CS : Le HCR a publié des considérations juridiques (3) qui tiennent compte de ces textes existants afin de donner des orientations aux gouvernements, aux juristes praticiens, aux responsables administratifs et judiciaires et au personnel du HCR dans l'application du droit international des réfugiés et du droit relatif aux droits de l'Homme, aux demandes de protection internationale faites dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes. Elles sont pertinentes pour les approches individuelles et collectives de détermination du statut de réfugié.