"Les pesticides constituent le scandale sanitaire majeur du siècle, pire que l'amiante pour laquelle la France avait pourtant 30 ans de retard", s'indigne Eva Joly. L'eurodéputée, devenue avocate, défend avec François Lafforgue l'association Générations futures. Cette ONG, de même que l'association Eau et Rivières de Bretagne, a déposé le 3 novembre un recours devant le Conseil d'Etat contre l'arrêté du 4 mai 2017 qui réglemente la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques en France.
"On invente des notions juridiques"
Pour quelle raison les ONG invoquent-elles ce principe ? Parce que non seulement l'arrêté attaqué n'est pas plus ambitieux que celui de 2006 dont l'Association nationale pommes poires a obtenu l'abrogation en juillet 2016 devant le Conseil d'Etat. Mais, en outre, qu'il est en régression sur deux points, explique Nadine Lauverjat, coordinatrice de Générations futures. Ces deux points concernent les délais de rentrée des personnes sur les cultures après traitement, d'une part, et la protection des cours d'eau, d'autre part.
Concernant les délais de rentrée, l'arrêté prévoit une possibilité de dérogation qui permet de réduire les délais de 24 et 48 heures prévus pour les produits les plus dangereux à 6 heures en cas de "besoin motivé, non anticipé et non prévisible ou impérieusement nécessaire". "On invente des notions juridiques pour justifier ces dérogations", s'insurge François Lafforgue.
Les fossés et les plans d'eau oubliés
Sur le deuxième point, la définition des points d'eau autour desquels l'épandage des pesticides est interdit a évolué dans le mauvais sens entre les deux arrêtés de 2006 et de 2017, pointent les associations. "Les fossés et les plans d'eau ont été oubliés dans la nouvelle définition", dénonce Gilles Huet, délégué général d'Eau et Rivières de Bretagne, alors qu'il s'agit de zones de transfert privilégiées des pesticides vers la ressource en eau, qu'elle soit superficielle ou souterraine.
D'autre part, l'arrêté fait référence à la définition légale des cours d'eau mais renvoie curieusement à des arrêtés préfectoraux le soin de définir les points d'eau à prendre en compte, pointe le représentant de l'ONG. Résultats ? Sur les quelque 45 arrêtés que nous avons récupérés, la plupart sont en régression par rapport à la définition du législateur, dénonce Gilles Huet.
Ainsi, illustre-t-il, le nouvel arrêté du préfet de Loire-Atlantique ne prend plus en compte l'ensemble des points d'eau et réduit de 1 mètre à 30 centimètres la distance de non-épandage vis-à-vis de ceux qui le sont. "C'est le comble de l'absurdité", s'indigne le délégué général d'Eau et Rivières de Bretagne, pointant l'impossibilité technique de respecter une distance si minime.
Autre exemple, dans l'Indre cette fois. Selon Jacques Lucbert, président d'Indre Nature, qui s'exprimait sur France Bleu Berry, plus de 10.000 points d'eau seraient menacés par les pesticides dans ce seul département suite à l'arrêté du préfet qui prévoit que les points d'eau de moins de 1 hectare non reliés aux cours d'eau ne sont plus soumis à la réglementation.
Des recours dans plusieurs dizaines de départements
"Nous réalisons actuellement un bilan exhaustif des arrêtés préfectoraux avec France Nature Environnement", indique Gilles Huet. Nous formons des recours gracieux contre les arrêtés problématiques qui, en l'absence de réponse, seront suivis de recours contentieux, explique-t-il. Ces recours pourraient concerner plusieurs dizaines de départements, révèle le responsable associatif.
Qu'il s'agisse de l'arrêté ministériel ou des arrêtés préfectoraux, la balle est maintenant dans le camp de la justice administrative qui va devoir trancher après avoir recueilli les moyens du Gouvernement et des préfets en défense. Dans les deux cas, l'Etat est sur la sellette.
"L'intérêt général est porté par les victimes et les ONG, constate Eva Joly, alors que l'Etat est censé le porter".