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Aspects économiques et financiers des violations du droit de l'environnement

La lutte contre les violations du droit de l'environnement intègre le raisonnement économique des éco-délinquants. Dans ce contentieux technique, cette approche permet aux pouvoirs publics d'être proactifs face à cette forme de délinquance lucrative.

DROIT  |  Étude  |  Gouvernance  |  
   
Aspects économiques et financiers des violations du droit de l'environnement
Sarah Rouy et Émilie Ehrengarth
Respectivement magistrate et docteure en droit, enseignant-chercheur associée, chargée d'enseignement et chargée de mission à l'université de Strasbourg
   

En décidant de consacrer plus du tiers de son budget d'ici 2030 à l'environnement, de remplacer la directive portant protection de l'environnement par le droit pénal et en désignant les audits de performance sur le changement climatique, sur l'environnement et sur les ressources naturelles comme une des priorités de contrôle de la Cour des comptes dans le cadre de sa stratégie 2021-2025 (1) , l'Union européenne souligne les enjeux économiques et financiers liés à l'environnement, s'inscrivant alors dans les analyses et préconisations internationales (2) .

Le renforcement et l'extension des politiques publiques visant à la préservation et à la protection de l'environnement s'accompagnent, dans les pays membres de l'Union, de normes nouvelles assorties d'efforts budgétaires conséquents.

Cette dynamique a pour effet de souligner les enjeux économiques et financiers de l'effectivité du droit de l'environnement pour l'ensemble de la société. En effet, le contentieux de l'environnement, réputé comme technique et spécialisé, s'affirme désormais comme l'objet d'une préoccupation majeure pour la collectivité. L'allocation de financements publics croissants en faveur de l'environnement se veut optimale, l'environnement étant ainsi perçu comme une ressource, notamment pour les générations futures, dans une optique patrimoniale (3) . Le recours aux sciences économiques et son  application au droit  de  l'environnement ouvre de nouvelles perspectives  pour les services d'enquête et pour l'autorité judiciaire, à la faveur des regards croisés entre plusieurs disciplines (4) . En effet, cette approche permet une compréhension plus précise et globale de la délinquance environnementale et des formes multiples et spécifiques qu'elle revêt. Elle s'articule autour d'une notion commune, aux défenseurs de l'environnement et à nombre de ceux lui portant atteinte, celle de ressource. L'environnement comme ressource est alors perçu comme un bien, ou à protéger, ou à exploiter, selon l'angle de perception adopté. Cette perception de l'environnement comme étant une ressource naturelle que le droit de l'environnement doit protéger est ancienne (5) et prend une nouvelle acuité en raison de l'affirmation de politiques publiques en faveur de l'environnement. Elle contribue à mieux répondre aux violations du droit de l'environnement car elle tient compte du raisonnement économique et financier de certains délinquants environnementaux en se plaçant sur le même plan, mais à front renversés. Cette approche dispose de moyens, fondés sur les investigations économiques et financières menées dans une optique adaptée aux nouveaux enjeux. Alliée à une conception plus tournée vers la nature où le droit protégeant alors l'environnement per se, l'approche fondée sur la ressource peut contribuer, dès lors, à une plus grande effectivité du droit.

I. Le droit de l'environnement, élément de puissance

L'environnement, perçu comme une ressource, est un facteur contribuant à la puissance, en particulier dans son volet économique (6) .

L'inefficacité des politiques publiques en faveur de l'environnement conduirait à un appauvrissement, aboutissant à un déclin de la compétitivité de l'Union européenne dans son ensemble, mais également de ses États membres, pris individuellement, alors que la concurrence économique à l'échelle mondiale s'intensifie (7) . Trois facteurs principaux se cumulent pour majorer ce risque de perte de puissance. Tout d'abord, un droit de l'environnement peu appliqué a pour corollaire une mauvaise allocation des ressources naturelles, souvent au profit des délinquants, au détriment de l'intérêt général actuel et futur, et contribue à un épuisement accéléré et parfois irréversible de celles-ci. En outre, la commission d'infractions environnementales et leurs conséquences dommageables nécessite une réparation ou une remise en état, quand elle est possible, de l'environnement, souvent financée par leur auteur mais parfois, pour tout ou partie, par la collectivité. Enfin, nombre d'infractions environnementales ont des effets sur la santé, causant des dépenses publiques supplémentaires pouvant ainsi majorer les aspects négatifs d'un effet d'éviction. La conjonction de ces phénomènes est une des causes, pour les générations futures, de la limitation de leur capacité de choix (8) .

Les effets macro-économiques et budgétaires des normes environnementales et de leur degré d'application contribuent ainsi à une vision extensive et prospective au lawfare comme instrument de puissance.

Il en découle directement le renforcement de la nécessité d'une lutte efficiente contre l'éco-délinquance. Cela passe par une application adaptée du droit de l'environnement et, pour ce faire, par une approche holistique de ses enjeux (9) . Parmi ceux-ci coexistent des aspects économiques et financiers à la fois nombreux et différents, parfois antagonistes, en fonction des acteurs et du type d'infractions environnementales.

Le terme générique d'infractions environnementales recouvre un champ à la fois matériel, légal et moral varié, avec une extension croissante. De manière logique, cette variété se retrouve également dans leurs causes, dans les modes opératoires, dans les formes et les degrés des atteintes qu'elles créent à l'environnement, pris dans son acception la plus développée.

Le recours aux critères économiques et financiers permet une meilleure prise en compte de la rationalité des éco-délinquants et favorise donc des résultats tangibles dans la lutte contre cette forme de délinquance, puisque répondant à un principe de stratégie selon lequel il faut connaître le raisonnement de son adversaire pour le combattre efficacement.

II. Le périmètre de l'étude :  l'application de l'approche par le marché et de la théorie économique de l'offre et de la demande

Cette analyse porte sur un type d'atteinte illicite à l'environnement, caractérisé par l'existence d'une cession onéreuse de la ressource naturelle.

Seront ainsi exclues dans le cadre du présent article les formes de délinquance environnementale où l'environnement n'est pas perçu ni utilisé au sens strict comme un bien susceptible d'être commercialisé de manière illicite. En effet, pour ces autres infractions, des raisonnements distincts et spécifiques, faisant toujours appel aux sciences économiques, mais en mobilisant d'autres variables, doivent être utilisés pour parvenir à une modélisation. C'est le cas de certaines pollutions affectant un milieu naturel ou de prélèvements illicites de ressources naturelles qui ne seront pas échangées sur un marché.

L'analyse détaillée des différents coûts, de leurs évolutions et de leurs effets sur le prix, donc sur l'intensité de l'activité illicite, ne sera pas traitée dans le format du présent article.

La modélisation du marché, axée sur le prix, dans ce cadre méthodologique défini, permet de mieux analyser les mécanismes de commission des atteintes illicites à l'environnement et de réaliser des simulations selon les hypothèses.

III. Une illustration de la modélisation des volets économiques et financiers du comportement du délinquant environnemental

Une approche de la théorie économique liée à l'offre et à la demande peut ici être adoptée. Le marché alors analysé va présenter les spécificités suivantes (10)  :

  • Les acteurs économiques intervenant sur le marché en prélevant illicitement la ressource dans son milieu naturel et en la revendant à un intermédiaire ;
  • un niveau de prix de la ressource naturelle prélevée illicitement s'établissant à la rencontre de l'offre et de la demande dans chaque étape de la commercialisation : ainsi, le prix de vente entre le préleveur et l'intermédiaire correspond  au croisement du niveau de l'offre du préleveur avec le niveau de la demande de l'intermédiaire. Le prix de vente à l'acheteur final se situe à l'intersection de la courbe de l'offre de l'intermédiaire et de celle retraçant la demande de l'acheteur final ;
  • un petit nombre d'intermédiaires ;
  • une capacité limitée des grossistes à se saisir rapidement et complétement des parts de marché laissées libres par des concurrents ayant cessé soudainement leur activité ;
  • une faible élasticité-prix de la demande finale, compte-tenu de la rareté de cette ressource naturelle et du niveau élevé de la demande.

Dans cet article, une ressource naturelle faisant l'objet d'un prélèvement illicite dans son milieu est ensuite vendue ; dans ce process, la motivation des auteurs réside principalement dans la maximisation de la marge nette, c'est-à-dire au sens économique, la différence entre le gain procuré (11) et le coût de commission de l'infraction environnementale. Ce coût total est constitué des moyens humains, financiers et matériels que le délinquant doit allouer afin d'être en capacité de commettre l'infraction environnementale, c'est-à-dire en prélevant puis en commercialisant, de façon illicite, une ressource naturelle. Le délinquant environnemental va allouer les moyens dont il dispose dans l'objectif de leur allocation optimale, comme tout acteur économique. Compte-tenu du caractère illicite de l'activité commerciale, deux facteurs sont surpondérés, caractérisant ce marché : la recherche de la maximisation du prix de vente et la volonté de percevoir le produit souvent élevé de l'infraction, dans un laps de temps court par rapport à la date de commission, permettant ainsi son blanchiment rapide.

D'autres facteurs avec des coefficients de pondération peuvent être introduits en fonction du type de commerce illicite réalisé mais, ces facteurs, secondaires, ne déterminent pas dans le cas étudié le passage à l'acte. Les coefficients de pondération de ces variables sont différents selon, entre autres, l'existence ou non d'intermédiaires dans la chaîne de valeur et leur nombre. Si le niveau de la marge nette, critère principal, a une forte probabilité d'être atteint, l'éco-délinquant, dans son processus de décision de passage ou non à l'acte illicite, va avoir tendance à sous-pondérer les facteurs secondaires, ce qui va l'inciter à commettre l'infraction environnementale. La notion de marge nette, prégnante dans le raisonnement du délinquant, si elle est suffisamment intégrée dans les stratégies de lutte contre l'éco-délinquance, permet le recours efficient aux techniques de comptabilité analytique des coûts de commission de l'infraction environnementale et d'analyse financière criminelle au sens anglo-saxon.

Pour le délinquant environnemental, souhaitant, dans cette hypothèse, obtenir puis céder à titre onéreux un bien environnemental (12) , l'environnement est ainsi  appréhendé avant tout comme un ensemble de ressources, parfois au sens de matière première nécessitant des actions de transformation plus ou moins importantes, de transport, de conditionnement, pour permettre sa commercialisation sur un marché illicite.

IV. Les effets de l'évolution du prix sur le degré d'atteinte environnementale

Il sera ici présenté une illustration de la modélisation de la délinquance environnementale dans ce type de marché.

Le phénomène délictuel a été analysé sur le moyen terme, en tenant compte de l'évolution des conditions intrinsèques ou extrinsèques à celui-ci. Cette analyse a abouti à l'identification des variables déterminantes de ce marché illicite. Cette approche a permis de réaliser sa modélisation et de dégager des paramètres facilitant l'anticipation et la définition de nouvelles marges d'action pour les défenseurs de la loi.

V. Les variables de l'augmentation du prix et leurs effets sur la ressource naturelle

Une hausse du prix entraîne une augmentation de la marge et va inciter à une intensification de l'activité illégale portant atteinte à l'environnement, dans une recherche de maximisation du bénéfice. Cette intensification d'activité peut également conduire à une diminution de facto de la ressource naturelle. Cette raréfaction de la ressource va entraîner à son tour une hausse du prix, incitant à intensifier l'activité illicite car plus rentable et, par conséquent, conduire à une majoration des atteintes à l'environnement. L'apparition d'économies d'échelle induites par un volume accru d'activité telles que celles relatives aux frais de transport des ressources naturelles prélevées illicitement est possible. Ces économies d'échelles sont profitables au délinquant et motivent à leur tour une intensification de son activité. L'atteinte à l'environnement, sous ce double effet incitatif lié à la raréfaction de la ressource et à l'existence d'économies d'échelle, a vocation à s'amplifier : le phénomène délictuel entre alors dans un cycle d'auto- alimentation.

VI. Les facteurs de la baisse de prix : entre effet positif et faux espoir pour l'environnement

Inversement à l'augmentation du prix, une baisse du prix peut dissuader de maintenir l'activité délictuelle ou de commencer l'exécution de l'infraction, du fait de la diminution de la marge nette. Elle conduira à l'abandon par l'éco-délinquant de son atteinte à l'environnement.

Cependant, si le délinquant souhaite maintenir son chiffre d'affaires et sa marge, la baisse de prix de vente peut, à condition qu'il dispose des moyens supplémentaires nécessaires, l'inciter à augmenter son activité. Ce qui se matérialisera par une hausse des quantités prélevées illicitement ; l'augmentation des volumes, commercialisé illicitement, compensant alors la perte de profit induite par la diminution des prix. L'hypothèse où la baisse de prix entraîne systématiquement une baisse de l'activité portant attente à l'environnement ne se vérifie donc pas dans certains cas, notamment lorsque le niveau des ressources naturelles permet un prélèvement illicite en quantité plus importante.

Cette hypothèse a été vérifiée en constatant l'abandon de leur activité par des délinquants environnementaux, en particulier des préleveurs et /ou intermédiaires dans des commerces illicites en bande organisée d'espèces protégées.

Ainsi, pour les préleveurs, le niveau d'activité dépend du niveau de prix d'achat par les intermédiaires. Plus le prix d'achat par les intermédiaires sera élevé, plus l'activité de prélèvement des ressources naturelles aura tendance à être importante.

Pour les intermédiaires, le niveau d'activité dépend surtout de la différence entre deux prix : prix d'achat auprès du préleveur et prix de vente auprès de l'acheteur final.

Si des intermédiaires, diminuent ou cessent leur activité de négoce illicite, le prix de vente par les préleveurs aux grossistes tend à diminuer, reflétant la baisse du niveau de la demande des intermédiaires alors que l'offre des préleveurs est de niveau constant. Les préleveurs seront dissuadés de poursuivre leur activité. Le nombre de préleveurs aura alors tendance à baisser, ce qui diminuera l'offre auprès des intermédiaires. En aval de la chaîne de commercialisation, l'activité des intermédiaires étant également réduite, la raréfaction de l'offre en ressource naturelle, induite par l'arrêt d'activité de certains préleveurs, n'aura pas pour effet une augmentation immédiate des prix, ce qu'aurait dû pourtant entraîner la diminution de la ressource disponible. Le mécanisme de baisse des prix associé à une baisse d'activité illicite aussi bien des préleveurs que des intermédiaires s'amorce et s'autoalimente. En effet, cette absence de hausse du prix couplée à des difficultés de vente par les préleveurs à leurs intermédiaires moins nombreux peut alors dissuader d'autres préleveurs de poursuivre leur activité. Simultanément, les grossistes se heurtent un prix stable de vente aux acheteurs finaux qui n'ont pas encore intégré en temps réel la raréfaction de l'offre. Or, cette raréfaction nécessiterait de majorer le prix. Cette absence de hausse de prix de vente aux acheteurs finaux peut être également dissuasive pour la poursuite d'activités des intermédiaires. Les intermédiaires seront, par conséquent, moins nombreux ou davantage hésitants à acquérir cette ressource naturelle alors que le prix de vente aux acheteurs finaux n'a pas augmenté, rendant inchangée leur marge. La marge des grossistes peut même diminuer sous l'effet d'une majoration des coûts, par exemple la nécessité de recourir à des modes de transport plus onéreux pour échapper au renforcement des contrôles. Les efforts à consacrer par les intermédiaires pour se procurer cette ressource naturelle ainsi que le risque lié à l'activité illicite sont majorés sans que ces intermédiaires soient davantage rémunérés sous forme de hausse de prix de vente aux acheteurs finaux.

La baisse de prix peut donc s'auto-entretenir, par l'absence ou la faiblesse d'activité du préleveur, faute de possibilités de vente à l'intermédiaire qui lui-même est dissuadé par un prix stable de vente à l'acheteur final. Ce cycle baissier va dépendre du temps mis par le marché à s'ajuster aux nouvelles conditions d'offre et de demande.

L'arrêt cumulé des activités des préleveurs et de certains intermédiaires peut même conduire à un effondrement du marché avec un prix en forte chute et finalement à l'arrêt temporaire de l'atteinte à l'environnement, faute de possibilités de commercialisation avec des niveaux de marge jugés satisfaisants. La reprise de l'activité illicite est alors conditionnée à l'ajustement du marché de destination se traduisant par une hausse de prix sur le marché final, permettant de restaurer la marge des préleveurs et intermédiaires, mais avec un niveau d'offre moindre, donc moins de ressources prélevées illicitement.

Ainsi, le niveau de l'activité de commercialisation illicite des ressources naturelles nécessite que plusieurs conditions soient réunies. Outre les facteurs propres à l'environnement, il s'agit des éléments de contexte, externes, relatifs notamment à l'action de la puissance publique dans ses pouvoirs régaliens et des conditions propres à l'éco-délinquant telles que ses capacités matérielles, la puissance du réseau auquel il appartient permettant ou non d'absorber l'augmentation des quantités et d'en tirer un bénéfice.  Ces variables ont un effet déterminant sur la variation de prix, et par conséquent sur le niveau de prélèvement illicite en ressources naturelles.

VII. L'analyse de la composition du prix : Une compréhension améliorée de chaque infraction environnementale et de son contexte de commission

Les composantes du prix, ou plus exactement des prix en fonction du nombre d'intermédiaires dans la chaîne d'approvisionnement, ne peuvent être détaillées dans ce format, différant selon la position de l'acteur délinquant concerné et du type d'infraction environnementale commise. Leur examen et l'étude de la combinaison de facteurs déterminant le prix et le fonctionnement du marché permettent de préciser le raisonnement pour chaque élément de l'environnement affecté par l'activité de commercialisation illicite. Le résultat est une analyse relativement précise du comportement des éco-délinquants opérant sur chacun de ces marchés illicites, permettant ainsi une meilleure prévisibilité de l'atteinte à l'environnement. La connaissance des mécanismes de fonctionnement de chacun de ces marchés, y compris en cas de coexistence d'un marché licite avec un marché illicite, contribue à une meilleure préservation et une protection effective de la ressource naturelle.

VIII. L'approche économique et financière du comportement, une grille d'analyse au service de la criminologie environnementale

En effet, la matrice décisionnelle des éco-délinquants peut être décryptée. Cette connaissance apporte des moyens, des stratégies d'enquête et de poursuite, renouvelés, tenant mieux compte du facteur temps.

Le marché illicite de certains biens environnementaux connaît une volatilité et une imprévisibilité fortes du niveau d'activité. Pour absorber économiquement les variations de prix induites, les éco-délinquants se dotent de moyens comparables à ceux d'une industrie lourde, dans son niveau d'intensité capitalistique. Ce phénomène est une des causes de la présence croissante de groupes criminels organisés, détectée sur certains marchés par les services d'enquête et par les autorités judiciaires de nombreux pays.

IX. Apports de la modélisation : de nouveaux horizons pour l'action

La perception de l'environnement comme un ensemble de ressources tend à se conforter et constitue un point de convergence de stratégies des acteurs aux finalités pourtant opposées : ressources pour les acteurs des politiques publiques car enjeu de puissance, de protection des droits des génération futures et d'efficience dans l'utilisation des deniers publics, ressources pour les éco-délinquants à mesure que les ressources naturelles s'amenuisent.

Cette approche par la ressource ne peut qu'être complémentaire d'autres approches du droit de l'environnement, contribuant à son ouverture pluridisciplinaire. Intégrer et développer les réflexions sur les enjeux économiques et financiers des violations du droit de l'environnement contribuent concrètement à développer son effectivité. Cette dynamique a donné des résultats intéressants pour l'environnement dans plusieurs procédures.

L'application et l'adaptation de la méthode utilisée en amont dans cet article offrent en effet de nouvelles possibilités pour la lutte contre l'éco-délinquance. Sans souci d'exhaustivité, il pourra être cité le calcul actualisé du produit effectif de l'infraction environnementale motivant solidement la saisie d'avoirs criminels puis leur confiscation, le moment à choisir pour les interpellations des mis en cause, et la facilitation de la preuve par la traçabilité à l'aide d'investigations financières. Le choix par les acteurs régaliens de défendre l'environnement des délinquants environnementaux qu'ils souhaitent confondre et l'utilisation, différenciée dans le temps et en fonction de l'évolution du marché, des instruments juridiques à leur disposition, peuvent être facilités.

En connaissant mieux l'ingénierie criminelle des éco-délinquants, propre à chaque type d'infractions environnementales, la modélisation des aspects économiques et financiers dont certains volets ont été traités dans cet article permet de mieux sauvegarder l'environnement.

Le décryptage des stratégies utilisées par l'éco-délinquant, emprunté au monde de l'économie et du commerce est ainsi facilité, notamment en identifiant le degré, nécessaire ou voulu, d'intermédiation du marché, ce qui permet une réponse adaptée aux spécificités de chaque marché illicite.

La conduite d'une analyse financière criminelle, l'utilisation de méthodes de comptabilité analytique, fondée sur l'analyse des coûts, peuvent avoir des effets   particulièrement importants, plus précisément sur la découverte de l'infraction environnementale, et motiver ainsi le report du point de départ du délai de prescription (13) .

Tenir compte de ces aspects fait écho à une certaine conception de l'action, fondée sur l'anticipation et sur la précision, utile pour relever les futurs défis de la protection de l'environnement et plus généralement du développement durable.

1. Cour des comptes européenne, Stratégie de la Cour des comptes européenne pour 2021-2025, janv. 20212. Gafi, recommandations, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, mise à jour de mars 20223. Le Bot J.-M., Exister comme patrimoine : le cas du « patrimoine naturel », Tétralogiques, 2019, 24.hal-020922264. Létourneau A., La transdisciplinarité considérée en général et en sciences de l'environnement, [VertigO], La revue électronique en sciences de l'environnement, 8(2), 20085. L'un des premiers textes protégeant l'environnement en France est ainsi l'ordonnance de Colbert de 1669 sur le fait des eaux et forêts, où la forêt est perçue comme une ressource permettant la construction de navires de guerre et de commerce, contribuant à la puissance du pays.6. Pour une analyse de la dimension économique de la puissance : Nye J., Bound to lead, the changing nature of american power, New York, Basic Books, 19907. Commission européenne, The landscape of hybrid threats. A conceptual model (public version), Luxembourg, Publications of the European Union, 20218. Sen A., Inequality Reexamined, Oxford University Press, 19929. Lemieux A.M. et Pickles R.S.A, Problem-Oriented Wildlife Protection, Phoenix, AZ : Center for Problem –Oriented Policing, Arizona State University, 202010. Walras L., Éléments d'économie politique pure, ou théorie de la richesse sociale, Paris, Guillaumin, 187411. Le gain correspondant à la différence entre le prix de vente et le prix d'achat.12. Dans le format de cet article, le bien environnemental renvoie à des éléments constituant l'environnement ou spécimens d'espèces végétales et animales ou matières.13. En ce sens, pour des infractions à la législation sur les déchets : Cass. crim., 12 avr. 2022, n° 21-83.696 : Bull. crim.

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