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« Les communaux sont un outil pour rapprocher l'homme de la nature »

Jean-François Joye, codirecteur de la chaire Valoriser les communs, explique les avantages des formes de propriété collective en milieu rural, qui font perdurer des usages collectifs antérieurs à l'avènement du droit de propriété individuel.

Interview  |  Aménagement  |    |  L. Radisson
   
« Les communaux sont un outil pour rapprocher l'homme de la nature »
Jean-François Joye
Professeur de droit public, codirecteur de la chaire Valcom, université Savoie-Mont-Blanc
   

Actu-Environnement : Le droit de propriété individuel correspond-il à un moment historique ?

Jean-François Joye : Le droit de propriété individuel, promu par la Révolution française et le code civil dans sa vocation absolue et exclusive, et qui est encore souvent enseigné comme tel aujourd'hui ou comme étant la seule véritable solution à l'épanouissement humain, n'est pas une conception de la propriété qui a toujours existé. Historiquement, il ne s'est imposé que depuis un peu plus de deux cents ans dans nos sociétés occidentales. Il existait d'autres rapports à la propriété dans les civilisations anciennes, qu'il s'agisse de l'Antiquité, de l'Empire romain ou de l'époque médiévale. La Révolution a marqué une rupture forte en promouvant les libertés individuelles et en mettant sous l'éteignoir les autres formes de propriétés pour aller vers un processus d'uniformité juridique, voire philosophique. Pendant très longtemps, il n'y a plus eu de débat sur la propriété. Mais, aujourd'hui, à la lumière des désordres divers, notamment sociaux et climatiques, on redécouvre que les rapports à la propriété et au « foncier » ne sont pas aussi simplistes. La propriété collective, que l'on redécouvre, apparaît dès lors comme une alternative possible, une manière d'apporter un complément à la propriété individuelle et aussi de nouvelles valeurs. Il se trouve que l'on a dans certains systèmes anciens, comme les « communaux », les ingrédients qui permettent de composer entre les avantages de la propriété privée et la possibilité d'agir sur son environnement immédiat.

AE : Comment définit-on la notion de communs et de communaux ?

JFJ : Historiquement, on ne parle pas des communs, qui est une notion moderne utilisée d'ailleurs un peu à tort et à travers. De notre côté, on parle de communaux, qui sont pour ainsi dire des communs fonciers. Ils ne sont pas à inventer car ils existent depuis des siècles. Il s'agit de territoires de taille plus ou moins grande (forêts, prés, alpages) qui étaient utilisés en commun. Ce sont des biens sur lesquels les membres d'une communauté peuvent tirer des avantages par l'usage et non par la propriété en propre : droit de faire paître les animaux, de puiser de l'eau, de couper du bois, etc. En pratique, deux systèmes de communs fonciers existent : soit la communauté est propriétaire du sol, et ses membres s'en répartissent collectivement l'usage, en vertu de règles qu'ils se donnent ; soit la communauté a, sur le sol appartenant à autrui (par exemple au domaine privé d'une commune ou d'une section de commune), des droits d'usage collectifs. Il y avait presque autant de communs fonciers que de villages par le passé. Sur le plan sémantique, malgré la proximité linguistique des termes, il est toutefois fondamental de distinguer les communaux de la propriété des communes, collectivités territoriales. On appelait généralement les populations qui jouissaient de ces droits les « communiers », parfois les communistes, mais ce dernier terme a été repris par la doctrine marxiste pour désigner bien autre chose dans le cadre d'une idéologie collectiviste portée à l'extrême. Or, dans le système des communaux, il ne s'agit pas d'une mise en commun totale, mais la valorisation de droits d'usage sur des biens dont chacun peut tirer les fruits tout en garantissant la pérennité de la ressource pour ceux qui viendront après.

AE : Quelles sont les caractéristiques de ces systèmes ?

JFJ : Ce sont des systèmes qui mettent en regard trois éléments : des ressources naturelles, des droits d'usage et une gouvernance qui régule les droits. Il y a aujourd'hui une contradiction entre l'ordre politique représenté par les communaux et le système juridique façonné par l'État moderne, qui est tout l'inverse : uniformité juridique, loi unique pour tous, et système de propriété individuelle. L'État français pour édifier la Nation et apporter le développement économique a voulu supprimer, tel un rouleau compresseur, tout ce qui était aux marges et qui était à la base de la matrice foncière et sociale. Mais, paradoxalement, le droit en vigueur n'a pas fait disparaître tous ces systèmes, même s'il a pu les altérer. Trois dispositions législatives évoquent encore ces systèmes, dans le code civil, le code général des collectivités territoriales et une loi du 10 juin 1793. Ce qu'il faut retenir, c'est que, sur le territoire, y compris sur les circonscriptions administratives des collectivités publiques, il y a des communautés qui disposent encore de biens et de droits qui leur sont propres. C'est un formidable patrimoine vernaculaire.

AE : Où peut-on rencontrer ces systèmes ?

JFJ : Ces systèmes subsistent principalement en milieu rural, notamment en milieu de montagne. En montagne, il y a toujours eu des systèmes d'arrangements entre les populations pour survivre dans des conditions de vie difficiles. Mais on en trouve aussi des formes résiduelles, plus ou moins actives, dans les milieux maritimes et dans les zones de marais, car cette matrice foncière existait en fait partout, avant. Les sections de commune représentent une des catégories de communs fonciers, parmi les plus nombreux (30 000 à 40 000 en France), mais il existe d'autres systèmes, qui sont moins en danger, car ils n'ont pas été captés par le droit administratif et sa logique de rationalisation. C'est le cas des consortages ou des bourgeoisies qui fonctionnent comme des propriétaires collectifs pleins et entiers. Ces derniers s'autogèrent par les usages locaux et il n'y a pas de velléités des communes de les accaparer. Ce ne sont pas des personnes morales de droit public, contrairement aux sections de commune qui sont, en vertu du droit en vigueur, sous la tutelle plus ou moins bienveillante du conseil municipal.

AE : Quelles sont les menaces qui pèsent sur les communaux ?

“ Dans les communs, il y a des personnes qui ont une connaissance extrêmement fine de la gestion de la forêt ou de l'eau ” Jean-François Joye
JFJ : La principale menace vient de la puissance publique. Les communes constituent le dernier maillon d'une chaîne d'acteurs qui relaient une doctrine administrative véhiculant l'idée que ces communaux sont de l'histoire ancienne et qu'il vaut mieux les supprimer. Cette doctrine entend éliminer de la sorte des conflits supposés avec les habitants ou gérer de manière plus directe, efficace ou productive, l'eau ou les forêts. La République unitaire a ainsi produit une administration toute puissante qui surplombe les populations et leur dénie même, parfois, le droit d'agir et d'être expertes à leur manière. Or, dans les communs, il y a des personnes qui ont une connaissance extrêmement fine de la gestion de la forêt ou de l'eau, qui connaissent chaque recoin du territoire, et qui ne comprennent pas pourquoi on le leur enlèverait au profit de mécanismes intercommunaux qui vont gérer de très loin le territoire.

AE : Ce sont les sections de commune qui ont été particulièrement touchées. Pourquoi ?

JFJ : Les sections de commune ont été happées par le système administratif de l'État avec un risque d'accaparement de leurs biens par les communes ou de vente au secteur privé. Une loi du 27 mai 2013 a notamment renforcé les procédures de transfert des biens au profit des communes en dessaisissant les habitants du pouvoir de décision final. Si ceux-ci ne sont pas d'accord avec un projet de transfert du patrimoine collectif, la commune s'en remet au préfet qui, bien souvent, tranche en faveur des communes. Il existe par ailleurs une forme d'asphyxie de la vie des sections en les empêchant d'établir aisément leur commission syndicale. Cela crée une formidable frustration des populations qui y sont encore viscéralement attachées, et je dirais même une vraie souffrance quand les droits d'usage des habitants ne sont pas respectés. Je suis intimement persuadé que dans les ressorts des crises récentes, des Gilets jaunes ou des agriculteurs, réside la question du respect des habitants dans leurs spécificités foncières. C'est tout un système juridique qui mériterait d'être revu pour rééquilibrer les choses. On ne peut, ni ne veut, revenir au système médiéval et, bien entendu, il faut aussi tenir compte des prérogatives des maires et des collectivités territoriales. Mais je milite pour créer une voie de passage qui redonne de l'air et stimule ces collectifs communautaires ruraux pour en faire une force territoriale aux côtés des acteurs publics.

AE : Les inconvénients (conflits, mauvaise gestion, etc.) que certains prêtent à ces formes de propriété partagée sont-ils réels ?

JFJ : Ce sont souvent des prétextes. La suppression des communaux ne conduirait sûrement pas à supprimer les conflits. Ceux-ci sont partout dans la vie publique, en particulier si on ne respecte pas les droits des personnes. Les propriétés collectives purement privées sont bien gérées. Quant aux sections de commune, ce sont plutôt les conseils municipaux, qui ont des responsabilités vis-à-vis d'elles en agissant pour leur compte, qui oublient parfois de demander l'accord des membres pour mener des actions les concernant ou d'appliquer le droit en vigueur (par exemple chaque section est censée disposer d'un état spécial annexé au budget de la commune). En revanche, il est vrai que ces sections peuvent parfois générer de la jalousie, car certaines ont des revenus appréciables ou des ressources naturelles qui suscitent des convoitises (bois notamment) et peuvent avoir tendance à se replier sur elles-mêmes. La question des revenus énergétiques, avec les éoliennes, débarque aussi en milieu rural. Ce ne sont toutefois pas les communaux qui sont en cause, mais la répartition de la manne financière sur l'ensemble du territoire. Dans les communaux, les revenus sont censés alimenter exclusivement les besoins collectifs du commun. Il ne faut pas oublier non plus que chacun a aussi des devoirs dans un commun foncier, qui sont historiquement inscrits dans la pratique des communautés et sont la contrepartie des droits d'usage. C'est ce que l'on appelait dans le temps « les corvées » ou « les participations ». On doit passer un peu de son temps à entretenir le commun, les forêts, les fossés, restaurer le petit patrimoine, etc. Et si on ne le fait pas, on s'expose à des sanctions financières ou à l'exclusion de certains droits comme celui de couper du bois. C'est quelque chose d'extrêmement vertueux qui manque avec la propriété individuelle et que l'on souhaite réhabiliter.

AE : De quelle façon les communs peuvent-ils être soutenus ?

JFJ : Dans un premier temps, il serait utile que l'État les protège, c'est-à-dire qu'il stoppe « l'hémorragie » du déclin de certains communs, déclin qu'il entretient lui-même en maintenant un régime légal qui étouffe les sections de commune. Dans un second temps, peut-être que ce modèle inspirera d'autres formes de communs sur d'autres bases juridiques. C'est ce qu'on voit notamment en milieu urbain avec des formes d'auto-organisation d'actions d'intérêt collectif par les populations, en revanche non basées sur le foncier. Même si on n'est pas obligé de refaire une loi pour protéger les communaux, ce serait bien qu'elle les reconnaisse et rappelle les fonctions d'intérêt collectif qu'ils mènent. Ce qu'un pays comme l'Italie a d'ailleurs réussi à faire. Il faut aussi redévelopper la culture juridique des communs fonciers qui s'est étiolée. C'est pourquoi nous voudrions accompagner (1) la formation des élus, des professions juridiques, en particulier les notaires. Il convient également d'informer le grand public, vulgariser et faire connaître. Il s'agit enfin de combler un certain désinvestissement des populations, qui s'explique en partie par l'exode rural. Il s'est passé beaucoup de choses depuis la loi de 2013 relative aux sections de commune. Depuis, les crispations autour des questions sociales et écologiques, l'incapacité des États à amorcer des changements majeurs pour répondre aux défis posés, font qu'il y a une forme de lassitude des populations qui se tournent vers des modèles différents. On estime que le moment est venu de requalifier les institutions sociales privées intriquées au foncier. Les communaux, peu importent leurs formes juridiques et dénominations, sont des outils pour rapprocher l'homme de la nature, même si ce n'est pas forcément l'alpha et l'oméga de la société future. C'est un système porteur de valeurs qui a fait ses preuves en termes de gestion prudente des ressources naturelles et de lien social.

1. En savoir plus sur la chaire Valcom
https://www.fondation-usmb.fr/chaire-valcom/

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