La garde des Sceaux a présenté, ce 29 janvier en Conseil des ministres, une réforme de la justice pénale environnementale. Une réforme que Nicole Belloubet va certainement préciser avec sa collègue Élisabeth Borne lors du colloque « Justice et environnement » organisé le 30 janvier à l'Assemblée par la députée LReM Bérangère Abba.
Le 12 décembre dernier, la ministre de la Justice avait annoncé « des propositions concrètes du Gouvernement » pour renforcer la réponse pénale aux atteintes à l'environnement à l'occasion du rejet par l'Assemblée nationale d'une proposition de loi socialiste visant à faire reconnaître le crime d'écocide. Mme Belloubet venait de prendre connaissance du rapport qu'elle avait commandé avec le ministre de la Transition écologique à une mission d'inspection dédiée au renforcement de l'effectivité du droit de l'environnement.
Le 21 octobre dernier, la Cour de cassation avait également organisé un colloque consacré au procès environnemental. « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose que l'on veut défendre », avait déclaré le procureur général François Molins citant le cardinal de Richelieu. « Il est dommageable de se priver des magistrats du siège dans la majorité des dossiers environnementaux pour les années à venir, années qui s'annoncent intenses en combats à mener concernant la lutte contre le changement climatique ou la protection de la biodiversité », avait ajouté M. Molins, après avoir analysé le recul de la place du juge dans la répression des atteintes à l'environnement.
Une réponse articulée sur trois niveaux
La réforme présentée par la garde des Sceaux prévoit, d'une part, une spécialisation des juridictions chargées de juger les atteintes à l'environnement et, d'autre part, un relèvement du niveau de la réponse pénale à ces atteintes.
Le Gouvernement souhaite apporter une réponse pénale environnementale articulée sur trois niveaux, a expliqué la porte-parole du Gouvernement, Sibeth Ndiaye, à l'issue du Conseil des ministres. Tout d'abord, celui de la justice du quotidien à travers les tribunaux judiciaires à l'échelon départemental, pour lesquels une spécialisation pourra intervenir. Ces juridictions traiteront des atteintes à l'environnement portant sur le cadre de vie des citoyens, a expliqué Mme Ndiaye, citant comme exemple les décharges sauvages, les permis de construire illégaux, les infractions à la réglementation sur la chasse ou la pêche, les pollutions visuelles ou sonores.
Le deuxième niveau concernera la lutte contre les atteintes graves à l'environnement qui seront jugées par des juridictions spécialisées dans chaque ressort de cour d'appel. Dans ce cadre, des magistrats spécialisés traiteront des affaires nécessitant une grande technicité comme les pollutions de l'eau ou des sols par des activités industrielles, les infractions à la réglementation des installations classées, les atteintes aux espaces ou aux espèces protégées, ou encore les infractions à la réglementation sur les déchets industriels.
Enfin, le degré supérieur, a indiqué Sibeth Ndiaye, concernera les accidents industriels ayant causé des victimes ou les risques liés à des activités technologiques particulières comme le nucléaire. Ces affaires seront reliées aux deux pôles à compétence nationale existant à Paris et à Marseille, et pourront traiter des affaires du type de l'accident de Lubrizol, a indiqué la porte-parole.
Convention judiciaire écologique
Au-delà de la spécialisation des juridictions, la réforme prévoit de relever le niveau de la réponse pénale de telle sorte « qu'il ne soit plus économiquement rentable de causer un préjudice écologique ». Pour cela, le projet prévoit la création, sur le modèle de la convention judiciaire d'intérêt public en matière de corruption, une convention judiciaire environnementale. Cette nouvelle réponse judiciaire permettra de "mettre en oeuvre des mécanismes de compensation ou de réparation environnementale", a expliqué Nicole Belloubet. "Elle permettra de donner une réponse rapide au traitement des affaires dirigées contre des personnes morales à enjeu financier important", a-t-elle ajouté.
Cet instrument sera combiné à un nouveau délit d'atteinte grave et de mise en péril de l'environnement et de la biodiversité, a expliqué Sibeth Ndiaye. Cette infraction sera punie de dix ans d'emprisonnement. L'objectif du dispositif ainsi constitué, a ajouté la représentante du Gouvernement, est de pouvoir apporter une réparation immédiate et/ou engager un programme de mise en conformité.
La réflexion de la ministre a, semble-t-il, évolué depuis décembre. Si Mme Belloubet avait évoqué le renforcement de l'organisation judiciaire et une réponse plus rapide de la justice, elle avait en revanche rejeté l'idée de créer de nouvelles incriminations. « Je ne partage pas l'idée que notre droit pénal serait lacunaire ou que les sanctions prononcées seraient dérisoires », avait déclaré la garde des Sceaux.
Peut-être cette évolution s'explique-t-elle par le fait qu'il est plus facile de créer un nouveau délit que d'améliorer le fonctionnement judiciaire existant. « L'engagement de la ministre de la Justice à améliorer la justice environnementale est louable. Mais il y a une condition préalable pour que cette réforme ne reste pas de papier : des moyens humains et matériels. Nous sommes loin du compte », réagit l'avocat Arnaud Gossement à ces annonces.
Des annonces qui n'ont manifestement pas convaincu l'avocate Corinne Lepage. « L'enfumage en matière de droit de l'environnement continue avec un projet inutile. Le pôle santé environnement existe depuis vingt ans et la justice fait son travail mais tous souffrent du manque de moyens voulu par Nicole Belloubet. La destruction du droit de l'environnement se poursuit », cingle l'ancienne ministre de l'Environnement.