« Cette histoire dure depuis trop longtemps : cela fait des années que des usagers consomment une eau non conforme », pointe Daniel Reininger, président d'Alsace Nature. En cause : le dépassement – en plusieurs points de la nappe phréatique du Rhin supérieur – de la limite de qualité pour des métabolites du S-métolachlore. Ce dernier rentre dans la composition de plusieurs herbicides utilisés notamment sur la culture du maïs, du tournesol, de la betterave, du haricot, etc.
La prise de conscience de l'ampleur de la pollution de cette nappe par l'association est liée, notamment, à l'état des lieux « Ermes-Rhin 2016 », lancé en 2016. Cet inventaire (1) s'est intéressé à une gamme plus importante de substances que ce qui est réalisé habituellement pour les contrôles de la qualité de l'eau (2) . « En 2018, des résultats ont montré que 95 % des points de contrôle dans la nappe d'Alsace contenaient des métabolites d'herbicides, notamment du S-métolachlore, dont 61 % affichaient des taux supérieurs à 0,1 microgramme par litre, qui est la limite de qualité pour les pesticides », résume Daniel Reininger.
Un grand nombre de non-conformités
Se posait toutefois la question des conséquences sanitaires de cette pollution. Car le seuil de 0,1 microgramme par litre correspond au seuil de détection des méthodes d'analyses disponibles au début des années 1970, pour les pesticides recherchés à cette époque. L'idée d'alors était de limiter la pollution au minimum détectable. Depuis, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a apporté un éclairage sanitaire, qui établit des valeurs maximales pour des substances considérées comme pertinentes (3) . Mais restait encore à préciser la notion de pertinence pour classer et suivre les métabolites de pesticides. Une réponse que l'Anses a apporté dans un avis (4) de janvier 2019.
Ces seuils (limites de qualité et valeur sanitaire maximale) dressent un cadre pour arbitrer sur la possible distribution, ou non, de l'eau. Ainsi lorsque la limite de qualité est dépassée, l'eau peut continuer à être distribuée (par l'intermédiaire d'un arrêté préfectoral dérogatoire) et à la condition que la collectivité engage un plan d'action pour revenir dans les clous. En revanche, si le seuil sanitaire est dépassé, le responsable de la production et de la distribution de l'eau doit informer les abonnés, « dans les meilleurs délais », que l'eau ne doit plus être consommée. Si cette limite sanitaire n'a pas pu être déterminée, des restrictions de consommation d'eau peuvent dans certains cas être prononcées.
Un potentiel de 560 000 personnes concernées en Alsace
En Alsace, des arrêtés préfectoraux dérogatoires commencent à être pris par la préfecture du Bas-Rhin pour assurer la poursuite de la distribution de l'eau malgré ce dépassement des limites de qualité. « Pour l'instant, nous avons identifié huit arrêtés dérogatoires dans le département du Bas-Rhin, deux sont en cours dans le Haut-Rhin, indique Daniel Reininger. Au total, une vingtaine par département pourrait être pris et cela concernerait 560 000 personnes. »
Une situation inacceptable pour l'association Alsace Nature, qui vient de déposer des recours contre ces arrêtés dérogatoires. « Quatre ans après l'étude Ermes, des arrêtés dérogatoires sont pris pour continuer à distribuer une eau qui n'est plus aux normes. Nous considérons que c'est parfaitement intolérable, s'indigne Daniel Reininger. Depuis 2004, la Communauté européenne avait mis en garde contre les métabolites du S-métolachlore et même le fabricant de la substance préconise de ne pas l'utiliser dans les périmètres d'aire d'alimentation de captage prioritaires et dans les zones sensibles. »
En Alsace, de nouvelles molécules à suivre depuis décembre 2020
Les cartes des pesticides surveillés ont été rebattues, avec l'instruction du 18 décembre 2020 adressée aux agences régionales de santé. Dans le Grand Est, 202 molécules sont désormais analysées, dont 160 substances actives et 42 métabolites. En Alsace, 48 % de molécules nouvelles sont recherchées par rapport à l'ancienne liste. Sur le plan national, cette nouvelle approche pourrait conduire à des non-conformités concernant entre 10 et 15 % de la population.
L'association aimerait également que soit plus largement appliqué le principe du pollueur-payeur. « S'il faut mettre des dispositifs curatifs, il faudrait qu'ils soient financés par les responsables de la pollution, par exemple à travers la PAC, estime Daniel Reininger. Je n'accable pas le monde agricole dans son ensemble, mais une partie ne joue pas le jeu et ne le fera pas sans des règles fixées par les pouvoirs publics. Nous espérons que nos recours feront boule de neige : la situation est semblable dans d'autres départements. »
D'autres associations ont effectivement lancé une procédure similaire. Ainsi, en Loire-Atlantique, le Collectif sans pesticides a lancé, en septembre 2020, une procédure contre l'arrêté dérogatoire sur le territoire de Guémené-Penfao (affaire pas encore jugée). En cause, notamment : un défaut d'information de la population sur cette pollution, un plan d'action considéré comme insuffisant, mais également des seuils retenus pour les pesticides jugés trop élevés.