Le crime de destruction massive de l'environnement pourra-t-il à l'avenir être poursuivi comme le sont les crimes contre l'humanité ? C'est en tout cas l'objectif que poursuit un groupe d'experts internationaux mis en place par la Fondation Stop Écocide suite à la demande de parlementaires suédois. Ces experts ont dévoilé le 22 juin une proposition de définition de l'écocide après six mois de travail comprenant la sollicitation d'expertises extérieures ainsi qu'une consultation publique.
« Il n'existe actuellement aucun cadre juridique pour traiter de l'écocide au niveau international, et donc aucun système permettant de tenir les décideurs des entreprises et des gouvernements responsables des dommages et des abus environnementaux tels que les marées noires, la déforestation massive, les dommages causés aux océans ou la pollution grave des eaux. L'inscription de l'écocide dans le droit international permettrait de juger les auteurs de ces actes devant la Cour pénale internationale ou dans toute juridiction ayant ratifié la Convention », explique la Fondation Stop Écocide.
Inscrire l'écocide dans le statut de la Cour pénale internationale
Selon le panel d'experts, le crime d'écocide s'entend « d'actes illégaux ou arbitraires commis en sachant la réelle probabilité que ces actes causent à l'environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ». La proposition précise ce que recouvrent les principaux termes constituant cette définition. « Nous considérons ce travail comme très intéressant et constructif, mais posant des problèmes pratiques car insuffisant dans la précision de la rédaction », réagit à chaud le magistrat Jean-Philippe Rivaud, en attendant une analyse plus approfondie de l'Association française des magistrats pour le droit de l'environnement (AFME) qu'il préside.
« Huit États membres de la CPI ont montré leur intérêt à modifier le statut de Rome et des propositions de lois ont été présentées dans différents pays », se félicite Jojo Mehta, présidente de la Fondation Stop Écocide et organisatrice du comité d'experts. Cet intérêt a été manifesté par de petits États insulaires, comme le Vanuatu et les Maldives, mais aussi par des États européens comme la Belgique, qui a demandé officiellement la reconnaissance de ce crime à l'assemblée générale de la CPI, ainsi que par le Parlement européen. Le seuil des deux-tiers des 123 États membres de la CPI nécessaire pour procéder à cette inscription est pour l'heure loin d'être atteint, mais il n'existe pas de droit de veto et chaque État a une voix, fait remarquer Mme Mehta. « S'il y a une volonté politique, il n'y a pas de raison que ça ne se fasse pas rapidement », positive Philippe Sand.
Là est la question. Car la Cour pénale internationale poursuit des individus, et les responsables politiques pourraient être réticents à mettre en place un dispositif susceptible d'aboutir à la mise en jeu de la responsabilité pénale de chefs d'États ou de gouvernements, ou de PDG de multinationales. « Définir le crime est une première étape sur la voie de la discussion, du débat et, un jour, de la ratification. Nous espérons que ce processus incitera les États à réfléchir à la manière d'utiliser le droit pénal international pour cibler les crimes environnementaux les plus graves, tout en déployant le droit pénal et réglementaire national pour traiter un large éventail de préjudices environnementaux qui menacent notre planète », explique Alex Whiting, ancien coordonnateur des poursuites de la CPI.
Inscription dans le droit national
« La France a aussi pour responsabilité de porter cette proposition au niveau international », rappelle l'association Notre Affaire à tous. Le calendrier international des prochains mois offre en effet plusieurs opportunités : assemblée générale des Nations unies, COP 15 biodiversité, COP 26 Climat, assemblée générale de la CPI.
Devant la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron s'était engagé à défendre la création de ce crime au niveau international et à étudier son intégration dans le droit français. Refusant à deux reprises de soutenir des propositions de loi proposant la création de ce crime, l'exécutif a finalement opté pour la création d'un délit d'écocide dans le projet de loi climat en cours de discussion au Parlement. Délit qui n'a d'écocide que le nom selon de nombreux spécialistes.
« La proposition formulée aujourd'hui par le panel d'experts prouve que définir ce crime est non seulement possible, mais également juridiquement solide », estime Notre Affaire à tous. L'association appelle par conséquent le Gouvernement à déposer un amendement au projet de loi climat visant à la reconnaissance immédiate du crime d'écocide.
« Permettre à la CPI de poursuivre et juger les atteintes à l'environnement les plus graves - le crime d'écocide - en temps de paix est révolutionnaire. À l'évidence, les États ne pourront que s'inspirer de cette initiative afin que le principe de complémentarité puisse assurer une protection efficace de l'environnement », estime Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris.