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Érosion côtière : des maires déjà contraints de délocaliser des biens et d'exproprier

Un cinquième du littoral français est soumis à l'érosion, rendant nécessaire la recomposition de certains territoires. Des maires anticipent déjà la relocalisation progressive des biens menacés et leur expropriation. Découvrez leurs témoignages.

Aménagement  |    |  R. Boughriet
Érosion côtière : des maires déjà contraints de délocaliser des biens et d'exproprier
Actu-Environnement le Mensuel N°439
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°439
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Lacanau (Gironde), Quiberville-sur-Mer (Seine-Maritime) ou encore Criel-sur-Mer (Seine-Maritime) font partie des 242 communes identifiées, dans le décret du 31 juillet 2023, comme prioritaires face à la menace de l'érosion côtière. Ces collectivités s'attaquent déjà au recul du trait de côte et de la montée des eaux depuis de nombreuses années. Toutefois, la loi Climat et résilience d'août 2021 leur a ouvert plusieurs mesures d'accompa­gnement afin d'adapter de manière durable leurs littoraux. Ainsi, ces communes ont trois ans pour cartographier leurs zones à risques d'ici trente ans et cent ans, aidées à hauteur de 80 % par l'État. Ces cartes seront intégrées dans leur plan local d'urbanisme (PLU).

De nouveaux pouvoirs de police sont aussi assignés aux maires, notamment celui de faire démolir d'office les bâtiments en zones à risque. Les règles d'inconstructibilité seront en effet davantage progressives que celles des actuels plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Les nouvelles constructions seront interdites dans les zones impactées à l'horizon de trente ans, « afin de donner la priorité à la renaturation de ces territoires ». Des exceptions existent toutefois pour les rénovations et les extensions des constructions existantes si elles sont limitées et démontables. Idem pour les constructions et installations nouvelles démontables, nécessaires à des services publics ou à des activités économiques.

Dans ces zones impactées à l'horizon des trente et cent ans, les nouvelles constructions seront, quant à elles, conditionnées à une obligation de démolition à terme. Réalisée aux frais des propriétaires, celle-ci sera contrôlée par les maires.

Déplacer les biens risqués

Face au recul du trait de côte, les options qui s'offrent aux communes concernées consistent soit à ériger des structures de défense côtière et des aménagements concourant à la protection d'une zone donnée, soit à organiser la relocalisation des activités et des biens menacés.

Confrontée à l'avancée de l'océan Atlantique, la station balnéaire de Lacanau construit des digues en attendant de devoir peut-être, à l'horizon 2050, relocaliser certaines habitations et commerces dans les terres. D'une part, « la ville de Lacanau a décidé pour la période 2020 à 2030, d'édifier un nouvel ouvrage pour protéger la station jusqu'en 2050. La décision de la relocalisation des premières lignes du front de mer n'est en effet pas décidée actuellement et il faudra continuer à protéger les biens et les personnes, au regard de nos études menées en tenant compte des aléas marins à venir avec le changement climatique », explique Éléonore Geneau, chargée de mission littoral et développement durable pour la commune. D'autre part, la ville a déjà décidé de relocaliser ses biens publics les plus exposés à l'érosion côtière, à savoir le poste de secours central, la maison de la glisse et les parkings littoraux. « La question des biens privés ne se pose pas encore. On l'étudie pour l'instant, avec une nouvelle étude qui va démarrer dans les prochaines semaines, la loi Climat nous donne de nouveaux outils qui restent récents ».

À Quiberville-sur-Mer, le maire Jean-François Bloc vient déjà de franchir un cap inédit : déplacer le camping municipal de bord de mer menacé par l'érosion et la montée des eaux. Situé derrière une digue, il a déjà été inondé en 1999. « On a aussi connu des inondations récurrentes en 2008. Dès 2012, on a donc décidé de relocaliser le camping et, pour cela, il a fallu trouver des terrains, donc faire des acquisitions foncières, avec les moyens nécessaires à l'achat de six hectares. Il a aussi fallu modifier le PLU, puisque ce sont des zones agricoles et il a fallu les rendre compatibles avec un aménagement touristique, et ensuite trouver des financements importants pour monter un tel projet », explique le maire de ce village normand de 550 habitants. Ce projet a mis dix ans à aboutir, pour un coût total de 8,6 millions d'euros, financés à 69 % par des fonds européens, complétés par des fonds régionaux et départementaux.

“ Au-delà de la partie technique, mécanique et administrative, il y a aussi le facteur humain ” Alain Trouessin, maire de Criel-sur-Mer
Désormais fermé, l'ancien camping inondable a déménagé 700 mètres plus haut dans les terres. Le nouveau « 4 étoiles » a ouvert ses portes le 1er août 2023. « Depuis maintenant dix-huit mois, nous avons œuvré pour construire ce nouveau site, c'est une belle réalisation », se félicite le maire. Le déplacement du camping est « une première étape du gros projet territorial de la basse vallée de la Saâne 2050 qui nous conduit vers une reconnexion de la terre à la mer, pour régler le problème des inondations et redonner à la biodiversité toute sa place », précise Jean-François Bloc. Les travaux vont se dérouler jusqu'en 2025. Quant à l'ancien camping, il sera renaturé et un ouvrage hydraulique sera aménagé pour reconnecter le fleuve côtier, la Saâne, à la mer.

Engager une procédure d'expropriation

À Criel-sur-Mer, après avoir observé un recul important de la falaise en 2021, le maire Alain Trouessin a dû engager une procédure d'expropriation pour une maison, rasée depuis. Grâce au Fonds Barnier, les propriétaires ont pu être dédommagés. « On considère qu'une distance de précaution de 20 mètres, entre la propriété et la falaise, est le minimum raisonnable. Si on descend à 10 ou 15 mètres, je lance une procédure d'interdiction d'accès à la parcelle et, par conséquent, à la maison, ce qui équivaut à une expropriation, explique l'élu local. Il y a eu beaucoup d'échanges au préalable avec les personnes concernées, car il faut être dans l'empathie. On ne demande pas aux gens de quitter une maison comme ça et d'aller vivre ailleurs, alors qu'ils sont contents d'avoir une vue sur la mer. C'est une histoire de cœur, il faut y aller doucement. Au-delà de la partie technique, mécanique et administrative, il y a aussi le facteur humain sur ce sujet. »

L'érosion des falaises à Criel-sur-Mer se poursuit d'environ 20 à 30 cm par an, en moyenne. « C'est de la roche calcaire assez friable, et ces falaises peuvent reculer subitement de 5 à 6 mètres de large, sur 80 m de long. On ne sait jamais où, ni quand, ni combien, mais on sait que le phénomène naturel est en marche et ne s'arrêtera pas demain », prévient le maire. « Précédemment, les propriétaires étaient indemnisés par le Fonds Barnier en cas d'expropriation. Demain, ceux qui voudront construire dans la zone à risque, à l'horizon de trente à cent ans, devront provisionner le coût de la destruction de leur bien à terme, donc à leurs frais, et remettre le terrain en état », ajoute Alain Trouessin. Malgré tout, « des biens existants sont vendus et rachetés par des personnes qui connaissent le risque. Certains acheteurs de biens situés à 30 ou 50 mètres de la falaise se disent que même s'ils sont concernés par le recul d'ici vingt ans, ils en auront profité », souligne-t-il.

Les contrats de PPA à la rescousse des collectivités

Le recours possible à un contrat de projet partenarial d'aménagement (PPA) permet un cofinancement par l'État de projets de recomposition spatiale menés par les collectivités. Signer un PPA permet d'accéder aux dérogations limitées et encadrées par la loi Littoral, lorsqu'elles sont nécessaires à la mise en œuvre d'un projet de relocalisation d'enjeux exposés au recul du trait de côte. Les trois PPA pilotes des communes de Gouville-sur-Mer (Manche), de Lacanau et de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), engagés en 2021, ont déjà bénéficié d'un total de 10 millions d'euros. La ville de Criel-sur-Mer est aussi très intéressée. « On réfléchit, en termes de résilience, à un aménagement de la basse vallée de Criel-sur-Mer, qui est pour l'instant à l'étude, et on devrait signer le PPA avec le préfet d'ici à la fin de l'année. La loi Climat introduit un peu de flexibilité sur d'éventuels aménagements urbains, dès lors que les communes adhèrent à un projet de PPA avec l'État, qui apporte des aides. On est sur des démarches qui vont prendre une dizaine d'années et préparer l'avenir de nos enfants, à court, moyen et long termes », indique Alain Trouessin.

Ces opérations de « repli stratégique » restent rares et très chères

Ces projets de « repli stratégique » des biens littoraux menacés - qui demandent une anticipation de la part des collectivités et l'acceptation sociale - commencent à voir le jour et sont très coûteux. « L'Europe ne pourra pas financer tous les projets de recomposition spatiale. Il faut qu'on ait un outil national qui le permette. Il va falloir mettre des gros moyens », exhorte le maire de Quiberville-sur-Mer, Jean-François Bloc.

La ville de Lacanau a, pour sa part, estimé à 450 millions d'euros le coût pour déplacer près de 1 200 logements et commerces implantés dans le périmètre de vulnérabilité du front de mer. « Et ce, sans reconstruire, sans renaturer. L'adaptation va être un facteur-clé de l'attractivité des territoires exposés », déclare Éléonore Geneau, chargée de mission à la Ville. Elle ajoute que le maire de Lacanau appelle à des financements de la recomposation spatiale « reposant sur une solidarité nationale. Les propositions pour la loi de finances 2025 ne doivent pas uniquement concerner les projets de relocalisation qui se mettront en œuvre sur une dizaine d'années, mais il faut continuer à gérer l'urgence, le quotidien et diversifier les sources de financement. L'État et les collectivités ne pourront pas être les seuls contributeurs, il faut qu'on aille vers des montages financiers intelligents ».

Selon le ministère de la Transition écologique, 5 millions d'euros par an sont dorénavant réservés pour les PPA « trait de côte ». Le plan gouvernemental « Destination France » prévoit aussi une enveloppe de 4 millions pour accompagner les campings exposés à l'érosion. De quoi lancer la dynamique, même si le financement pérenne n'est pas garanti.

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