Si, en lisière de lecture, le bilan carbone des forêts françaises apparaît positif, il cache un épais sous-bois de points noirs. D'après un rapport (1) de l'Académie des sciences paru le 7 juin, l'étendue actuelle des dommages qu'elles subissent remet sérieusement en question leur capacité à remplir le rôle de puits de carbone sur lequel s'appuie la Stratégie nationale bas carbone (SNBC 2). L'état des connaissances scientifiques dressé par les académiciens invite ainsi la recherche, la filière bois ainsi que l'État à repenser la place des forêts dans la prochaine Stratégie française énergie-climat (Sfec).
Bilan carbone : l'arbre qui cache la forêt
Ainsi, si en apparence les forêts françaises constituent un puits de carbone efficace, il demeure non seulement insuffisant étant donné les niveaux de séquestration nécessaires à l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, mais il est également en train de s'affaiblir. Comme le rappellent les académiciens, « la SNBC 2 prévoit d'atteindre la neutralité carbone en 2050, avec 80 MtC émis pour 80 MtC absorbés, ce qui correspond à un doublement de l'absorption actuelle et une division par cinq environ des émissions actuelles ». Or, la marche est d'autant plus haute à franchir au regard de l'état actuel des forêts. D'après les estimations de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), les capacités de stockage des forêts françaises sont passées de 53 MtCO2/an à 32 MtCO2/an, entre 2015 et 2020, du fait, d'une part, de « la mortalité naturelle qui a augmenté de 54 % et des prélèvements qui ont augmenté de 20 % » ; tandis que, d'autre part, « la production biologique nette qui a diminué de 10 % entre 2005-2013 et 2012-2020 ».
Entre sécheresses et récoltes
La multiplication et le renforcement des sécheresses, provoquées par le réchauffement climatique, constituent la principale cause de ce dépérissement général, aussi bien directement – avec, par exemple, l'augmentation du nombre de mégafeux – qu'indirectement. « Les peuplements qui survivent à une sécheresse n'en sortent en général pas indemnes, expliquent les académiciens. Le manque d'eau provoque des arrêts précoces de la croissance des arbres, parfois de plusieurs semaines, et des arrêts de la photosynthèse, qui engendrent une diminution importante de la productivité, de la croissance annuelle et donc du puits de carbone. » Les individus ainsi affaiblis sont alors davantage vulnérables aux pathogènes et aux parasites. En 2022, le taux de mortalité des jeunes pousses, plus vulnérables mais plantés justement pour reboiser et compenser les pertes calcinées, a par exemple augmenté de 38 % en dix ans. Et les espèces végétales ne sont pas capables de se défendre seules. « La vitesse d'évolution des arbres est très lente en regard de la vitesse actuelle d'évolution du climat bien que la pression de sélection soit très forte. Il est maintenant certain que le changement climatique sera responsable d'une baisse de la séquestration du carbone par les forêts dans les prochaines décennies. »
De plus, les méthodes de plantation, par compensation ou non, ne se valent pas toutes en retour. « Si une plantation est réalisée dans le cadre du boisement d'une friche agricole, elle séquestre également du carbone de façon nette. En revanche, si elle est consécutive à une coupe rase, elle émet du carbone pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, car la séquestration de CO2 de la jeune plantation ne compense pas les émissions de CO2 et de CH4 par le sol provoquées par la coupe rase, ainsi que les émissions de CO2 engendrés par les engins de récolte et la transformation du bois. » Cette seconde méthode explique pourquoi, toujours selon les académiciens, les projets forestiers de boisement ou reboisement soutenus par le biais du label Bas Carbone ne « contribuent que de façon très modeste aux objectifs fixés par la SNBC 2 ». Autrement dit, « les objectifs affichés de la SNBC 2 pour la filière forêt-bois ne pourront pas être tenus, et il est urgent de les réviser ».
Une adaptation trop tardive ?
Si la volonté de revoir la SNBC et de mettre en œuvre « un plan d'adaptation des forêts au changement climatique » semble ainsi urgente, deux hics restent à régler. D'un côté, l'Académie des sciences constate un manque cruel de connaissances et d'outils pour évaluer précisément le puits de carbone forestier et de nombreuses lacunes dans la prise en compte de certaines des caractéristiques connues dans les scénarios de gestion optimaux. De l'autre, elle prévient que des actions d'adaptation des peuplements forestiers (par exemple, une plus grande diversité des essences), même celles qui paraissent les plus adéquates, ne sont pas des solutions miracles. « Leurs effets à court terme seront probablement modestes au regard de l'ampleur des dégâts attendus. »